La chronique hebdomadaire de Tom Andriamananoro, comme à son habitude, aborde divers sujets, tant nationaux qu’internationaux. Une manière pour ses lecteurs d’étendre leurs connaissances.
Relations extérieures – Une diplomatie des faux succès
La photo de Nouvel An était réussie : celle de la poignée de main entre les ministres des Affaires étrangères chinois et malgache. Précédée en novembre par celle échangée par le Roi du Maroc et le Président, suivie sauf changement, dans quelques jours, par le même rituel lors du séjour-éclair de M. Erdogan. Voilà trois clichés qui peuvent amener à conclure que les relations internationales de Madagascar se portent bien. Peut-être que oui, sauf que tous les analystes politiques le savent, la Chine, la Turquie et, à un degré moindre, le Maroc, sont justement les pays les plus souvent pointés du doigt en Afrique pour leur expansionnisme. Nous récitons le « win-win » sur tous les tons, mais quand il s’est laissé ferrer, un poisson est bien mal placé pour se croire gagnant aux côtés du pêcheur. Il est au contraire bon pour la poêle…
Concernant le Maroc, tout a commencé avec l’annexion du Sahara occidental par Hassan II que les grandes puissances ont fini par admettre, afin que l’Algérie socialiste ne devienne pas la puissance dominante du Maghreb. L’Afrique, dans sa majorité a fait front derrière le Polisario, bien motivée par Madagascar que le Maroc est actuellement en train de « retourner » à coup de promesses, et surtout l’Afrique du Sud qui avait un passé récent de lutte de libération à honorer. Hassan II n’en avait cure, se sentant plus proche de l’Europe avec qui il partage une frontière physique par l’intermédiaire de l’enclave espagnole de Ceuta, que de l’Afrique. Les donnes ont aujourd’hui changé du tout au tout, avec un Mohammed VI qui veut récupérer le fauteuil laissé à d’autres au sein de l’Union Africaine, avec à la clé un leadership continental dont le Maroc s’estime désormais digne. Le monarque assistera en personne au prochain Sommet d’Addis-Abeba, l’Éthiopie ne produisant pas de litchis qui risqueraient de le distraire de ses obligations…
Concernant la Chine tout a été dit, avec à sa tête un « métissé rouge et libéral », Xi Jinping, dont Jean-Pierre Raffarin qui s’y connaît en matière de crocodiles, disait « qu’il dépasse tous les autres dans le marigot politique ». Tout en envoyant sa fille étudier à Harvard sous un faux nom, il n’hésite pas à embastiller journalistes, défenseurs des Droits de l’homme, blogueurs, éditeurs rebelles, mouches et tigres de la politique ou des affaires, en un mot tous ceux qui le dérangent. Le « rêve chinois » de M. Xi est à la fois simple et sans frontières, il consiste à étendre et défendre, par toutes les sournoiseries politiques possibles, la puissance chinoise. Depuis 2015, plusieurs grandes publications américaines voyaient en lui un nouveau Mao, peut-être même plus inquiétant que le premier. Pékin a beau réfuter la notion de Chinafrique, le ministre Wang Yi a beau jurer que « nous ne suivrons jamais les pas des colons occidentaux, et notre coopération ne se fera jamais au détriment des intérêts de l’Afrique », les faits sont têtus. Ils donnent auprès des populations africaines l’image difficile à contredire d’une Chine corruptrice et exploiteuse, pour dire les choses telles qu’elles sont, colonialiste. De quoi faire se retourner dans son mausolée un Lénine que la Chine n’a pas encore officiellement renié.
![La Turquie s’achemine vers un régime hyper présidentiel.]()
La Turquie s’achemine vers un régime hyper présidentiel.
Fermeture des écoles
« Une catastrophe ! » Les parents d’élèves marocains (toujours le cercle infernal !) n’avaient que ce mot à la bouche quand les autorités ont décrété la fermeture, d’ici un mois, de toutes les écoles censées être liées au prédicateur turc, Fethullah Güllen. La visite à Rabat d’une délégation parlementaire turque a suffi pour parvenir à ce résultat, à quoi donc devra s’attendre le Collège La Lumière de Talatamaty quand M. Erdogan en personne foulera le sol malgache On ne le répètera jamais assez : la question n’est pas de discuter s’il y a réellement eu une tentative de coup d’État, le 15 juillet 2016. Avec les dizaines de milliers d’interpellations dans tous les milieux de l’intelligentsia turque, il est patent que l’évènement a été pris pour prétexte pour décapiter tout courant de pensée différent de celui du Président. Pour reprendre le quotidien Hürriyet Daily News, « la Turquie est un système présidentiel de facto, et seul compte le pouvoir du Président. Pour ses partisans, ce dernier incarne la volonté nationale. C’est donc l’acceptation ou le refus de sa volonté qui définit l’ami ou l’ennemi de la nation. Il n’est plus question d’indépendance de la justice ni de séparation des pouvoirs, puisque les lois sont appliquées selon cette nouvelle définition du crime et du châtiment ».
Tongava soa, M. Recep Tayyip Erdogan, vous êtes chez vous chez nous.
![L’aménagement du terrain de sport de Mahamasina en 1935.]()
L’aménagement du terrain de sport de Mahamasina en 1935.
Sport – Les sportifs victimes de l’indifférence
Dans sa chanson « tsy m’raharaha » – est-ce le titre, mais peu importe – Dama désespère de cette apathie généralisée, cette absence totale de réaction en passe de devenir la nouvelle nature du Malgache. Que gonfle le ventre des enfants kéréisés, que perdure le combat inégal des crosses et des mains nues, que périsse et pourrisse l’environnement, et ceteri et cetera : « tsy m’raharaha ! » Que l’Ikopa se traverse à pied sec et que les sismographes commencent à flirter avec le 6 sur l’échelle de Richter, ce ne sont jamais que des curiosités bonnes à se raconter, et à oublier. Et qu’on retire à Madagascar l’organisation de la Coupe d’Afrique U17 de football, un véritable coup de tonnerre, c’est tout sauf un drame, tout le monde est coi, des autorités au simple accro de la balle ronde en passant par la Fédération : « Tsy m’raharaha ! » Les priorités sont ailleurs, on prépare une importante candidature pour la présidence de la CAF…
Trois facteurs entrent prioritairement en compte dans l’octroi, ou le retrait, de l’organisation d’une manifestation de cette ampleur : la maîtrise des technologies permettant une retransmission de qualité en temps réel, les conditions d’hébergement, de restauration et de transport sur lesquelles les délégations ne transigent plus de nos jours, et enfin les infrastructures sportives, des terrains d’entraînement à ceux de compétition. Madagascar a certainement surtout achoppé sur la troisième condition qui a, de tout temps, été le parent pauvre du sport malgache, pour cause d’indifférence. La CAN 2017 qui meuble les soirées amène à cette évidence : nos stades sont à des années-lumière de ce qui se fait ailleurs, même chez nos pairs africains. Où sont les vestiaires aménagés en sous-sol, les tunnels d’accès qui sécurisent les joueurs, les pistes synthétiques pas nécessairement de couleur standard pour les stades mixtes, les sièges individuels multicolores et confortables, les loges VIP, les tribunes de presse avec autant de boxes qu’il en faudra, les arrière-plans qui soient autre chose qu’un vaste urinoir public, les installations pour une publicité défilante car les images, cela se vend Pas chez nous. Mahamasina qu’on appelle fièrement « kianjabe », est en fait une carcasse inachevée et obsolète. Les trois « tribunes » sont des antiquités, œuvres du premier ingénieur malgache en BTP dans des temps oubliés, qu’on a vainement rallongées par-ci, surélevées par-là. Les quelques aménagements sous les gradins relèvent de l’improvisation, sans aucun plan directeur. Le rugby n’est pas à meilleure enseigne, puisque le stade Maki n’est plus qu’un pauvre espace pelé. Il ne peut en être autrement, quand on pense qu’il doit héberger jusqu’à sept matches en une seule journée. Même Wembley et le Stade de France ne pourraient supporter ce rythme. Une pelouse ne se plante pas seulement, elle s’entretient.
Si Madagascar est championne du monde de pétanque, c’est que les Malgaches peuvent s’adonner à cette passion sur n’importe quel terrain vague. Si des combattants ont pu devenir champions du monde de kickboxing ou de savate, c’est qu’à la limite, ils pouvaient entretenir la forme dans leur cour. Si nous avons atteint le toit continental en beach soccer, c’est que la Grande île a 5 000 km de côtes. Mais qu’un sport exige des infrastructures adéquates, voilà que Madagascar s’enfonce dans les abysses des classements mondiaux. La solution est pourtant là, elle est même envahissante : les Chinois. Qu’on leur demande de construire un stade aux normes de la FIFA de
30 000 places (le double pour la capitale), et un complexe omnisport moderne n’oubliant ni les courts de tennis, ni la piscine olympique, ni le boulodrome par chef-lieu de province, le tout s’ajoutant à ce qui existe déjà. C’est encore ce qu’ils savent faire de mieux, pour que notre or serve au moins à quelque chose…
![Il n’a jamais été président de République, mais simple charcutier de Port-Mathurin, fier de l’être.]()
Il n’a jamais été président de République, mais simple charcutier de Port-Mathurin,
fier de l’être.
Lu pour vous – Rodrigues intime
Comment parler d’un pays, ou d’une ville, sans tomber dans les mièvres artifices de la littérature touristique qui n’engagent que leur commanditaire Comment les faire aimer sans les rabaisser au simple rang de consommable, comment toucher du doigt leur âme Le photographe Jean-Marie Chourgnoz, co-auteur avec Frédéric Dard d’un superbe ouvrage sur Lyon, avait choisi de bannir toute présence humaine de ses pages, pour parler de leur ville sans l’entremise des Lyonnais : « Façades qui ne sont pas que façades puisqu’elles expriment toute l’âme de la ville… Lyon, c’est des maisons, et encore des maisons. Voici les maisons de Lyon, en troupeau sage. Et ne soyez pas surpris qu’il n’y ait personne aux fenêtres. Toute la population vous regarde feuilleter cet ouvrage, vous pensez bien ! Mais elle reste invisible … Cet ouvrage n’est pas un album de cartes postales, vous ne trouverez à peu près personne sur ces photos, car il s’agit d’un livre silencieux étant livre de rêve».
Un autre tandem a choisi une approche contraire pour parler d’une île oubliée de l’océan Indien, Rodrigues. La journaliste technique Anne Debever s’est immergée, pendant dix ans, dans la microsociété rodriguaise avant d’y revenir en 2010 avec le photographe Jacques Chatelain, et en parler d’enfin presque de l’intérieur. « Ce que j’aurais vécu de plus fort à Rodrigues, ce fut LE lieu et LE moment de ma vie où le plus souvent j’ai été émue aux larmes ». Jacques Chatelain, son binôme pour cette aventure humaine, avait, pour sa part, un regard neuf : « Ceux que j’ai rencontrés à Rodrigues m’ont aidé à mieux appréhender l’âme du pays où ils vivaient, et que je découvrais. Il m’en restera des rencontres, des mots, des visages ». Car contrairement au livre sur Lyon, l’élément humain est ici présent pratiquement à chaque page. Les auteurs ont choisi de donner la parole aux habitants afin que la société rodriguaise se décrive par elle-même :
« Discrets, nous nous tenions ainsi à notre juste place. Le rôle que j’ai souhaité que soit attribué à l’image dans ce livre est tout autre que celui des illustrations publiées dans la littérature touristique. Notre pari de départ était audacieux : réussir une photographie instantanée d’une société insulaire figée à l’instant T ».
![« Coste, slam so so. Pran zot slam ». Venez, le slam est chaud, prenez votre slam!]()
« Coste, slam so so. Pran zot slam ». Venez, le slam est chaud, prenez votre slam!
Rodrigues au Nord-Est de l’Île Maurice, ne figurait même pas sur la carte de l’océan Indien de l’Institut Géographique National, cette référence pourtant mondiale, avant l’année 2000 ! C’est vrai qu’elle n’a que 110 km² de superficie, et qu’aujourd’hui encore, son ciel est presque vide de tout trafic aérien de proximité. La composante de base de la population est d’origine africaine et malgache et s’y sont greffés par la suite des apports chinois, hindous, et plus rarement arabes.
![Sont-ils les petits héritiers de l’Afindrafindrao ?]()
Sont-ils les petits héritiers de l’Afindrafindrao ?
Une vingtaine d’hommes et de femmes ont de bonne grâce parlé d’eux-mêmes et de leur pays, ce qui finalement revenait au même, tissant de la troisième île des Mascareignes un…bemiray respirant à pleins poumons la fierté et la joie de vivre. Marie-Ange E. est spécialiste du conditionnement de piment. Au bazar de Port-Mathurin la seule ville de l’île, les couleurs vives de ses étiquettes attirent locaux et touristes. Gladys L.B est institutrice. Elle a débuté dans une petite case en tôle avec huit élèves, et en a aujourd’hui trente. Comment ne pas parler de Roland M. dont la ressemblance avec une personnalité malgache contemporaine est saisissante! Il est charcutier, est passionné par les affaires, et avoue travailler à en oublier de dormir. Mais notre coup de cœur est allé à Daris, un conducteur de ces bus de Rodrigues dont les carrosseries peintes et revernies rivalisent de créativité. Daris a choisi pour motif le superbe lagon de Baie-Malgache qu’il dessert régulièrement avant de continuer jusqu’au terminus de la ligne à Montagne-Malgache, dans les hauts de l’île. Quand on vous dit que ce sont des cousins germains dont on ignorait jusqu’à l’existence…
Bon vent à qui s’y laissera dériver un jour. Comme disait Nicolas Bouvier cité dans ce livre, « un voyage se passe de motif, il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait et défait ».
Rétro pêle-mêle
Crise de 2002, une erreur sur la personne, celle de Guy Willy Razanamasy. Parmi les domiciles pillés ou incendiés lors du « lundi noir » du 8 avril, figure celui de l’ancien maire de la capitale. « Lesola », comme on le surnomme familièrement, a pourtant laissé de bons souvenirs aux Tananariviens. Il avait ses entrées chez Didier Ratsiraka à Iavoloha, mais il a toujours su garder une certaine distance.
« Tous à la maison de Razanamasy ! Je l’ai vu donner un coup de pied à un jeune responsable de barrage. » Ainsi s’exprimait une dame bien sous toutes les coutures, tout en regardant se consumer le domicile de Tsaranazy à Ambatomaro. Pour un autre émeutier, « il a participé à une réunion chez José Kely ». Le tristement célèbre « haza lambo » a laissé le champ libre à toutes les dérives, et Razanamasy a été victime de la clameur publique. « On m’a même accusé d’avoir hébergé Ampy Portos », soupire le lion devenu vieux, avant d’ajouter : « C’est la première fois de ma vie que des Merina comme moi me pillent. »
Cette même crise, une des plus graves que le pays ait connue mais évacuée des mémoires par une autre, a été ponctuée de silences à crever le tympan. Celui de l’évincé, qui a voulu refaire le coup de 1991 où il s’est muré dans ses appartements pendant des mois. Celui de l’autoproclamé qui, après avoir réalisé des progrès fulgurants sur la Place du Treize-Mai, a vite attrapé le syndrome de la bouche cousue, laissant le front médiatique à ses lieutenants. Celui des « Ainés de l’Imerina », à un moment où ce haut-lieu de la civilisation du verbe était menacé dans ses fondements. Même le plus grand tribun que la classe politique ait enfanté semble avoir épuisé ses cartouches. Celui de l’Arema qui vit son agonie dans un silence de cathédrale. Chose étrange, la Grande Muette n’a jamais autant parlé, les hauts gradés se tirant dessus à boulets rouges dans les journaux, comme si tout ce beau monde étoilé s’était trompé de galaxie.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : Archives – Fournies – Internet