Bemiray de ce jour évoque les présidentielles américaines, avec des candidats impopulaires que sont Donald Trump et Hillary Clinton. Le différend de Soamahamanina, avec la destruction probable de la forêt de tapia, est prétexte pour Tom Andriamanoro de parler de nos fameuses soie sauvage écrue.
Élection – Le plus mauvais casting des présidentielles américaines
«Lany olomanga i Etazonia », l’Amérique a épuisé son quota de grands hommes ! Donald Trump et Hillary Clinton font au moins l’unanimité sur un point : ils sont les candidats les plus impopulaires de ces dix dernières présidentielles, et leur confrontation finale semble s’acheminer plus vers un « ady an-tsena », une bataille de chiffonniers sur une place de marché, que vers un débat serein sur l’avenir du pays. Le niveau des pâquerettes n’est pas loin, quand l’un accuse l’autre d’avoir été complice des infidélités de son mari, et que l’équipe de cette dernière joue la carte de la peur, celle de voir un être « foncièrement amoral, qui a gagné ses milliards sur le dos des autres », assis dans le bureau ovale …
Quoiqu’on dise, force est de reconnaître qu’il souffle sur l’Amérique un véritable « phénomène Trump ». Ses principales armes Les exagérations verbales à relents populistes, sur des thèmes provocateurs comme le nationalisme ou la xénophobie, notamment envers les musulmans et les Mexicains. Ce sont des situations dans lesquelles se reconnaît une tranche non négligeable de la population dans son quotidien. Qu’on ne lui demande pas d’être un orateur racé et séducteur, l’approche est lourde, parfois puérile, les promesses difficiles à tenir pleuvent à verse, mais l’auditoire « aime ça », car il y trouve un air de revanche sur tous les maux endurés. En face, Hillary est sa parfaite antithèse, sans que cela se traduise nécessairement par des arguments porteurs : trop prudente, trop raisonnable, trop concentrée sur le réalisable, en un mot, une candidate insipide qui ne fait pas rêver, une adepte du statu quo ante. Là où son rival démocrate Bernie Sanders ose proposer d’enterrer le trop controversé « Obama care » sur la santé et l’assurance maladie, elle tergiverse en arguant qu’il est toujours possible d’améliorer cette loi. Et au lieu de « vendre » un produit nouveau, elle parait soucieuse avant tout de défendre, et de poursuivre le bilan de son mari et de son ancien patron.

La démocrate Hillary Clinton mise sur « Plus forts ensemble » pour inciter les électeurs américains
à voter pour elle.
Opinions négatives
Tout comme les Malgaches qui sont passés du « Madagasikara tsy mandohalika » au « Ny fitiavana no lehibe indrindra », en passant par le « Ento miakatra ity firenena ity » et l’inénarrable « Minoa fotsiny ihany », les Américains sont, eux aussi, avides de petites phrases qui enflamment. Kennedy parlait d’un « flambeau transmis à une nouvelle génération », Reagan d’un « matin en Amérique » après les sombres années 70, Bill Clinton d’un « changement… contre la continuité », qu’Obama modifia en un « changement auquel nous pouvons croire ». Rien de tout cela chez Hillary Clinton qui manque de grand dessein pouvant mobiliser les électeurs, alors que Donald Trump a su combler son déficit par un radicalisme brutal qui ne laisse pas indifférent, en bien ou en mal, peu importe. M’enfin, Madame, est-ce si compliqué de promettre la lumière pour tous en trois mois D’autres l’ont fait !
Steve Schmidt, directeur de campagne de Mc Cain en 2008, a su trouver la meilleure formule pour prédire ce que sera l’issue d’une confrontation qui n’honore guère la démocratie américaine : « Cette élection ne sera pas centrée sur l’avenir de notre pays. Ce sera une course qui se gagnera sur la personnalité des deux candidats les plus impopulaires de toute l’histoire ». Andrew Sullivan du New York Magazine met en garde contre la tentation d’enterrer Donald Trump trop tôt car, dit-il, « la démocratie américaine n’a jamais été aussi près de céder aux sirènes d’un démagogue sans vergogne. Pour notre démocratie libérale et notre ordre constitutionnel, Trump représente une menace d’extinction ». Whit Ayres, un professionnel des sondages dans un pays où les projections n’ont pas l’habitude de se tromper de beaucoup, semble déjà se faire une raison : « Un candidat sera forcément élu. Si vous recueillez beaucoup d’opinions négatives, mais que votre adversaire en recueille encore plus, c’est vous le gagnant ». Une sorte de Président par défaut en quelque sorte, qui ne pourra se prévaloir ni de la confiance, ni de l’engagement d’une grande partie du peuple, et qui devra s’attendre à un mandat mouvementé. Bien piètre perspective au pays de Lincoln…

Lors de son premier mandat, Barack Obamaavait nommé Hillary Clinton secrétaire d’État.
Independance day – Ma lettre à Hillary
Au plus fort de la situation créée par les évènements de 2009, il m’était venu l’envie d’écrire à la Secrétaire d’État américaine. L’envie me prend aujourd’hui de me relire…
Madame la Secrétaire d’État,
Vous comprendrez que le lointain îlien que je suis ne prétendra jamais à une connaissance parfaite de votre pays. Ma vision commence et s’arrête à quelques instantanés glanés ici et là. L’Amérique, c’est tellement immense, avec son cap du 300 millionième citoyen franchi en 2006 ! De quelle couleur était-il Peut-être vous inquiétez-vous déjà en secret de ce que, en 2043, année du 400 millionième, vous ne serez plus que 52% de Blancs contre 84% en 1967. En attendant, Bush fils a eu l’idée de choisir pour image ambulante Condoleeza Rice, et Obama la maman de Chelsea. Simple question d’équilibre et d’à-propos. Au fait, vous aviez, semble-t-il, un des plus gros budgets lors des primaires face au même Obama, ce qui dénote une débrouillardise hors du commun, les donations individuelles étant limitées à 2300 dollars. Dommage que les résultats n’aient pas suivi…
Des broutilles de cette sorte, que je vous dis, c’est malheureusement tout ce que je sais de la patrie des maîtres du monde. Un autre exemple sans importance qui me vient en tête, les relations en « hasslieb » entre les Etats-Unis et le Soudan. Ce pays n’a jamais été banni, malgré les exactions perpétrées par les tristement célèbres milices supplétives d’El Bechir, contrairement à Madagascar qui se demande toujours ce qu’il a bien pu vous faire.
Vous, par contre, avez le véritable art de penser tout savoir, surtout lorsqu’il s’agit de mon pays. Cette pédanterie est-elle de votre propre fait, ou vos réseaux vous induisent-ils en erreur Étrange erreur quand même, de la part d’une Amérique qui a su résoudre l’épineuse équation de la cachette de Ben Laden, alors que l’accès de la Grande île est ouvert sans aucune restriction à vos ressortissants. Vos jeunes du Peace Corps vous enverraient-ils des rapports comme quoi Madagascar est ce pays de la violation des Droits de l’homme érigée en système, dont la description semble vous procurer une indicible jouissance Cela m’étonnerait, ils ont l’air si candide …
J’ai réfléchi lentement et ai compris très vite. Pour avoir roulé ma bosse un peu partout en Afrique subsaharienne, je peux certifier qu’aucune ambassade américaine ne peut y rivaliser avec celle construite à Antananarivo. Impressionnant. La nature de vos accords secrets avec l’ancien Président ne m’intéresse pas, je sais simplement que le « deal » a été contrarié par l’arrivée d’un nouveau pouvoir, et c’est cela que la grande Amérique n’a pas pu admettre. Aussi simple ! J’ignore quelle autre balle sortira demain de votre cartouchière mais, Madame la Secrétaire d’État, ne mettez pas sur le dos de ceux que vous n’aimez pas le fait que Madagascar n’atteindra pas les Objectifs du Millénaire pour le Développement d’ici 2015. Les données de la CNUCED l’avaient déjà prédit en 2006, avec, entre autres raisons, la pauvreté qualifiée d’extrême qui touche plus de 73% des Malgaches, l’insuffisance des investissements directs étrangers, et l’impossibilité pour l’État de pressurer davantage les contribuables.
Lors de la célébration anticipée de l’Independence Day, votre chargé d’affaires a assuré que « le peuple américain a toujours été aux côtés du peuple malgache ». Pour ma part, j’ai trouvé ces propos… hilarants.
Cette missive, je ne l’ai finalement pas envoyée. Lui serait-elle seulement parvenue ?

De belles lamba en soie sauvage écrue malgache.
Tendances – Des forêts de tapia à la soie sauvage
Le jour s’est levé, et les femmes sont déjà à l’ouvrage. Perpétuant des gestes séculaires, elles ont d’abord vérifié la fixation du cadre de leurs vieux métiers à tisser, et ajusté les fils débordant de leurs pelotes. Les cocons ont été ramassés dans les forêts de tapia, un petit arbre endémique de Madagascar, baptisé Boroceras madagascariensis par les scientifiques, dont les feuilles nourrissent les chenilles de la soie sauvage et écrue. Au stade de chrysalide, le cocon est d’abord fixé sur une pointe de métal pour un premier nettoyage. Une cuisson de plusieurs heures dans de l’eau savonneuse le débarrasse des impuretés les plus tenaces. L’amas encore informe de fibres est alors enroulé sur une quenouille, et trempé dans de l’eau de riz qui lui confère solidité et souplesse. Quelques heures de séchage au soleil parachèvent la préparation du matériau. Reste la teinture qui est exclusivement naturelle: la boue noire des rizières pour le noir, le nato pour le rouge, la feuille de grenadelle pour le vert, l’indigotier pour le bleu, sans oublier le dingadingana ou l’eucalyptus parmi des dizaines d’autres possibilités de coloris.

Les cocons sont transformés en fil grâceà un rouet, puis en tissu à partir d’un métierà tisser.
Si, autrefois, seuls les rois, les princes, et les morts avaient droit au port de la soie sauvage, celle-ci a réussi sa désacralisation comme se rappelle la créatrice Nanou Ravelonjanahary : « C’était au début des années 80, je faisais déjà des rideaux avec de la soie écrue, et je trouvais ça très beau. Un jour, j’ai bricolé une robe qui a fait fuir tous mes collègues de bureau ! » La soie sauvage était alors utilisée uniquement pour les linceuls, et véhiculait une image de mort. « Mais le directeur qui était d’une autre culture a apprécié. Ma voie était tracée».

Les forêts de tapia s’amenuisent.
Tourisme et tissage
Les Rakotomalala, une célébrité du quartier d’Ilanivato Antananarivo, dans la soie depuis quatre générations, avouent travailler aujourd’hui à 70% pour la mode. Mais comme la soie mène à tout, la famille a aussi monté en parallèle une florissante affaire de …pompes funèbres. Pour Mirana Andriamanantena de la société Mirado, « la soie est noble, et elle peut bien s’exporter ». À preuve, après un succès remporté en 1998 à Paris par les fibres naturelles de Madagascar, la société a enregistré une commande de 300 pièces d’Yves Saint-Laurent.
Suzanne Ramananantoandro, une professeure de biologie reconvertie dans la soie par passion, a été parmi les premières à donner au tissu naturel une nouvelle image en l’adaptant aux goûts d’une clientèle ignorant les frontières. Elle a notamment adopté le tissage de la soie sauvage en texture lâche « dans le but d’économiser la matière, de faire baisser les prix, et d’élargir les cibles ».
Natacha Ré, qui a longtemps surfé entre tourisme et tissage, est de celles qui aiment marier la soie d’élevage ou « landikely » avec la soie écrue ou « landibe ». En collaboration avec le CITE, elle est l’auteur du tout premier manuel sur le tissage traditionnel, « pour que notre savoir-faire ancestral ne relève plus seulement de la transmission orale ». Mais tous se souviennent de la Foire de Lyon 2003, ville du tissage européen par excellence, où la soie fine, brillante, douce au toucher a rencontré celle de Madagascar, rugueuse, brute, presque agressive. Un véritable choc de cultures…
À Manandriana existait une réserve spéciale de tapia d’une superficie de 400 ha. Il n’en reste plus aujourd’hui qu’une petite cinquantaine pour cause de charbon de bois. Plus près de la capitale, on parlera bientôt aussi du « Fararanon-tapia » au passé, devant un paysage lunaire dessiné par les nouveaux maîtres du sous-sol aux yeux bridés…
Rétro pêle-mêle
2002, Année internationale de l’écotourisme des Nations-unies. Sous l’égide du Programme des Nations-unies pour l’environnement (PNUE) et de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), plus d’un millier de personnes venues de 132 pays ont participé au Sommet mondial de l’écotourisme tenu dans la ville de Québec du 19 au 22 mai 2002.
Ce Sommet a été l’aboutissement de dix-huit réunions préparatoires tenues, en 2001 et en 2002, avec la participation de plus de trois mille représentants de gouvernements et d’autorités locales, ainsi que d’entreprises touristiques, de consultants universitaires, et de communautés
locales. Ils ont notamment reconnu que l’écotourisme englobe les principes du tourisme durable, et qu’il contribue activement à la protection du patrimoine naturel et culturel. Ils ont également réaffirmé qu’à condition d’être gérées de façon durable, différentes formes de tourisme, dont l’écotourisme, peuvent représenter une chance économique précieuse pour les populations locales et pour leurs cultures, de même que pour la protection et l’exploitation durable de la nature dans l’intérêt des générations à venir.
Aux gouvernements, ils ont expressément demandé de garantir la protection de la nature, des cultures locales, des ressources génétiques, des droits sur les territoires et les biens. À la lumière du scandale de Soamahamanina, force est de se demander si le sort des engagements internationaux signés au nom d’un État de droit est d’être oubliés au fond de quelque tiroir Sait-on que les forêts de tapia de cette région sont endémiques de Madagascar, et qu’elles alimentent la fabrication de la soie sauvage malgache, également unique au monde Au lieu de réfléchir sur le vrai développement durable de cette région, on a préféré en offrir une grande partie, pour quarante ans, en holocauste aux pelleteuses pékinoises. Et Madagascar continue à être le champion de l’envoi de délégations lourdes aux Conférences internationales, dont celles sur l’environnement …
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : L’Express de Madagascar – AFP