Ils s’appellent entre eux « camarades ». Des militants passionnés par la question syndicale malgré le constat d’une réalité difficile. Un revif ranime aujourd’hui la flamme syndicale malgache, mais si la lumière est loin de vaciller, elle éclaire des recoins inacceptables des conditions de l’employé malgache au XXIe siècle et des défis que doivent relever les syndicats.

Les syndicats veulent devenir une force de proposition.
Rémi Botoudi est le secrétaire général de la Confédération chrétienne des syndicats malgaches (Sekrima), qui existe depuis 1956. Ce militant qui est de toutes les mobilisations syndicales, constate le gouffre qui sépare aujourd’hui la loi et la réalité, en ce qui concerne les droits du travail. « Jour après jour, et malgré les efforts fournis de part et d’autre, nous notons que les dispositions légales, lorsqu’elles existent, sont souvent ignorées sans aucune sanction et le droit syndical est en perpétuelle menace », s’inquiète le militant.
Son collègue Famantanantsoa Razafimahazo, chef du département de développement interne issu de la Solidarité des syndicats de Madagascar (FMM) qui regroupe autant les fonctionnaires que les employés du secteur privé, a un regard tout aussi incisif. « Dans la Fonction publique, nous constatons de telles différences de traitements entre les fonctionnaires que certains n’arrivent même plus à joindre les deux bouts », déplore-t-il. Chez les syndicats ouvriers comme le Fisemare (Union des syndicats des employés malgaches révolutionnaires), Julio Rakotomaharavo dresse aussi un constat sans appel. « Licenciements abusifs, licenciements de délégués de personnel, intimidations d’employés par les employeurs, harcèlements, autant de cas rencontrés dans le milieu ouvrier que les employés acceptent par peur de perdre leur place ou par ignorance de la loi et de leurs droits, tout simplement », résume la mère de famille.

Rémi Botoudi est le secrétaire général
de la Confédération chrétienne des syndicats.
Un syndicalisme incompris
Il fut un temps où la loi malgache exigeait des syndicats qu’ils soient affiliés à un parti politique. Une affiliation qui a donné une identité quelque peu sulfureuse aux syndicalistes malgaches, bien que de nos jours, leurs groupements soient indépendants. Aujourd’hui, moins de 10% des salariés malgaches adhèrent à un syndicat. Sur cette infime partie d’inscrits, une petite minorité est réellement impliquée dans la cause syndicale. Rémi Botoudi regrette ce déclin du militantisme syndical : « Aujourd’hui, l’idée même du syndicat est diabolisée. Même à ce jour, les préjugés entachent les syndicalistes que l’on accuse d’être des faiseurs de grèves, des perturbateurs. » Des préjugés qui relèguent le mouvement au rang d’adversaire « et même d’ennemi. Ce que nous ne sommes pas, puisque nous avons la certitude d’être un maillon du développement malgache », insiste-t-il.
Un maillon du développement qui exige aujourd’hui d’être écouté. « L’enchaînement des infractions sur la loi du travail et le non-respect des droits des travailleurs ont des conséquences néfastes sur la santé économique et sociale de Madagascar. La classe moyenne s’amenuise à vue d’œil et les familles nécessiteuses ne se relèvent pas. Nous assistons à une vague de sous-emplois, à des styles managements de personnel obsolètes où la gestion de carrière et l’évolution des postes sont négligées et où les conditions de travail frôlent parfois les limites de l’asservissement », déplore Rémi Botoudi.
D’un côté diabolisés, de l’autre ignorés, les syndicats reprennent leur bâton de pèlerin nolens volens, mais ont bien conscience des conséquences désastreuses d’une telle situation sur l’emploi. Rémi Botoudi de la Sekrima et Famantanantsoa Razafimahazo de la FMM sont d’accord sur un point : le travail décent n’est pas une réalité malgache au XXIe siècle, et la mise au banc du syndicalisme n’est pas étrangère à cette situation.
Retour vers le dialogue social
Pour les syndiqués, il est temps que l’État et le patronat acceptent de revenir à la table du dialogue social. « Le travail est un pilier du développement durable, mais le travailleur brisé ne peut pas y contribuer. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas compter sur un renouveau malgache dès lors que les conditions de travail et de l’emploi ne sont pas compris, maîtrisés et respectés », explique Rémi Botoudi, secrétaire général de la Sekrima.
Pour les militants des syndicats, il est surtout question d’obtenir un traitement égalitaire devant la loi. Famantanantsoa Razafimahazo de la FMM Madagascar explique : « Dans le cas de mon syndicat, nous ne recherchons même pas à modifier les lois existantes. Nous ne voulons que leur application: le traitement égalitaire des fonctionnaires, l’alignement de la grille indiciaire c’est-à-dire même catégorie, même diplôme donc même salaire. ». L’État est prioritairement concerné par l’application de la loi. « On a, par exemple, un Conseil supérieur de la Fonction publique. Il existe de nom, mais la mission de dialogue qui lui est dévolue n’est pas vraiment présente », commente-t-il.
Redynamiser les troupes
Pourtant, le syndicalisme malgache gagnerait à retrouver ses forces. C’est l’idée, aujourd’hui, avec le rassemblement des syndicats du secteur privé et du secteur public, tel qu’il a été discuté durant les états généraux des syndicats, au mois d’avril. Les syndicalistes se forment aux nouvelles méthodes de recrutement, de réseautage, de formations des membres et de sensibilisation pour donner un nouvel élan à la solidarité des employés. Les militants visitent entreprises et zones franches pour sensibiliser les employés. Armé de courage et de son carnet de recrutement, Julio Rakotomaharavo du syndicat Fisemare (Union des syndicats des employés malgaches révolutionnaires) part à la rencontre des employés dans les zones franches. « Nous les attendons dans la cour de leur entreprise et nous discutons avec eux de l’importance d’intégrer un syndicat, en particulier les ouvriers. D’ailleurs, notre syndicat est en majorité ouvrier. Nous leur expliquons ce qu’ils ont à gagner à connaître leurs droits, autant pour eux-mêmes que pour leur entreprise », explique cette mère de famille très engagée.
Les groupements se mobilisent pour former leurs membres et spécialiser leurs départements sur des thèmes précis afin de mieux se préparer aux défis du syndicalisme. « Pour le Fisemare, nous avons un département dédié aux métiers de l’hôtellerie où l’on enregistre un bon nombre de situations irrégulières. Nous avons aussi un département réservé aux secteurs de l’énergie et des mines, qui sont particulièrement sensibles», explique-t-elle.
Malgré un public clairsemé à Antsahamanitra pour honorer le traditionnel 1er mai, les syndicats se disent décidés à reprendre une place de choix sur la scène nationale, et « être une vraie force de proposition sur laquelle syndiqués et non-syndiqués peuvent compter. Ce n’est pas tant les 10% d’inscrits qui comptent, mais le rapport de force et la mobilisation d’idées que nous pourrons incarner », conclut Rémi Botoudi. En attendant des jours meilleurs, cette institution vieille de 80 ans qui a accompagné les grandes dates de l’histoire de Madagascar depuis la lutte pour le retour de l’indépendance à ce jour, continue son chemin. Les camarades n’ abandonnent pas.
Soutenir l’industrialisation pour appuyer les travailleurs
Il n’y a pas que l’emploi. Il y a aussi le tissu économique qui sous-tend l’emploi. Le développement industriel est urgent pour Madagascar afin de générer des emplois stables et économiquement viables. « Notre secteur primaire qui regroupe presque 80% des Malgaches est archaïque et peu productif. Le secteur tertiaire est gonflé à bloc et l’informel laisse se vulgariser diverses activités peu professionalisantes et généralement destinées à la survie », observent les syndicalistes. « Cette situation laisse proliférer des formes diverses de sous-emploi, et les plus démunis paieront toujours le prix fort. » Aujourd’hui, les syndicats attendent beaucoup de la volonté politique de l’État de soutenir l’industrialisation de Madagascar et la création d’emplois stables et justement rémunérés. Un appel que l’on voudrait bien trouver écho.

Le syndicat m’a
libérée de mes peurs, témoigne Volatiana Elisabeth Raveloson
Femme militante, un engagement nécessaire
« J’ai le militantisme dans les veines. Mon père était syndicaliste, je suis syndicaliste. J’ai été élevée ainsi. » Julio Rakotomaharavo, mariée et mère de famille, est une femme énergique et déterminée. Dans un milieu où exprimer sa voix et défendre ses droits sont le pain quotidien, Julio fait partie des leaders et se trouve à la tête du Département dédié aux femmes. « Il y a à peine 30% de femmes dans nos rangs, mais la plupart participent beaucoup aux activités », explique Julio. C’est le fruit d’un travail de longue haleine, pour convaincre, mobiliser et même former les femmes aux rouages du syndicalisme. « Culturellement parlant, les femmes malgaches, et en particulier celles du milieu ouvrier, ne sont pas habituées à être aussi engagées dans la vie syndicale. Mais c’est un engagement nécessaire et même salutaire car nous, en tant que femmes, avons notre mot à dire sur le travail que nous exerçons et les conditions dans lesquelles nous l’exerçons. »
La pression familiale se fait sentir sur les femmes, « à qui l’on reproche de mettre le gagne-pain en danger, en étant actives au sein des syndicats », déplore Julio. « Les maris ne sont pas rassurés, car le salaire de leurs épouses représente la moitié des rentrées financières du ménage. La plupart du temps, et même si l’on voit des exemples plutôt positifs, les maris ne veulent pas que leurs épouses soient trop exposées au sein d’un groupement aussi militant que le syndicalisme. »
Lanto R., qui appartient au syndicat du personnel administratif et technique des universités, vit cette situation. « Je suis active dans mon syndicat, au contraire de mon mari qui, lui, n’a pas cette même implication. Et même s’il comprend mon engagement, il ne ressent pas l’envie de participer à une action qui, plus tard, peut mettre son travail en danger. Le travail en danger, c’est surtout ce qui rend les gens réticents au syndicalisme, car en militant, on fait bouger les lignes et forcément, des intérêts sont touchés. »
Pour Volatiana Elisabeth Raveloson, du FMM, l’initiative de rejoindre le syndicat a été motivée par des problèmes professionnels. « Mon employeur dépassait les limites. J’avais des conditions de travail pénibles, sans aucune possibilité de valoriser mes initiatives », se rappelle la jeune mère de famille qui travaillait auparavant dans l’hôtellerie.
« Je suis aujourd’hui très investie dans mon syndicat, mais c’est un investissement que je n’aurais pas pu avoir dans mon ancien emploi. Alors, oui, j’imagine que le syndicat m’a libérée de mes peurs. »
Pourtant, Julio Rakotomaharavo et son collègue s’accordent sur l’idée que le militantisme

Julio Rakotomaharavo, explique
l’importance du carnet de recrutement des nouveaux membres
féminin est encore embryonnaire. « Je ne parle pas en termes de nombre, car dans un syndicat comme celui du personnel administratif et technique des universités, les femmes sont très présentes et 90% d’entre elles sont actives. C’est surtout au niveau de l’éducation que nous donnons dans nos familles et dans nos écoles qui ne favorisent pas l’expression libre des convictions. Si le syndicalisme aujourd’hui en pâtit, c’est aussi parce que la qualité de notre éducation et de notre milieu social a nettement changée », commente Lanto R.
Textes et photos : Mialy Randriamampianina