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Lettre sans frontières – La Journée internationale du Livre

L’évènement se situe au cours de la Journée internationale du Livre. Je ne me souviens plus très bien de l’année. Qu’importe, d’ailleurs (…). Le maréchal Bwakamabé en personne, « en dépit de ses lourdes tâches », vint présider la cérémonie d’inauguration, au cours de laquelle le président de l’Association des écrivains lui décerna, sans réticence, le titre de « nouvel Auguste nègre, grand ami des lettres et des arts, protecteur de tous les créateurs. » On applaudit, et Tonton s’applaudit. À son tour, le ministre de la Culture, après avoir remercié Tonton d’être venu à cette « combien modeste cérémonie », établit des comparaisons entre le nombre d’écrivains qui se firent éditer sous le régime du sinistre Polépolé, et ceux publiés depuis la prise de pouvoir par le Conseil Patriotique de la Résurrection Nationale. Ces chiffres, selon lui, permettaient d’affirmer, de manière irréfutable que notre Président était un « mécène et l’inspirateur infatigable de toute notre production artistique. » On applaudit ce passage, et Tonton s’applaudit bien fort.
Mais, les discours repliés dans les poches et le ruban inaugural tranché, le visage du Chef changea d’expression (…). Ses yeux cherchaient désespérément un livre rare sur les rayons. Il écourta la visite et s’en alla sans participer à l’apéritif d’usage. Avant qu’on ait pu comprendre et alors qu’on commençait à peine à échafauder des supputations, un communiqué radio convoquait incontinent le conseil des ministres.
Une pile de livres sur sa table, le Chef attendait déjà les membres du gouvernement. Les ministres arrivaient un à un, et s’asseyaient dans un silence pesant. Quand le gouvernement fut au complet, le maréchal prit la parole.
« Peut-on m’expliquer pourquoi aucun… »
Il faillit s’étrangler.
« … aucun de mes livres n’a été exposé   Hein   Expliquez-moi ça un peu. »
Le ministre de la Culture, la sueur au front, tenta de fournir une réponse, crut fournir une réponse.
« Et ça alors ?  »
Tonton montrait de son doigt épais les piles d’ouvrages.
« De la merde, ça   Con de ta maman ? ! »
Il donna un coup de poing sur la table. Et il parla, insulta, montra le poing, insulta, parla… Et c’est ainsi qu’eut lieu, ce jour même, un autre remaniement ministériel. Le maréchal Bwakamabé Na Sakkadé s’attribuait le portefeuille de la Culture et des arts.

Henri Lopès in le Pleurer-Rire


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