La campagne de la vanille bat son plein dans la région SAVA. Mais l’argent qui coule à flot ne profite pas à tout le monde.
Des motos achetées comme des bonbons et des matelas pris d’assaut. La plage rythmée par le battement des vagues, la belle « avenue » longeant la ville, les voitures et les taxis-motos animant la capitale de la région SAVA, Sambava, font oublier la pauvreté gangrenant le pays. Le prix du kilo de la vanille à 500 000 ariary, en hausse par rapport à celui de l’année dernière, aurait eu des impacts positifs dans le quotidien des habitants.
Cette belle image n’est pourtant qu’un mirage. Les ménages les plus pauvres, notamment les paysans sans terre, les agents de l’État et des employés du secteur privé affectés dans la capitale régionale de la vanille paient le prix fort de cette campagne.
« Trois pièces de poisson coûtent, actuellement, 10 000 ariary alors que nous vivons au bord de la mer ! C’est incroyable ! », se plaint un employé du ministère des Finances et du budget.
Une pièce de tomate est même vendue à 400 ariary alors que cette somme avait permis d’en acheter au moins quatre dans la capitale auparavant. Le district d’Andapa, à deux heures de route de la ville de Sambava, est, pourtant, le principal grenier alimentaire de la région.
L’insécurité ambiante inquiète aussi les habitants.
« Le vol est quasi-quotidien depuis que les gousses de vanille sont mûres. Bon nombre d’habitants cueillent leur vanille trop tôt, causant ainsi la dégradation de la qualité », s’indigne Philibert Faustin, membre de la Plateforme des producteurs de vanille du district de Sambava. Les forces de l’ordre se trouvent ainsi sur le qui-vive car, selon une source au sein de la gendarmerie nationale, le vol de vanille connaît une recrudescence.
« L’insécurité se trouve à son apogée car beaucoup d’argent circule en ce moment », souligne une source au sein des forces de l’ordre.
![La préparation artisanale des gousses de vanille est de moins en moins pratiquée à Sambava.]()
Activités au ralenti
Mais il n’y a pas que les « résidents » qui sont pénalisés par cette fièvre de la vanille. En trouver en guise de souvenir du passage dans la capitale nationale de la vanille ressemble également à un parcours du combattant.
« La plus grande partie de la production a déjà été collectée par les exportateurs. Les gens ont aussi peur d’écouler les gousses de vanille sur le marché à cause de la recrudescene des vols. Les gens ont donc peur d’être accusés à tort », confie un chauffeur de taxi-moto.
Face à cette situation, le chef de région de SAVA, El Faustin Velomaro, se défend.
« Nous avons incité les gens à maintenir leurs activités comme la pêche ou la production de charbon durant la campagne de la vanille. Mais ils ne veulent pas nous écouter. Nous ne pouvons pas les obliger. C’est ainsi que le prix des produits agricoles monte en flèche, actuellement », explique-t-il.
Aucune mesure d’incitation n’a été, toutefois, avancée par le chef de région pour encourager les paysans à continuer leurs activités habituelles.
La sécurisation coûte 2 millions d’ariary par mois
La montée en flèche du prix de la vanille a incité les malfaiteurs à opérer dans la région de Sava. Les opérateurs se sentent ainsi menacés.
« L’insécurité revêt, aujourd’hui, deux formes. La première est le vol de la vanille sur pied. Tandis que la seconde est le vol de gousses de vanille dans les magasins de stockage. L’année dernière, j’ai dépensé 800 000 ariary pour sécuriser mes produits. Cette année, j’ai dû dépenser 2 millions d’ariary par mois pour assurer la sécurité de mon investissement », revèle Rafaly, collecteur de gousses de vanille.
Deux cent quinze taxis-motos pour 40 000 habitants
La « guerre » au sein du transport public fait rage dans la ville de Sambava. La trentaine de taxis-ville et la vingtaine de taxis-be se battent au quotidien face à la montée en puissance du taxi-moto, plus connu sous le nom de bajaj. Selon Fulgence Behavana, un conducteur de taxi-moto, il y aurait actuellement deux cent quinze Bajaj dans la ville.
« La plupart des taxis-motos appartiennent à un petit nombre de personnes. Toutefois, les jeunes qui ont gagné de l’argent grâce à la vanille ou le trafic de bois de rose commencent à s’investir dans cette filière », a remarqué un conducteur de taxi-moto.
Pendant la présente campagne de la vanille, assurer le paiement du versement quotidien de 40 000 ariary par jour pour chaque Bajaj semble aisé.
![Certaines coopératives de paysans, comme à Bemanevika, militent contre le travail abusif des enfants.]()
Qualité – Le taux de vanilline en continuelle baisse
La filière vanille fait face aujourd’hui à des sérieuses menaces. Selon une source au sein des exportateurs, l’atteinte du taux de vanilline de 2,4% sur une gousse de vanille ressemble, actuellement, à un miracle.
« Le taux moyen tourne autour de 1%. C’est comme un cauchemar car le taux est resté supérieur à 2%, il y a dix ans », a confié un exportateur de vanille de Sambava.
Plusieurs facteurs ont été avancés comme principales causes de cette baisse de la qualité de vanille. Le premier serait l’affluence des opportunistes. Il y aurait, selon une source au sein du service de la douane de Sambava, seize nouveaux opérateurs dans la filière vanille en quelques mois.
« Parmi ces opérateurs opportunistes, bon nombre d’entre eux utilisent des machines pour sécher les gousses de vanille et ne respectent plus la règle de l’art. Ils n’attendent plus que les gousses soient mûres et séchées au soleil. C’est pour cette raison que vous ne sentez plus l’arôme de la vanille à Sambava car peu de gens sèchent les gousses de vanille au soleil dans leurs cours », a expliqué un autre opérateur.
Les paysans ne se soucient plus ainsi de la qualité de leurs gousses de vanille car ils sont sûrs de trouver preneurs.
![SAVA4]()
Une assise nationale
L’État a initié une assise nationale sur la vanille, le 14 novembre dernier. Elle a visé à retrouver les lettres de noblesse de la vanille de la Grande île. Mais l’attention s’est tournée vers les exportateurs.
« Ce sont les exportateurs qui dictent leur loi. Ils donnent le ton quand ils ont besoin de vanille pour l’exportation. Ils nous pressent aussi à trouver des gousses même si elles sont encore vertes », a rapporté Rafaly, opérateur dans la filière.
En même temps, les exportateurs demandent l’assainissement de la filière et la mise en place de règles bien définies.
« Les opérateurs légaux se sentent harcelés. Certains n’ont même pas de magasin de stockage et exercent parfois leurs activités dans l’illégalité. Mais, nous avons l’impression que les employés de l’État ne contrôlent que les opérateurs légaux. Il faut donc assainir le milieu et cesser l’utilisation des machines de séchoir », a suggéré un opérateur de la région.
![Ntsay Christian, représentant de l'OIT, invite les opérateurs de la filière vanille à respecter le code visant à lutter contre le travail des enfants.]()
Ntsay Christian, creprésentant de l’OIT, invite les opérateurs de la filière vanille à respecter le code visant à lutter contre
le travail des enfants.
Un enfer pour les enfants
Selon le rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT), vingt mille enfants travaillent, chaque année, dans la filière vanille, dans des conditions effroyables. Ils triment 7 à 8 heures par jour et même pendant la nuit, avec des salaires misérables de 2 000 ariary par jour, ou bien 25 000 à 40 000 ariary par mois. Les travaux sont effectués sous une température extrême, à 30°C au soleil, et à 41°C quand ils se trouvent près du matériel d’échaudage. L’exposition à des produits chimiques, toxiques et dangereux menace également la santé de ces enfants.
Un code de conduite de lutte contre le travail des enfants dans la filière vanille, a été ainsi initié par l’OIT et l’ambassade américaine pour les affranchir de ce calvaire.
« Les États-Unis importent le tiers de la production de vanille de la Grande île. Les consommateurs américains y sont très attentifs face aux différentes conditions de production, notamment le respect des droits de l’homme », a fait remarquer Robert Yamate, ambassadeur des Etats-Unis à Madagascar.
Magouille – Soupçon de blanchiment d’argent
La déclaration de Jean Gabriel Harison, alors qu’il était encore directeur général du commerce extérieur, lors de la signature du code de conduite de lutte contre le travail des enfants dans la filière vanille, le mois dernier à Sambava, apparaissait comme une bombe à retardement pour certains opérateurs de la vanille dans la région SAVA.
« Nous avons reçu des informations indiquant qu’il y aurait un blanchiment d’argent dans la filière vanille, actuellement. Nous avons saisi le Service de renseignement financier (Samifin) pour tirer cette affaire au clair », a annoncé celui qui était directeur général du commerce extérieur.
Selon ses explications, le prix du kilo de vanille ne suit pas le cours sur le marché international.
« Le kilo de vanille tourne, actuellement, autour de 100 dollars sur le marché international. Pourquoi certains exportateurs osent-ils acheter le kilo à 150 dollars auprès des paysans », se demande Jean Gabriel Harison.
Un ancien exportateur de la vanille a confirmé cette crainte au sein du ministère du Commerce.
« Il y a effectivement blanchiment d’argent du bois de rose par l’intermédiaire de cette filière. Mais le prix a fortement augmenté à cause des exportateurs opportunistes tels que les hommes d’affaires chinois qui viennent collecter les gousses de vanille dans la campagne et les transforment en extraits de vanille. Les produits deviennent ainsi assez rares », a mentionné l’exportateur.
Un intermédiaire dans la filière refuse, toutefois, de parler de blanchiment d’argent.
« Les exportateurs tentent d’écouler, actuellement, leurs stocks de vanille. Ils l’avaient acheté à 60 000 ariary le kilo, il y a deux ans. Certains opérateurs font ainsi circuler des rumeurs selon lesquelles la production serait mauvaise, cette année. Ils font alors monter le prix à 500 000 ariary pour avoir un maximum de profit avec leurs stocks », a indiqué Rafaly, un intermédiaire entre les paysans et les exportateurs.
Appelée pour vérifier l’existence de blanchiment d’argent dans la filière vanille, une source au sein du Samifin l’a confirmé à demi-mot. « Nous sommes au courant de cette information, alors une enquête pourrait être menée », a avancé le responsable.