À la veille du choix d’Air Madagascar entre Ethiopian Airlines et Air Austral comme partenaire, en entrant dans le capital de la compagnie aérienne nationale, il est intéressant de connaître le secret de la réussite économique de l’Éthiopie. La renaissance de l’ariary, en 2003, est évoquée après le retour de Madagascar dans le giron des institutions de Bretton Woods.
Développement – L’Éthiopie, ou la politique de la main de fer
Il fut un temps où l’Afrique subsaharienne était fière d’un transport aérien qui a grandi trop vite, et où l’on égrenait des noms aussi prestigieux les uns que les autres : Camair, Air Gabon, East African, Air Madagascar, Air Afrique… Des compagnies dont la totalité ou presque n’a pu résister aux turbulences, à une exception près : Ethiopian Airlines. Pas tout à fait une étrangère pour Air Madagascar qui, dans les années 70, disposait d’un Centre de maintenance certifié par le Bureau Veritas, mais où tout était à faire en matière de malgachisation de l’encadrement. Comme Addis-Abeba avait un excellent Centre de formation de pilotes et de mécaniciens, Malgaches et Éthiopiens parvinrent à un accord Sud-Sud modèle : la formation d’une dizaine de jeunes diplômés malgaches par an, contre la révision d’équipements et de matériels aéronautiques à Ivato. Un demi-siècle plus tard, la compagnie éthiopienne, solide comme un roc, est sur les rangs pour sauver son ancienne partenaire à l’agonie. Il se dit que ses conditions draconiennes pourraient difficilement convenir à la sinistrée, qui serait mieux à son aise dans la bonne vieille tradition française. Car l’Éthiopie contemporaine, notamment sous l’ancien Premier ministre Meles Zenawi, architecte d’un modèle dit développemental de croissance économique, n’a jamais connu que la méthode du gant de fer et de l’absence d’état d’âme, efficace dans les chiffres et les courbes, quand bien même les résultats clamés ne concerneraient qu’une partie de la population.
L’économie éthiopienne affiche un des plus forts taux de croissance de la planète avec une moyenne de 10% par an. Pour bien étaler à la face du monde ses succès, Addis-Abeba s’est doté du tout premier réseau de tramway en Afrique, et s’appuie sur la coopération chinoise pour activer les projets hydroélectriques et industriels destinés à réduire la dépendance vis-à-vis de l’agriculture, et asseoir la préférence donnée à la croissance manufacturière. Et c’est là que le bât blesse car aucun compte n’est tenu des réalités notamment démographiques et socioculturelles, du pays. Le fameux modèle développemental rigoureux s’inspire des tigres asiatiques, comme la Malaisie, la Thaïlande, ou l’Indonésie. Il se traduit par un interventionnisme d’État, seul à même d’effacer « les terribles échecs sur les marchés et les inadéquations institutionnelles qui engendrent des cercles vicieux et la misère ». Ce qui n’a pas été prévu par les théoriciens, c’est que l’État omniprésent et interventionniste est, de fil en aiguille, devenu synonyme d’État répressif, suscitant le mécontentement chronique de la population, notamment en Oromia qui est la plus grande des neuf régions ethnolinguistiques du pays. De leur côté, les bailleurs de fonds ignorent, ou font semblant d’ignorer la situation réelle créée par un développement inégal et une répartition inique des bénéfices. Comme dans d’autres pays, ils veulent prouver l’adéquation et l’efficacité de leur « aide ». CQFD.
Révolte oromo
Les manifestations des Oromos laissés en rade du développement alors qu’ils constituent 40% de la population, sont presque devenues une routine, tout comme les violentes représailles du gouvernement. En mai 2014, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour écraser un soulèvement paysan provoqué par la saisie de leurs terres. Il y a quelques mois de cela, une bousculade de manifestants fuyant la répression a tourné à l’hécatombe, ils s’étaient précipités sans le savoir dans un grand trou de chantier. On recenserait aujourd’hui 20 000 prisonniers politiques de cette ethnie, soit un Oromo sur 1 400. Pendant ce temps, le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) entouré d’un pseudo-front composé de partis-croupions, contrôle le gouvernement central, les institutions, l’armée, et une grande partie de l’économie. Les lois sur la sécurité nationale font partie de la panoplie destinée à museler les citoyens. Et malgré un bilan catastrophique en matière de Droits de l’Homme, l’Éthiopie continue à bénéficier du soutien d’une Communauté internationale qui excelle dans l’art de ne rien voir et ne rien entendre.
Barack Obama a été le premier Président américain en exercice à visiter l’Éthiopie, géopolitique oblige, puisque ce pays est le rempart le plus sûr contre le terrorisme islamique très actif dans la Corne de l’Afrique. Il a, quand même, assorti sa visite d’une ironie mordante en qualifiant le front dominé par le FLPT de « parti unique démocratiquement élu ». Ce dernier avait raflé la totalité des 547 sièges du Parlement, difficile de faire mieux. Des voix commencent à se faire entendre, comme quoi la seule solution pour sauvegarder la stabilité de l’Éthiopie et lui assurer un vrai développement partagé a un nom : le fédéralisme, qui élargirait l’espace politique et impliquerait toutes les parties. Mais comme tous les régimes impopulaires maintenus par une force répressive, les Tigréens ont une autre lecture de l’intérêt supérieur de la nation.

Le Boeing 777 freighter consomme 18% moins de kérosène que le Jumbo-cargo Boeing 747.
Avion – Les enjeux environnementaux de l’aérien
C’est peut-être le benjamin des soucis du passager lambda en montant dans son avion mais, plus grave, c’est peut-être aussi celui de décideurs irresponsables qui choisissent un nouvel appareil en fonction uniquement de la commission escomptée. Certaines informations sont à connaître, qui rassureront les uns, et culpabiliseront les autres.
-Pour choisir une année repère, pourquoi pas 2005, les émissions de CO2 de l’aviation commerciale s’élevaient à 706 millions de tonnes, soit juste 2% de ce qui est émis par toutes les sources confondues. Un bon point. Néanmoins les moteurs d’avion émettent aussi des oxydes d’azote, de la vapeur d’eau, et des particules qui affectent l’atmosphère.
-Un problème de l’aviation à moyen terme, c’est qu’elle ne dispose pas d’énergie de substitution au kérosène, contrairement à d’autres industries. Dans le présent, la modernisation menée à bon escient entre 2002 et 2007 par Air France par exemple a permis de diminuer de 12% la consommation de kérosène par passager.
-Le choix d’un nouvel appareil ne se fait pas au petit bonheur. À titre d’exemple, le Boeing 777 Freighter consomme 18% en moins de kérosène par rapport au 747 Cargo, la différence entre l’Airbus A318 et le B737-500 étant pour sa part de -13%.
-L’image du pilote portant un gros cartable se perd. Aujourd’hui on allège au mieux possible la masse de base de l’avion (nouveaux sièges, nouveaux matériels de service aux passagers, documentation électronique…)
-À l’atterrissage, les moteurs tournent au ralenti sur une descente continue, alors que si le pilote procède par palier, ils consomment davantage.
-Certaines grandes compagnies proposent à leurs clients de calculer le volume de CO2 émis au cours de leurs voyages, et de les compenser de manière à rendre leurs déplacements « neutres » en carbone. Les fonds ainsi recueillis contribuent à la lutte contre le changement climatique.
-Une tonne de carburant consommé génère 3,15 tonnes de CO2. Le meilleur moyen de diminuer ce chiffre est de mettre en ligne des appareils toujours plus performants et…moins gourmands.
-Côté nuisance sonore enfin, chaque nouvelle génération de moteurs permet de baisser le niveau de bruit de 10 décibels.

Le petit Livre rouge de Didier Ratsiraka avait défini la « Révolution socialiste malgache ».
Histoire – Et l’Ile Rouge sortit du rouge
Les nuits étaient longues, mais pas le temps de sommeil. Il fallait se lever à trois heures du matin pour aligner des pierres devant le bureau (c’est un bien grand mot !) du fokontany, question de s’assurer d’avoir ses quelques kapoaka de riz. Et quand, en rentrant, on se faisait un bon cahvé noir (merci Monsieur Thévenot !), il fallait l’avaler en se pinçant les narines, et sucer un bonbon gasy juste après : du pur jus de quinine, car le sucre n’était plus qu’un doux souvenir. Et ce Premier ministre « la voix de son maître » qui s’évertuait pathétiquement à démontrer que tout cela était dû à la crise internationale ! J’ai relu dernièrement quelques passages du Boky Mena, une belle production de littérature politicienne qui m’a conforté dans mon credo pour 2018 et ses après : tsangan’olona amin’izay fa tsy tsanga-kevitra e ! Juger l’homme sur ce qu’il est, et non sur ce qu’il dit, et ce n’est pas François Fillon qui me persuadera du contraire…
Toujours est-il qu’arriva le jour où l’Ile Rouge sortit du rouge (pas celui des caisses mais du socialisme, ou plutôt de celui qui l’a personnifié et qui, reconnaissons-le quand même, a déjà mis beaucoup d’eau dans son rouge pour en faire un rosé). Les médias européens, hexagonaux en particulier, se remirent à s’intéresser à la brebis égarée comme si les vieux démons étaient définitivement exorcisés. France 2, par exemple, programme « l’Instit » où Gérard Klein, alias l’instituteur Nowak, supplée temporairement une jolie maitresse d’école quelque part dans l’enfer soft des Pangalanes. M6, dans son émission économique Capital, braque ses caméras pendant trois semaines sur les pierres d’Ilakaka et l’or vert de la Sava.
Les milieux écologistes révèlent qu’une ONG italienne du nom de Nature sauvage a obtenu la gestion d’une île dont personne n’a jamais
entendu parler, Ankazoberavina dans les parages de Nosy Be, pour en faire un sanctuaire de la biodiversité. Pas plus de 14 hectares intégralement couverts de forêt vierge et entourés de madrépores, pour parler autrement des coraux.

La Banque Centrale a mis en circulation les billets en ariary à partir du 1er août 2003.
Renaissance de l’ariary
Le trésor écologique d’Ankazoberavina va des tortues géantes aux aigles et aux caméléons, en passant par les lémuriens et une lagune de mangroves intacte comme au premier jour. Les Italiens ont-ils réussi leur pari d’en faire un laboratoire à ciel ouvert, accessible aux scientifiques et chercheurs de tous horizons ?
Les Échos, le plus ancien quotidien éconotmique français, reste patiemment à l’affût jusqu’à ce qu’il trouve la meilleure chaussure possible à son pied : la renaissance de l’ariary, « cette unité monétaire qui avait cours avant le début de la colonisation et qui entérine la fin de la devise d’origine française adoptée il y a plus de 50 ans ». Le journal souligne le caractère infalsifiable de la nouvelle monnaie dont les billets ont été commandés auprès de la Société allemande Giesele und Devrient qui fabrique déjà 70% des billets en euros. L’avenir lui donnera piteusement tort, mais il ne pouvait pas savoir qu’il existe des cas où le génie malgache est cent fois supérieur au génie allemand avec cent fois moins de moyens ! Madagascar étant (déjà) classé 99è sur 102 pays au regard de l’indice de perception de la corruption par Transparency International, le changement de monnaie peut remettre dans le circuit d’importantes sommes discrètement thésaurisées. Et Les Échos d’invoquer la possibilité d’un effet inflationniste, avant de conclure que les banques et les entreprises rencontreront quelques problèmes d’adaptation comptable, contrairement aux 85% de Malgaches ruraux qui n’ont, en fait, jamais abandonné l’ariary. Quant à la Banque Centrale, elle estime que le franc n’ayant plus cours en France depuis l’avènement de l’euro, « la référence à cette monnaie n’a plus sa raison d’être ». Une logique que ne suivront pas les pays africains utilisateurs du franc CFA, puisqu’il faudra attendre 2017 pour que le Tchadien Idriss Debi Itno en touche un mot. Il peut se le permettre, de par sa situation d’allié stratégique incontournable de la France dans le Sahel.
Rétro pêle-mêle
Son nom ne dit peut-être plus rien dans un pays où le cinéma, le vrai, n’est même plus un souvenir. Il s’appelle Charles Gassot, est un des plus grands producteurs de films français, et a signé des titres comme « La vie est un long fleuve tranquille » ou encore « Le bonheur est dans le pré ». Il est tombé amoureux de Madagascar dans les années 90, lors du tournage, pour Canal Plus, du film « Michael Kael contre la World Company ». Ce fut l’occasion pour Gassot de mettre le doigt sur les conditions de vie aux fins fonds de la brousse. Ainsi est née l’ONG Écoles du Monde implantée dans la région de Mahajanga, et soutenue de Paris par des bénévoles. On lui doit des réalisations basiques telles la mise en place d’éoliennes, le forage de puits, le reboisement, et surtout la construction d’écoles comme à Maromiandra, Manarenja, ou Ambondro-Ampasy.
En cette année 2003, la prolifération des cybercafés pourrait laisser penser que Madagascar a fait le grand saut dans l’univers des NTIC. Oui et non. En matière de liaisons satellitaires, le réseau privé VSat (Very small aperture terminal) est en plein boom avec des licences d’exploitation octroyées à Datacom, DTS, Gulsat Madagascar, et Blueline. Le libéralisme joue à fond alors qu’un pays comme l’Afrique du Sud en est toujours au monopole d’État. Le marché malgache de l’informatique est estimé à 16,6 ordinateurs pour 10 000 habitants. Concernant Internet, une dizaine de fournisseurs d’accès se partagent le marché, avec une concentration dans la capitale très marquée. Dans le portefeuille-clients de DTS par exemple, plus de 80% sont localisés à Antananarivo. Tout est encore à faire pour démocratiser la toile.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : AFP – Archives de L’Express de Madagascar