Dans cette nouvelle chronique, Tom Andriamanoro se penche sur les relations entre la Grande Île et le Maroc, depuis l’exil du roi Mohamed V à Antsirabe, relations où le chaud et le froid ne cessent de souffler. Se perdant dans le passé, notre chroniqueur médite aussi sur l’affaire juteuse que représentent pour les gurus les grands hommes «renonçants».
Rabat-Antananarivo – Une coopération mort-née ?
C’était à pareille époque, sauf que treize ans se sont écoulés depuis. Un signal politique fort, ou un simple pèlerinage sur les lieux qui l’ont vu naître Toujours est-il qu’en ce début d’année 2003, la visite à Antsirabe de la Princesse Lalla Amina du Maroc a donné lieu à toutes les interprétations. Tout d’abord en raison de la date choisie. Il était pour le moins étonnant qu’à une période de l’année où les obligations protocolaires devaient se bousculer dans l’agenda d’une personnalité de son rang, elle décide, sans raison apparente, de jouer l’arlésienne à l’autre bout du continent. Le contexte ensuite puisque, malgré un revirement très intéressé des grandes puissances, dont les États-Unis, le nouveau régime malgache était toujours en délicatesse avec l’Union Africaine. Or, le royaume chérifien avait, depuis 1980, mis une croix sur cette Organisation et ne voyait pas d’un mauvais œil qu’un autre État-fondateur suive son exemple. Et pas n’importe quel État : celui de l’Amiral Didier Ratsiraka qui avait parrainé la reconnaissance par ses pairs de la nation érigée par le Front Polisario, cet ennemi juré. Quel meilleur camouflet lui infliger que de se lier avec son tombeur !
Mais Sœur Anne a eu beau scruter par delà les dunes, elle n’a rien vu venir de bien consistant pour ce qui est des relations entre les deux pays. À qui la faute, sinon, en tout premier lieu, à une tutelle solidement établie par l’ancien colonisateur sur les perspectives d’ouverture de ses anciennes possessions, dans le but de préserver au mieux ses intérêts. Un patron d’entreprise français a une fois tourné en dérision les limites de la coopération Sud-Sud en ces termes : « Je t’achète ton café et je te vends le mien. » Tout commentaire serait superflu…
En remontant encore plus le cours de l’Histoire, c’est en 1954 que le Sultan Sadi Mohamed Ben Youssef, qui deviendra le Roi Mohamed V du Maroc en 1956, s’est permis d’agrémenter son exil antsirabéen par une visite du Palais de la Reine en compagnie de son fils, le futur Hassan II. Les chroniqueurs ont retenu que cette petite escapade a été par la suite très mal ressentie par Paris, qui y voyait la jonction symbolique entre deux souverainetés perdues, mais peut-être pas tout à fait résignées. Toujours est-il que, malgré la charge émotive que le souverain a gardée de son séjour en terre malgache, aucun impact réel n’a été constaté sur les relations entre le Maroc et Madagascar durant toute la Première République. Pire, en 1976, avec l’avènement du problème sahraoui sous le règne de Hassan II, les mêmes relations entre deux pays qui auraient pu être très proches sont tombées au-dessous de zéro. Au sommet de Freetown de ce qui était encore l’Organisation de l’Unité Africaine, Hassan II ne s’est pas privé, avant de claquer la porte, de fustiger les chefs d’États « progressistes », dont le Malgache Didier Ratsiraka et l’Algérien Chadli Bendjedid.
On a souvent dit que l’Amiral nourrit un certain complexe vis-à-vis des Andriana.
Des projets en gestation
Vrai ou faux Toujours est-il que malgré leur ressentiment réciproque, il a tenu à assister en personne aux obsèques d’Hassan II à Rabat, en compagnie de sa ministre des Affaires étrangères, Lila Ratsifandrihamanana. Pendant ce temps, durant toutes nos années de braise révolutionnaire, l’ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique à Madagascar a essayé de tuer le temps comme il l’a pu, de préférence au casino de l’hôtel Hilton…
En 1993 sous le régime des Hery Velona, le Premier ministre Francisque Ravony est allé en visite d’amitié et de travail au Maroc pour relancer des relations trop longtemps gardées sous l’éteignoir. Il a été très cordialement reçu par Hassan II en personne, mais au-delà de la suavité du communiqué conjoint, Sœur Anne a une fois de plus dû abandonner son guet, ne voyant rien venir.
Quinze ans plus tard, en 2008, l’ambassade marocaine à Antananarivo a bruissé de différents projets sociaux en gestation, dont la construction d’un hôpital haut de gamme à Antsirabe, qui porterait le nom de la princesse Lalla Amina. « Le plan est prêt, il sera érigé juste à côté de l’Hôtel des Thermes », a tenu à préciser l’ambassadeur Mohammed Amar, avant d’annoncer un autre projet centré sur la condition féminine dans le Vakinankaratra. Hélas, le Maroc n’est pas visiblement entré dans le schéma tactique, comme disent les footballeurs, du patron de l’empire Tiko, dont Antsirabe est pourtant le fief…
Et maintenant Et maintenant c’est officiel, le Maroc hébergera la COP22 en novembre 2016. À ce rendez-vous planétaire, le royaume chérifien est décidé à faire aussi bien que la France en 2015, d’autant plus qu’il a de nombreux projets d’envergure en matière de développement durable. Qu’on en juge : le Maroc s’est engagé à réduire de 13% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. La part des énergies renouvelables passera de 28% en 2008 à 42% en 2020. La plus grande centrale solaire du monde ouvrira ses portes à Noor, près de Ouarzazate, et elle pourra fournir jusqu’à 70% de la capacité d’un réacteur nucléaire. Lors de la dernière COP21, Mohammed VI a été catégorique en affirmant que son pays est devenu « un acteur majeur de la transition énergétique en Afrique et dans le monde ». Si Madagascar prend réellement au sérieux ces questions vitales, il ne trouvera pas d’autre partenaire plus approprié que le Maroc. Il y a là matière à rattraper le temps perdu. Mais il est vrai que pour cette même période de novembre 2016, la Grande Île court déjà après d’autres lubies. À en pleurer ?
Antsirabe – Pierres fines, pierres sucrées
proposées pour nous conduire « à la source ». Non pas aux carrières d’Ibity, mais à Ambohimanambola où, semble-t-il, tout se négocie.
La route est belle avec, de part et d’autre, les maisons paysannes enfouies dans leurs vergers, les rizières à perte de vue, les champs de maïs sur les pentes des collines. De temps en temps, des silhouettes que l’on croyait à jamais disparues, celles des cantonniers. A trois kilomètres de Betafo, ce qu’il reste des eaux chaudes avec leurs cabines rudimentaires dont on bouche le canal d’évacuation avec un bout de chiffon. Et puis, après deux méprises de nos guides, sur la gauche, une montagne aux flancs ravinés par l’érosion qu’il faudra escalader. La piste dépasse bientôt les limites du praticable, et nous envisageons sérieusement de tout abandonner pour retrouver au plus vite le cocon sécurisant de la Ville d’Eaux. Un recours providentiel nous vient sous la forme du 4×4 d’un vazaha retraité qui s’efforce de cacher sa passion des pierres sous une fausse indifférence. Un bouvier se propose de garder notre voiture jusqu’à notre retour.
Aucune âme qui vive aussi loin que porte le regard. Mais ne voilà-t-il pas qu’après une échancrure, apparait subitement une barrière chétive avec l’inscription à demi effacée : Ambohimanambola. C’est jour de marché. Une foule, surgie de nulle part, s’en va et s’en vient sur un morceau de route en pente. Beignets, bananes, savons artisanaux en boules grisâtres, mais de comptoir de pierres, point ! Des collecteurs circulent en silence avec leurs sacoches. Depuis une semaine ils ont fait les carrières de Fidirana, d’Anjanabonoina, de Vohitrakanga. L’informel dans toute sa nébuleuse et, pour nous, un reportage qui tourne court …
Prochaine étape, un fabricant de pierres… sucrées « vatomamy », les bonbons gasy de Lolo sy ny Tariny qui ne se rencontrent plus qu’en campagne. L’artisan qui nous accueille, travaille en famille. Dix kilogrammes de sucre, trois litres d’eau et du jus de citron. Une température à bien surveiller car garante de la dureté et de la qualité du bonbon qu’on obtiendra. Refroidissement, colorants et parfums, malaxage dans un va-et-vient vertical. Passage dans un laminoir manuel afin de donner à la pâte les formes voulues. La coupe finale est faite soit au fil, soit au ciseau. Pesée et mise en sachets des cigarettes, billes, poissons et crevettes multicolores. Bonne année, les enfants !
![This undated picture taken at the the worldwide headquarters of the Transcendental Meditation (TM) movement shows its founder the Maharishi Mahesh Yogi, once a spiritual advisor to the Beatles. The Maharishi who was thought to have been 91 years old, died on February 5, 2008 in his Dutch home. He had been living in the tiny village of Vlodrop in the Netherlands since 1990. AFP PHOTO/ANP/PETER WIJNANDS netherlands out - belgium out / AFP / ANP / PETER WIJNANDS]()
Mysticisme – La regénération par l’Orient
Un de ces repas autour desquels des Malgaches qui se sont perdus de vue depuis un certain temps, aiment bien se retrouver. H… se propose pour la prière, et en prononce une, somme toute bien classique, sauf qu’elle la termine par un « Merci Krishna » auquel personne ne s’attend. De toutes les façons, improvise-t-elle sur le coup, consciente d’avoir jeté un froid, Krishna et Kristy sont de la même racine. Mais comment elle et toute sa famille peuvent-elles bien être influencées par un phénomène qui a, avant tout, ciblé un Occident dégoûté de sa faible et froide spiritualité ?
En 1944 déjà, soit vingt ans avant le phénomène hippy, Somerset Maugham publie un curieux roman prémonitoire dont le héros décide d’aller passer cinq ans dans l’ashram d’un yogi qui l’initie à la méditation. La fiction se fait réalité dans les années 60-70, alors que l’Amérique est au faîte de sa puissance, quand des dizaines de milliers de jeunes aux cheveux longs prennent la route du toit du monde et de ces pays baignés par l’Indus et le Gange, pour fuir la faillite morale de leur propre univers de béton. Si le bonheur est possible, ce ne peut être que « là-bas », aux confins du globe, sous l’omnisciente conduite d’un yogi, d’un moine bouddhiste, ou d’un sadou vishnouiste détenteurs de LA vérité.
Trois sont au top du top et se réservent généralement pour les « renonçants » les plus fortunés : Maharishi Mahesh, ancien gourou des Beatles et inventeur de la méditation transcendantale, Swami Muktananda qui puise surtout parmi la jet set internationale, et Bhagwan Rajnesh surnommé le « charlatan fou », qui a l’habitude de franchir les quatre-vingts mètres séparant sa résidence de son ashram en Rolls Royce. Car là est bien le dilemme : l’arrivant tombe souvent sous l’emprise de véritables hommes d’affaires qui lui prodiguent en échange une religion imaginaire grouillant de faux semblants, de fragments de spiritualité domiciliés dans un sanctuaire devenu une sorte de Club Med de l’âme. Sous couvert d’initiation, il s’installe dans une fragilité et un état de dépendance dont il lui sera chaque jour plus difficile de s’échapper. À raison de vingt minutes de méditation matin et soir, Maharishi Mahesh garantit à ses apprenants qu’ils pourront maîtriser la lévitation au bout de quelques mois. Sauf que pendant ce laps de temps, beaucoup de choses peuvent arriver, dont le dépérissement physique et moral de certains pour qui la route de Katmandou se révèle dramatiquement sans issue.
Overdose dans l’escalier
Car la coexistence entre Occidentaux et locaux est moins facile qu’ils l’espèrent en arrivant sur ces Terres Promises. D’abord, ils ne fréquentent pas les mêmes ashrams, différence de tarifs oblige. Ce qui intéresse en premier lieu les Indiens, les Népalais, et autres Thaïs, c’est souvent moins leur soif de regénération que leur pouvoir d’achat. Si bien qu’au fil du séjour, les communautés de Blancs se recréent, et que les relations avec les autochtones se réduisent au strict nécessaire : le logeur, le serveur, tel fonctionnaire, sans oublier un personnage qui prend petit à petit de l’importance chez les plus vulnérables : le dealer. Nombreux sont ceux que la dépendance aux poudres et aux acides entraine sur une pente folle avec pour terminus l’épuisement, ou l’overdose dans une cage d’escalier…
Pourquoi donc les révoltés de cette époque sont-ils plus attirés par l’Inde et l’Asie du Sud-Est que par un islamisme radical à la Daech Peut-être estiment-ils que, religion monothéiste, l’islam est encore trop près du christianisme ou du judaïsme pour vraiment les dépayser. En plus, soucieux de leur propre salut plutôt que de jouer au soldat d’un quelconque califat, ils sont mieux à leur aise dans les préceptes individualistes et non violents du bouddhisme et de l’hindouisme. C’est ainsi en tous cas que H… vit ses convictions, sans gêner qui que ce soit, comme, avant elle, une sœur cadette partie trop tôt, et dont les cendres sont dispersées « là-bas » sur un fleuve sacré…
Rétro pêle-mêle
On dira du colonel Khadafi tout ce qu’on voudra, mais personne ne pourra nier qu’il a toujours eu un faible pour Madagascar. A peine adoubé, Andry Rajoelina a eu l’honneur de sa tente et de sa table. Il semblerait que l’itinéraire du plus jeune président du monde lui rappelle par certains côtés le sien. Didier Ratsiraka était un de ses zélés thuriféraires du temps où il suffisait de hurler dans un micro pour faire triompher la révolution. Marc Ravalomanana, pour sa part, a reçu du Guide un cadeau biblique seyant bien à son personnage de vice-président de l’Église Réformée : des chameaux.
A qui Khadafi ressemblait-il le plus D’Hitler, il avait cette faculté de théoriser les visions les plus insensées. Il savait faire le pitre aussi bien qu’un Mussolini ou un Idi Amin Dada. D’un niveau intellectuel bien en dessous de la moyenne, il parvenait à fasciner les plus grands. Moderniste en matière d’Islam, il prenait au sérieux la menace intégriste. Son élimination a fait de la Lybie une tête de pont idéale pour l’État islamique, aux portes de l’Europe.
Des intellectuels tarés. Cette expression est de l’ancien président béninois Mathieu Kérékou, quand il confessa à son peuple qu’il ne connaissait rien du marxisme-léninisme, mais que ce sont les intellectuels qui l’ont convaincu de prendre cette voie qui s’est avérée désastreuse. La question peut effectivement se poser sur la part de responsabilité de ces carriéristes obséquieux dans les déboires de leurs pays respectifs. Quand le général mauritanien Ould Abdel Aziz prit le pouvoir en août 2008, une véritable procession de 150 ingénieurs, professeurs, et hauts fonctionnaires vint s’agglutiner autour de la mangeoire. Madagascar a connu, et continue de connaître le même phénomène. Quelques-uns prirent néanmoins le parti de tourner en dérision ces pseudo-élites, comme le regretté Jean Bemananjara qui clamait à qui voulait l’entendre, qu’il était diplômé de l’ESBS. Un établissement qui n’a jamais existé, « Bema » faisant simplement allusion à une École Supérieure du Bon Sens…
AK 47. A comme Automat, K comme Kalachnikova, 47 comme 1947, l’année où le sergent Mikael Kalachnikov a remis à l’État-major, son nouveau fusil mitrailleur inspiré d’un modèle allemand. Simple, léger, robuste, précis jusqu’à 300m, réputé ne jamais s’enrayer, le bijou préféré des criminels malgaches est presque septuagénaire. Ses premières victimes furent les ouvriers hongrois entrés en insurrection en 1956. Les Viêt-Cong en feront leur arme fétiche, imités par toutes les guérillas et mouvements de libération de tous les continents. Internationalisme prolétarien oblige, l’URSS autorisa ses satellites comme la Roumanie, la Bulgarie, la Yougoslavie, mais aussi le rival chinois, à le fabriquer soit à l’identique, soit avec quelques variantes.
Son créateur a toujours été fidèle à l’idéal communiste, et a fait don de sa collection personnelle d’armes au Musée du Kremlin. Patriote, il n’a pas demandé non plus le moindre kopek de royalties sur l’AK 47, mais a confié à sa famille le soin d’exploiter la marque. C’est ainsi qu’il y a aujourd’hui des stylos, des briquets, et même une vodka Kalachnikov dont on ne sait pas si elle a le même pouvoir d’étendre raide celui qui s’y frotte…
Tom Andriamanoro