Tom Andriamanoro nous régale, cette semaine, avec un article sur l’Asecna, dont l’une des figures emblématiques fut Maurice Rajaofetra, directeur général de 1987 à 1999, avec comme toile de fond l’épilogue d’Air Afrique. Il fait aussi mention du comportement de l’usager de la route malgache, piéton ou automobiliste, par rapport aux voies rapides. Enfin, « les Lettres sans frontières » toujours dramatiques.
Navigation aérienne – Afrique vent arrière
Années 80, le ciel africain était dominé par les silhouettes chancelantes de deux géants aux pieds d’argile, pour qui la priorité des priorités était la sortie d’une situation devenue catastrophique. Air Afrique allait opter pour la voie classique, celle du recours à l’expertise d’un ressortissant d’un pays du Nord, en l’occurrence Yves Rolland Billecart, haut cadre de la Caisse Centrale. Du côté de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), chargée de l’organisation de la navigation aérienne dans un espace de plus de 16 millions km2, les ministres de tutelle ont porté leur choix sur le Malgache Maurice Rajaofetra par 13 voix sur 15 lors d’un vote secret.
Janvier 1987, le tout nouveau directeur général était accueilli à l’aéroport de Dakar-Yoff dans une exubérance bien africaine. Les premiers mois étaient marqués par les visites de courtoisie aux présidents des Etats membres. Thomas Sankara a déjà essayé de faire passer l’aménagement de la piste de sa ville natale, Houphouet Boigny n’a pas caché ses soucis pour l’avenir d’Air Afrique, Mathieu Kerekou ne s’est pas privé, puisqu’on était entre frères, de quelques plaisanteries sur le socialisme dont un salut à la Che Guevara…
Les tares de l’Asecna étaient nombreuses, pour ne citer que la dépendance budgétaire vis-à-vis d’États qui avaient, chroniquement d’autres urgences, la réticence des compagnies à s’acquitter de leurs redevances, le fait qu’il y avait autant de directeurs que d’États membres.
« Nous avons apporté un nouveau langage en parlant d’économie et de responsabilité. » Des études confiées à un cabinet extérieur pour plus d’objectivité étaient menées concernant, entre autres, la structure même de l’Agence. La remise en confiance des bailleurs était à l’ordre du jour, notamment la Banque européenne d’investissement (BEI), auprès de laquelle l’Asecna est devenue le tout premier organisme africain à bénéficier d’un prêt sur ressources propres. Les problèmes avec les compagnies aériennes étaient discutés directement avec leurs associations que sont l’IATA (International air transport association), l’ATAF (Association des transporteurs aériens de la zone franc), ou encore l’AFRAA (Association des transporteurs aériens africains). Chose impensable ailleurs, le prix des prestations fournies était désormais, défini d’un commun accord entre le vendeur et le client ! Un des objectifs, majeurs était de se passer à terme des contributions des Etats membres et de vivre dorénavant de ses propres produits.
Gestion intégrée
« Nous devons arrêter de mendier ce dont nous avons besoin. En cas de déficience, il ne faut nous en prendre qu’à nous- mêmes. » Chose promise, le nombre de directeurs était ramené de quinze à seulement cinq. La grande multinationale africaine revenait de loin, elle dont la gestion intégrée d’un espace aérien aussi vaste était unique au monde. Bernard Attali, du temps où il était président du groupe Air France avait, par exemple, un regret : « Pour parcourir les 950 km qui séparent Paris de Prague, il faut traverser sept espaces aériens distincts, gérés par des informatiques différentes. Un changement de juridiction tous les 130 km. Comment peut-on comprendre que le ciel européen soit géré de façon si peu européenne ? »
1992, au vu des résultats obtenus depuis 1987, le Comité des ministres a décidé de prolonger de trois ans le mandat du directeur général, une mesure inédite suivie d’une deuxième prolongation en 1995. De son côté, Air Afrique n’arrivait toujours pas à sortir la tête de l’eau, et le remplacement, en 1996, d’Yves Rolland Billecart par le Mauricien Harry Tirvengadum ne pouvait plus rien y changer. Pour l’homme de la rue toujours sans pitié dans ces situations, Air Afrique était devenu Air sans fric. Malgré l’insistance de certains pays pour obtenir de l’Asecna une bouée de sauvetage de l’ordre de 20 milliards de francs CFA, la chronique d’une fin annoncée arrivait à sa dernière page pour le géant africain du transport aérien.
Patrimoine – L’énigme du Fort des Portugais
Goa, sur la côte de Malabar, en ces tous premiers jours de l’an 1613. Le Nossa Senhora Da Esperanca piaffait d’impatience, semblant même de temps à autre tirer nerveusement sur ses amarres. Les vents ne pouvaient être meilleurs qu’aujourd’hui, et apparemment tous les hommes s’étaient remis des beuveries de fin d’année. Le capitaine Paulo Rodrigues Da Costa avait pourtant le front soucieux. Il devait, au retour des Indes, mettre le cap sur l’île Saint-Laurent, ancien nom donné à Madagascar, avec pour mission de retrouver les traces de navigateurs portugais disparus dans ces parages, et dont le mystère préoccupait au plus haut point Sa Majesté. Non point que l’aventure lui fasse peur, il s’était même fait à l’idée qu’il pourrait bien disparaître un jour, comme beaucoup d’autres avant lui, dans ces mers lointaines. Il entrerait alors dans la légende, et les femmes se signeraient en évoquant son nom pendant les veillées d’hiver. Non, c’était le caractère inhabituel d’une tâche très peu faite pour lui qui le tracassait, plutôt que les risques qu’elle pouvait comporter.
Le Nossa Senhora Da Esperanca jeta l’ancre dans la baie de Ranofotsy, appelée aussi baie de San Lucas. En débarquant, les Portugais eurent deux surprises : la première fut de tomber sur un roitelet habile, Tsiambany, très ouvert sur le négoce mais méfiant dès qu’il flairait quelque subterfuge. La seconde, celle de rencontrer une assez forte proportion de gens au teint clair, ce qui les conforta dans l’idée que des naufragés avaient fait souche dans la région. Tsiambany se laissa aller à quelques confidences, comme quoi il avait entendu parler de Blancs qui avaient habité une île où il y avait encore une construction en pierres et chaux, ainsi qu’une stèle et une croix dont il traça le dessin sur le sable.
Un fort, reconnu comme étant le plus ancien bâtiment en dur de Madagascar, s’y trouvait effectivement, presque intact mais désespérément muet. Quelques villageois des environs rapportèrent que, selon leurs ainés, un grand navire s’était « mis à la côte » dans ces parages, et que son capitaine fut surnommé Andriamasinoro, un amalgame du malgache Andriana et du portugais Meu Senhor, par les habitants. Plusieurs siècles plus tard, des historiens dressèrent la liste de tous les naufrages possibles à cette époque, pour arriver à la conclusion que le fort était bâti, non par un seul équipage, mais par plusieurs dont ceux de Pedro Vaz Oroxo et de Manuel de la Cerda.
Pour Flacourt qui administra les établissements français de Fort Dauphin, de 1648 à 1653, le capitaine et soixante-dix de ses hommes furent massacrés par les tribus voisines. Il s’appropria la stèle et l’installa dans son jardin après y avoir gravé ces mots : « toi qui arrives, pour l’avenir de toi, des tiens, et de ta vie, méfie-toi des habitants. Porte-toi bien. »
Infrastructures – Pour quelques mètres de plus
La jeune fille civiquement bien éduquée n’avait qu’un seul tort : celui de croire à la fausse sécurité offerte par une nouvelle route bien balisée et rectiligne, dotée de drôles de barrières de couleurs vives finalement plus décoratives qu’autre chose. La pseudo-autostrasse d’Anosibe avait sa première martyre, avant même son inauguration. Pourtant cet axe, autant sinon plus que le marais Masay, devait symboliser le Tana des temps nouveaux. On avait oublié que vouloir à tout prix sauter, sans mesure d’accompagnement, d’un passé encore bien présent à un futur se voulant impatient et conquérant pouvait être risqué. Comment, par exemple, concilier les normes d’un schéma de circulation venu d’ailleurs aux habitudes notoires des automobilistes et des piétons D’ailleurs, Anosibe a, depuis, été rattrapé par son passé : sale, décrépi, engorgé, avec des murettes partant en morceaux, et ses indéboulonnables marchands, squattant par endroits la moitié de la chaussée. On y avait aussi tracé une piste cyclable dont il ne reste plus rien, question peut-être de ressembler à Francfort ou à Hambourg. Puisse le nouveau conseiller allemand auprès de la Commune urbaine d’Antananarivo ne pas s’empêtrer dans sa géographie…
L’élargissement de certaines chaussées, et la construction de voies de dégagement, sont d’actualité. On doit donc reconnaître que la réussite était, parfois, au rendez-vous, mais cela n’a pas toujours été le cas. Parmi les vénérables anciens, la route-digue est toujours celle où les génies du volant excellent dans l’art de se rabattre à l’ultime seconde. Elle est aussi celle où les rizières ont cette magie d’attirer non seulement les oiseaux piqueurs d’épis, mais aussi les taxis-be. Pour la petite histoire, Francisque Ravony s’amusait à y semer ses gardes du corps qui ahanaient loin derrière, dans leurs Lada.
Sur la route d’Ivato portée à trois voies, des parents éplorés avaient érigé des banderoles après ce qui fut un véritable massacre d’écoliers. Un épisode vite enterré. Quant au By Pass, il est abonné à la rubrique des faits divers, car il ne fait pas toujours bon y circuler à pied ou à moto, le soir venu.
Agrandir certaines rues au nom de la fluidité et de la modernité est bien, réparer l’existant autrement que par le rapiéçage est mieux, et les pluies seront bientôt là pour le rappeler une énième fois. Les statistiques et l’information font également cruellement défaut, alors qu’ailleurs les chiffres parlent, et sont écoutés. Sait-on que, lancé à 100 km/h, un simple appareil photo arrive à « peser » quarante fois son véritable poids, et étendre un homme sur le coup Last but not least, le volet social est un peu trop souvent oublié. La nouvelle voie rapide reliant la ville à l’aéroport est prévue faire sa jonction avec la route-digue, encore elle, au niveau du carrefour d’Ambohitrimanjaka, ce qui suppose un démantèlement du village artisanal. Où iront ses occupants Après le marché du Coum et avec les nuages planant sur le marché Pochard, l’aménagement a ses nouveaux palestiniens…
Textes : Tom Andriamanoro