Tom Andriamanoro, dans sa livraison de ce weekend, détaille l’oppression culturelle vécue par les Malgaches depuis le début de la colonisation, revient sur le couac scandaleux des derniers Oscars de Los Angeles,nous emmène dans certains cimetières-vignobles américains,pour terminer avec l’Église protestante malgache en France.
Histoire – Aux sources de l’école coloniale
Emmanuel Macron a eu des mots très durs à l’adresse de la colonisation lors d’une visite préélectorale en Algérie. Le passé franco-algérien, on le sait, est un chapitre sensible, mais la déclaration, que d’aucuns ont qualifiée de suicidaire pour le candidat, n’eut guère les effets auxquels on aurait pu s’attendre. La peur de la vague bleu marine était finalement plus déterminante que des méfaits, si graves soient-ils, perpétrés en d’autres temps. Mais l’Histoire ne s’efface pas, et il est permis de se demander si les crimes de la colonisation évoqués par Macron couvrent aussi une oppression culturelle destinée à dépersonnaliser tout un peuple, et lui faire fouler ses propres valeurs.
« Nous devons aimer la France qui a voulu que nous nous attachions à elle, que nous l’aimions. » Cette profession de foi est extraite du premier numéro du journal des anciens de l’école Le Myre de Vilers, lequel journal a également pris soin de mettre en bonne place un extrait de la copie d’un élève datant de 1902 : « Les Malgaches étaient un peuple barbare, si bien que le gouvernement dut créer l’école afin de répandre la civilisation. » En 1926, la directrice d’Avaradrova n’était pas tendre vis-à-vis de l’un de ses enseignants malgaches : « Voichi la table, voichi la table. Les élèves imitent votre accent ! Et puis vous parlez trop, vous ressemblez à un pantin s’agitant dans la classe ! » Le directeur de Paul Minaut émettait pour sa part un jugement de psy : « Ces élèves trop sages écoutent, ou il serait peut-être plus exact de dire qu’ils entendent. Leur rôle à eux leur apparaît comme essentiellement réceptif et passif. Leur système nerveux est moins sensible que celui des enfants européens. ». Imiter la France et les Français, c’était à la fois une politique et un idéal : « Les enfants français vont tous à l’école pour gagner plus tard largement leur vie. En France les paresseux sont montrés du doigt. Les Malgaches doivent s’efforcer d’imiter l’exemple des Français pour devenir habiles dans l’exercice des professions manuelles (sic) ». Et la réédition 1947 des leçons conçues par Renel et Rabaté de poursuivre : « La France veille sur nous, Malgaches, avec bonté et sollicitude. Aussi nous avons des devoirs sacrés à remplir envers elle. Nous devons estimer son drapeau, le respecter toujours, être prêts à nous grouper autour de lui. Les trois couleurs, bleu, blanc, rouge flottent sur tous les bâtiments, sur les Rova, dans tous les villages de la brousse. Saluons avec amour et respect le drapeau en criant Vive la France ! »
Langue de primitifs
Le Rapport annuel très analytique sur l’enseignement, établi en 1910 par le gouverneur général Victor Augagneur, n’a que mépris pour la culture… indigène : « Le malgache est une langue pauvre convenant à des primitifs, à peine suffisante pour des demi-civilisés. Son vocabulaire est déjà fortement encombré de mots arabes, souahéli, anglais, français. Il est peu précis, la morphologie est tout à fait rudimentaire, l’absence des genres et surtout des nombres occasionne des confusions et des amphibologies fréquentes. La synthèse proprement dite est misérable : on n’emploie guère que la syntaxe de juxtaposition, et on trouve seulement quelques traces de coordination et de subordination. » Et le gouverneur général, dont un boulevard de Toamasina porte toujours le nom, de continuer : « Cette langue ne peut être l’instrument d’une pensée un peu compliquée, et déjà elle est inapte à exprimer les idées des Hova instruits. Elle n’a pas de tradition, pas de littérature, sauf quelques chansons de bourjanes. Le seul monument qu’elle ait produit, le Tantara ny Andriana, est dû à un jésuite français. »
Se prononçant sur le souhait des Malgaches citoyens français d’avoir accès au Lycée Gallieni, le directeur de l’enseignement Renel n’hésite pas entre quatre chemins : « À Madagascar, nous avons affaire, non pas à des non civilisés, mais à des barbares mal préparés par leur hérédité à un enseignement secondaire ou supérieur. Du point de vue politique, que ferons-nous de ceux qui auront reçu notre culture Que leur répondra-t-on lorsqu’ils demanderont, à grade égal, des fonctions dans l’administration française ? »
Gallieni et Jules’F, que de bons souvenirs vos noms évoquent-ils dans nos mémoires ! Et pourtant, en les choisissant, le colonisateur avait bien d’autres visées : « Aucun nom n’est plus populaire et plus vénéré à Madagascar que celui du Maréchal Gallieni, qui s’était acquis des titres à la reconnaissance de tous les Français comme pacificateur, et premier organisateur de notre belle colonie de l’océan Indien. Quant à Jules Ferry, il fera connaître à nos populations indigènes le grand homme d’État qui contribua si puissamment à l’expansion coloniale de la France, en même temps qu’au développement de l’instruction publique. »

Barry Jenkins, le réalisateur
du film Moonlight.
Politique – Le cinéma, çà n’est pas toujours du cinéma
L’esprit des cinéphiles vient tout juste de quitter la Croisette cannoise, mais il reste encore quelque part le couac de la remise des Prix aux 89e Oscars de Los Angeles : Warren Beatty, on s’en souvient, avait annoncé la victoire du film La Land, quatorze fois nominé, il est vrai, avant de se reprendre, et donner au vrai gagnant Moonlight l’honneur qui lui revenait. Ce
n’était pas du cinéma ! Mais la nouveauté à laquelle on s’attendait le moins, c’est que beaucoup de personnalités ont profité de leur prise de parole au micro pour délivrer des messages engagés, sortant du cadre de l’écran blanc. C’est ainsi que l’acteur Gael Garcia Bernal a rappelé qu’il était « un travailleur immigré, un Mexicain opposé à tous les murs, un être humain ». Une flèche bien ciblée contre le projet de « qui l’on sait » de construire un mur entre les États-Unis et le Mexique. La victoire de Moonlight, racontant la vie à Miami d’un africain-américain, gay et pauvre, a permis à Jimmy Kimmel de rafraichir les mémoires dans son discours : « Vous vous souvenez l’année dernière, quand on avait l’impression que les Oscars étaient racistes » Mais le moment politique le plus fort a été la remise du Prix du meilleur film étranger à l’Iranien Asghar Farhadi pour son film Le Client. Interdit d’entrée aux États-Unis par le muslim ban lancé par « qui l’on sait » à l’endroit de sept pays musulmans, et malgré une autorisation spéciale, il a choisi de boycotter la cérémonie et de faire lire son discours : « Diviser le monde entre soi-même et les soi-disant ennemis, c’est créer une justification malhonnête de l’agressivité et de la guerre. Je suis absent par respect pour mon pays et pour les autres nations qui ont été insultées. » À croire qu’il avait déjà connaissance des rushes prêts à l’emploi du cinéma que, trois mois plus tard, « qui l’on sait » allait jouer en Arabie Saoudite, en appelant à une coalition des bons musulmans contre un Iran chiite personnifiant le Mal. Ce fut un navet de la pire espèce, signé comme cela ne pouvait que l’être, par… « qui l’on sait».
Mais à chacun son cinéma, et à chacun son, ou sa « qui l’on sait ». Au Gondwana, un pays heureusement très loin du nôtre, il est possible de jouer un rôle de mauvais goût tout en étant censé rester allongé pendant quarante cinq jours sur un lit. Gare quand même aux escarres, à moins que le Scénariste Suprême n’ait déjà tout prévu pour les éviter : une présence en réalité minimale, et seulement quand les circonstances l’imposent, par exemple. Coupez !

Le clergé du diocèse d’Oakland embellit le cimetière avec un vignoble.
Passions en bouteilles – Lieux de vie et lieux de vin
Ce n’est pas à Oslo qu’on verra un clochard se réchauffer au goulot près d’une bouche de métro. La Norvège est un pays où la vente d’alcool est strictement contrôlée par
l’État, lequel délègue ses prérogatives à la chaine Vinmonopolet. Il en résulte que quand un arrivage, notamment de grands crus français, est annoncé, il se forme devant les magasins de cette chaine des files monstres dont le profane ne comprendra jamais la raison. En février, en plein hiver donc, la rumeur concernait principalement le Romanée-Conti de 2013 dont la bouteille se vend en Norvège à plus de 37 000 couronnes, soit environ 4 250 euros. Record battu avec une file de six jours ! On a quand même le droit d’aller aux toilettes ou chercher à manger, à condition de garder précautionneusement son rang dans la queue. Pas compliqué en fait, puisque beaucoup viennent avec leur tente. « Je connais beaucoup de clients dans la file, mais j’avoue qu’il faisait vraiment froid cette nuit, quand j’ai sorti mes doigts de mon sac de couchage pour leur envoyer un SMS. On est très solidaires, emportés par la même passion du bon vin ! » Cinq cent sept marques et 27 000 bouteilles ont été vendues en ce seul début février dans les sept magasins spécialisés que compte Vinmonopolet dans toute la Norvège. Un accro avoue être fidèle au rendez-vous depuis des années, et dépenser de 100 000 à 150 000 couronnes (de 11 000 à 17 000 euros) en Bourgogne blanc. « Celui de 2013 est excellent, mais on ne peut le comparer avec le cru de 2014 qui est sublime ! » Il se dit que 70% des bouteilles achetées sont bues dans les quarante-huit heures qui suivent, mais on dit tant de choses…

En Norvège la chaine Vinmonopolet se chargedu contrôle et de la vente de vins.
Autre pays mais même passion, on est maintenant aux États-Unis, plus exactement dans certains cimetières : des lieux qui n’ont rien à voir avec celui d’Anjanahary, à éviter tant qu’on n’a pas les deux pieds devant, ou le cimetière indien d’Ilafy qu’on croyait être un havre de paix, mais tout le monde peut se tromper. Dans ce cimetière de la banlieue de San Francisco, il est possible de se faire enterrer près de cépages renommés à condition de débourser 1 000 dollars de plus. Les vignes ont remplacé le gazon pour des questions d’économie d’eau et… d’argent, et cela s’est avéré une excellente idée puisqu’en plus, elles rapportent gros. Dans le diocèse d’Oakland, six hectares de vignes ont été plantées dans trois cimetières différents. Dans la lancée, les mentalités ont changé, et beaucoup de cimetières américains sont redevenus de véritables lieux de vie, pour ne citer que ceux de Spring Grove de Cincinnati qui accueillent des soirées familiales et des balades ornithologiques.
On ne s’étonnera point de trouver l’Église catholique parmi les locomotives de cette nouvelle vogue du vin de cimetière, vu la place fondamentale du vin dans sa liturgie. Le premier miracle du Christ n’a-t-il d’ailleurs pas été de changer l’eau en vin Plus prosaïquement, planter un demi-hectare de vigne coûte trois fois moins cher que la même surface en pelouse. Les rapprochements entre l’Église et les professionnels concernaient au début un simple petit rosé de messe, mais d’un cimetière à l’autre, la qualité des fruits obtenus s’est avérée exceptionnelle. Il n’en fallait pas plus aux commerciaux pour convaincre les religieux d’aller plus loin. Le vin de cimetière est ainsi devenu une vraie affaire. Le Caberney Sauvignon des « vignes de l’évêque » à Oakland par exemple, une appellation qui met en confiance les plus timorés, a obtenu une médaille d’argent lors d’un concours à Monterey, d’autres labels se distinguant dans des confrontations comme celle de San Francisco. Parallèlement, des systèmes de réduction, d’abonnement, et de distribution trimestrielle sont lancés : un pack de deux bouteilles pour « le colis de l’évêque », de quatre pour « la collection du cardinal », et de six pour « la cave du pape ». Une belle trouvaille mercatique pour un produit de très haute qualité. L’évêque Michael Barber a de quoi jubiler : « Dans la boutique de la cathédrale, nous vendons des chapelets, des statues de la Vierge Marie, et désormais aussi des bouteilles de vin. »
Rétro pêle-mêle
La grande majorité des protestants malgaches de France se retrouve au sein de la Fiangonana protestanta malagasy aty andafy (FPMA) qui, en cette année 2007, revendique quelque 9 000 fidèles. De huit paroisses, elle en est arrivée à trente quatre, réparties en six régions françaises, auxquelles s’ajoutent les paroisses d’Abidjan et du Port à La Réunion. Dans sa genèse, figure en bonne place l’aumônerie créée à Montpellier en 1946 par le pasteur-missionnaire Jean Frédéric Vernier, destinée à soutenir spirituellement les étudiants malgaches et les anciens militaires ayant décidé de rester en France après la deuxième guerre mondiale. La FPMA a célébré en 2005 son 45e anniversaire en tant que véritable Église instituée. Dans les milieux protestants français, on a, au départ, difficilement admis la raison de créer une Église malgache, au lieu de rester dans celles déjà existantes. C’était mal connaître une certaine tradition des Églises protestantes de la Grande Ile, que les expatriés tenaient à revivre en la transplantant dans leur « andafy ». Les esprits cartésiens ne pouvaient comprendre certaines activités ayant cours au sein de cette nouvelle venue, comme les bruyantes séances de prière et d’imposition de mains de la branche « Fifohazana ». En fait, le mouvement du « Réveil » a pendant longtemps été soupçonné et accusé d’être une secte (encore ce mot fourre-tout !) même par les grandes paroisses bourgeoises tananariviennes. C’est oublier que le protestantisme n’aurait jamais pu s’implanter dans les recoins perdus de Madagascar sans le travail opiniâtre et au ras du sol des « Zanaky ny Fifohazana » en lamba blanc…
Loin de tout prosélytisme, la FPMA est membre de nombreuses associations comme la Fédération protestante de France, la Fédération luthérienne mondiale, l’Alliance réformée mondiale, la Conférence des Églises chrétiennes européennes, sans oublier la Conférence des Églises chrétiennes malgaches en France, une extension de la FFKM.
Lettres sans frontières
Il était une fois…
N. Rahamefy
J’étais jeune
J’étais bête
Quand je t’ai connue
J’étais beau
Tu étais coquette
Et on s’est plu
Je le regrette
C’était trop tôt
Il fallait pas
Mais j’savais rien
Rien de la vie
Et c’est pourquoi
Moi je n’osais
Faire avec toi
Aucune folie.
Je le savais
Je t’ennuyais
J’étais pas marrant
Ça a duré
C’que ça a duré
Et je comprends
Pourquoi t’es partie
Je t’en voulais
Mais je savais
Qu’il en serait
Un jour ainsi
Je t’agaçais
Car je n’osais
Faire avec toi
Aucune folie.
Je croyais
Que j’en mourrais
Mais un soir
Au lieu de me tuer
Pour me venger
Je suis sorti
Je ne te dirai
Ce que j’ai fait
Mais j’ai compris
Qu’il était temps
Pour mes vingt ans
De connaître
Un peu la vie
Et au matin
Sur mon chemin
Quand d’ma nuit
J’ai fait le bilan
Je me suis senti
Profondément
Engagé
Sur les sentiers
De ma folie.
Il y en eut d’autres
Beaucoup d’autres
Des pas jolies
Femmes légères
Des étrangères
Des filles d’ici
Elles étaient rien
Elles valaient rien
N’importe qui
Je ne sais plus
Mais j’ai voulu
Pour t’oublier
Me saouler
Dans ma folie.
Suis toujours bête
Mais moins timide
Et j’ai vieilli
Je ne sais pourquoi
Hors de mes bras
Je les oublie
Je pense à toi
Et quelquefois
À ce qui n’est plus
Je nous revois
Toi et moi
Et je me dis
C’est avec toi
Que j’aurais voulu
Faire
Vivre
Toutes ces folies.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : Archives – AFP – Internet