« Meuble fragile » ou « fanaka malemy », ne les cherchez pas dans cette catégorie, elles ne s’y trouveront pas. En cette Journée internationale des droits de la femme, nous vous présentons quatre femmes, chacune experte dans son domaine, en tout cas des passionnées de ce qu’elles font, pour essayer de définir l’engagement au féminin. Il est sans faille. Lovatiana Andriamboavonjy, étudiante en médecine – « L’avortement reste un problème à résoudre » Vingt-quatre ans. Une voix posée et un regard qui en dit long sur sa détermination. Surtout ne pas se fier à son apparence un peu frêle. Lovatiana Andriamboavonjy est interne au Centre hospitalier de Soavinandriana. Pour cette jeune personne, aujourd’hui en huitième année de médecine, préparant sa thèse, les enjeux sont au-delà du doctorat. Tout a commencé il y a deux ans. En 2016, elle effectuait un stage de gynécologie au Centre hospitalier universitaire Joseph Raseta Befelatanana. « Il devait être 22 h. Une jeune fille - à peine 18 ans - est arrivée en sang. Elle était accompagnée de quelques personnes, des adultes, mais aucune d’elles n’avait de l’argent. Elle faisait une grosse hémorragie. Or comme vous le savez, à l’hôpital, les médicaments ne sont pas gratuits. Il fallait agir vite parce qu’elle était en train de mourir. En fait, elle avait essayé de se débarrasser de son bébé. Ses proches ne devaient pas être au courant. Devant ce dénuement complet, nous nous sommes cotisés, avec quelques étudiants, pour lui permettre de recevoir les soins d’urgence. Cela a été pour moi le déclic. Je me suis dit : il faut que les choses changent. » À l’époque, Lovatiana était rédactrice en chef de « La Revue de la médecine », un journal en ligne. « J’ai écrit un éditorial sur l’avortement parce que ce que j’avais vu m’avait fortement secouée. » Elle est consciente du poids de la tradition qui agit comme une chape de plomb sur la question. Lovatiana Andriamboavonjy est persuadée que l’avortement reste un problème à résoudre pour les femmes malgaches. En la matière, tout le monde ne peut pas avoir la même opinion, concède-t-elle. « Chacun a sa morale. Certains diront que l’avortement est répréhensible, moi je dis : doit-on alors laisser mourir les gens ? Les tragédies sont évitables, mais pour cela, il y a des concessions à faire. » « Chaque année, lorsqu’on célèbre la Journée de la femme, il ne s’agit pas seulement de cuisiner pour maman, de faire passer une femme devant dans une file, ou de lui permettre de ne pas travailler le temps d’une journée. Il s’agit de mettre en avant des sujets plus graves : le harcèlement qu’elle subit, l’avortement ». Lovatiana Andriamboavonjy appartient au groupe de réflexion « L’avortement ? Parlons-en ! », initié par Mbolatiana Raveloarimisa avec Kemba Ranavela. Le 30 janvier dernier, une conférence portant ce titre a été organisée, explorant les aspects médical, anthropologique, juridique et socio-économique de la question. Le thème sera de nouveau abordé en cette Journée mondiale consacrée à la femme et ses droits, à la Librairie Milles Feuilles à Besarety, lors d’un café citoyen. « Nous allons d’abord faire un état des lieux, mais l’objectif final est évidemment la dépénalisation de l’avortement. Personnellement, je défends le droit au choix. » Pendant cette semaine où il est beaucoup question des femmes, la jeune interne en médecine interviendra également sur le volet socio-économique de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) « en tant qu’activiste » au Palais des Sports de Mahamasina lors de talk shows. Le ministère de la Santé publique recense 175 décès liés à l’avortement chaque année et indique que 9% des cas de décès maternels sont liés à l’avortement. Lors d’une étude effectuée durant sept mois entre 2011 et 2012, 565 cas de complications liées à l’avortement ont été identifiées. Même si les principales causes de l’IVG sont d’ordre financier, toutes les femmes, de toutes les couches sociales, sont concernées, affirme Lovatiana Andriamboavonjy. Ensuite elle précise : « Celles avec qui j’ai parlé me disent évidemment plus jamais cela, mais si elles y sont obligées, elles n’ont aucun autre choix que de s’y résoudre », citant l’étude selon laquelle près de 95% des femmes ayant pratiqué l’avortement sont au courant des risques et de la douleur. Bambs, rappeuse« Je ne suis pas une donneuse de leçon » « Andriambavilanitra, isika no herin’ny fiainana, isika no fanafodin’ny fanaintainana, masoandro amin’ny andro maloka, amintsika ny tany no mialoka. » Un son groovy, un flow fluide qui alterne revendication et apaisement. Bambs rappe comme on ne vit qu’une fois et distille au passage, à toutes celles et ceux qui sont concerné(es), sa manière de voir la vie au féminin : sans hargne ni mièvrerie. Dans le refrain de son opus, cité plus haut en malgache, elle compare la femme, « la reine du ciel », à une thérapie pour la vie, au soleil qui brille lors des jours sombres, à l’ombre de laquelle la terre se repose. « J’adore ce mot Andriambavilanitra, j’aime sa sonorité. De là, créer une chanson a coulé de source. Toutes les femmes se retrouvent dans ce mot. » Cette chanson date de trois ans mais elle est celle qui définit le mieux l’artiste. La sphère culturelle qualifie ses chansons d’engagées. « Je ne suis pas une donneuse de leçon », prévient-elle. Elle préfère agir. « Les Malgaches aiment beaucoup les grandes discussions, les ateliers. Pour faire avancer les causes des femmes, moi j’agis dans mon coin. Je ne refuse pas de donner mon avis si on le sollicite mais je pense que l’action est plus efficace ». C’est dit. Dès l’âge de 14 ans, elle baigne dans l’univers du rap. À 17 ans, elle écrit ses propres textes, impose sa propre vision de ce genre musical. « J’étais la fille unique ». Au sein d’un milieu dominé par la gente masculine, elle trouve pourtant rapidement ses marques. « Dans ma première formation, nous étions deux garçons et une fille. » Elle semble n’y avoir subi aucun traumatisme, bien au contraire. « On dit que c’est un univers de machos où les insultes et les balles partent très vite. Que c’est un univers de voyous. Les gens qui l’affirment n’ont pas beaucoup étudié le sujet. » Elle s’y est tout de suite sentie à l’aise, et même « protégée ». Elle a pu, dit-elle, imposer sa personnalité. Le mot est lâché. C’est donc une question de s’imposer. Non pas par la force, mais plutôt par la démonstration. « J’ai pu montrer que le rap au féminin est possible. Je ne me suis pas laissée dicter par la tendance, le regard de la société. » Celle-ci établit facilement des barrières, dit-elle. À travers les journalistes notamment, lorsque des confrères lui posent des questions sur son « sentiment d’être la seule fille dans un milieu de machos. » Le genre de lieu commun qui la fait démarrer au quart de tour. Car Bambs « déteste les clichés. » Elle décrit le milieu du rap malgache comme un milieu d’échanges. Lorsque l’on est capable de démontrer que l’on maîtrise le sujet, la technique, soutient-elle, le respect vient naturellement. Une conviction qui l’anime également dans la « vraie vie ». Le « jour », Bambs devient Tantely Rasoanaivo. Après avoir côtoyé le milieu du journalisme culturel, elle manie aujourd’hui la caméra. « On me demande parfois si je suis accompagnée par un cameraman, je réponds que c’est moi le cameraman. » Agir, toujours. Convaincre sans heurter. « Par rapport à l’expression la femme orne la maison, je dis d’accord mais je l’accommode à ma façon. Elle est non seulement une parure, une décoration de la maison, elle en est surtout le pilier. » Lova Rabary Rakotondravony, journaliste – « Je me bats pour l’indépendance des journalistes » « Avec sa grande gueule, Lova compte pour dix. » C’est venu spontanément, d’un collègue, alors que nous cherchions des femmes voulant témoigner sur l’engagement à l’occasion de cette Journée mondiale de la femme. Une évidence. Qui mieux que Lova Rabary Rakotondravony pouvait, en effet, personnifier le mot ? Il ne fallait pas chercher longtemps En 2006, elle avait interviewé Eduardo Cue, un journaliste mexicain, formateur, alors de passage au desk de l’Express de Madagascar. Il lui avait dit « un journaliste est quelque part, toujours un rebelle. » Lova Rabary est de cette trempe. « D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être journaliste. À la question : que voulez-vous devenir plus tard ? posée par les profs au collège, je répondais invariablement : journaliste. Mes camarades de classe, à l’époque, m’avaient surnommée Anne Sinclair, du nom de la star du petit écran des années 1980 avec son émission 7 sur 7. » Vingt-cinq ans plus tard, elle est animatrice reconnue de talk-show et modératrice de débats, « mais ma passion est surtout et reste encore la presse écrite », précise-t-elle. Plume reconnue du groupe l’Express de Madagascar, avec une brève incursion au journal « Les Nouvelles » après ses études de Droit, d’Histoire et de journalisme à l’Université d’Ankatso, Lova Rabary n’a pas choisi cette voie uniquement pour assouvir sa passion pour l’écriture. « Petite, j’avais conscience de la nécessité de raconter la vérité aux gens, et de dire aussi à certains leurs quatre vérités. » Mais pour connaître et découvrir la vérité, il faut aussi pouvoir vérifier les faits, effectuer des recherches, se trouver sur le terrain et être en contact avec les gens. « Des activités qui me plaisent. Celles de journaliste. » Journaliste généraliste au départ, Lova Rabary occupe par la suite le poste de rédacteur en chef adjoint, puis rédacteur en chef de l’Express de Madagascar. Elle quitte ce dernier poste en juin 2017 pour piloter un projet de mise en place d’un Centre d’études, de formation et de réflexion sur le journalisme, l’information et la communication. « Ce projet, lancé par le groupe L’Express de Madagascar me tient particulièrement à cœur parce que son objectif est justement d’amener les journalistes, mais également les différents professionnels de l’information et de la communication, à réfléchir et à débattre sur les enjeux, les défis et l’avenir de leurs professions ainsi que sur leur rôle et sur leur responsabilité au sein de la société. » Il y sera aussi question du droit et de l’accès à l’information, de liberté d’expression en général et de liberté de presse en particulier, l’indépendance des journalistes, les frontières entre la communication et l’information … « Autant de sujets sur lesquels les professionnels de ces secteurs doivent réfléchir, et dont les résultats devront ensuite être partagés, et transmis aux jeunes qui arrivent. » Mais l’appartenance à une structure, mentionne-elle, n’est pas la seule forme d’engagement ou le seul moyen de faire avancer une cause. « Dans ce que je fais au quotidien, j’essaie d’agir en conformité avec les valeurs pour lesquelles je me bats. Je me bats pour la Liberté avec un L majuscule. Je n’abuse pas de ma liberté et je dénonce ceux qui le font. Parce que la Liberté, je le dis souvent, est éthique. Une liberté sans éthique n’en est pas une. Je me bats pour l’indépendance des journalistes et la moindre des choses est d’être un exemple. Ce n’est pas toujours facile, mais le matin, je peux me regarder dans la glace et me dire : tu peux être fière de ce que tu es. » Maître Maria, présidente du Conseil d’administration de SOS Village d’enfants – « On ne peut dissocier le droit des femmes de celui des enfants » Dans la grande salle du bureau de coordination de l’association SOS Villages d’enfants Madagascar, sur les murs sont accrochés cinq petits tableaux porteurs de messages sur la défense des droits de l’enfant, en faveur de l’éducation, en disant non à leur exploitation et en dénonçant les traitements dévalorisant les femmes. SOS Villages d’enfants Madagascar est une association membre de SOS Children’s Village International qui prône le développement de l’enfant dans un milieu sécuritaire et chaleureux, celui de la famille. L’association fait en sorte que les enfants privés de protection familiale puissent à nouveau en bénéficier. C’est dans ce décor qu’évolue actuellement Me Maria. Le grand public avait l’habitude de la voir sur le front de la défense des droits la femme. Elle est l’instigatrice de la création de l’association des femmes juristes de Madagascar. « Il faudrait d’ailleurs rectifier certaines choses : le 8 mars n’est pas la journée de la femme, c’est plutôt la Journée de lutte pour les droits des femmes. » De la voir ainsi entourée de sourires d’enfants n’est pas un hasard. « J’ai été élevée dans le respect des valeurs chrétiennes, avec une mère et un grand-père très impliqués au sein de la communauté chrétienne. J’ai donc eu très tôt en moi cette quête de justice qui m’a mené tout naturellement aux études de droit. » Mais à l’heure des choix, « mon statut de femme a pris le dessus et m’a dirigé vers le métier d’avocat aux dépens du fonctionnariat. » Elle avait alors pensé, « à tort » dira-t-elle plus tard, qu’emprunter la voie de cette profession libérale pouvait lui permettre d’être plus présente à la maison. C’était sans compter sur les dossiers ramenés du bureau en fin de semaine et les horaires à n’en plus finir … Les enfants ont grandi, volent aujourd’hui de leurs propres ailes. « Je peux organiser un peu mieux mon temps maintenant », dit-elle en souriant. Elle continue son combat. « Les droits des femmes ne peuvent être dissociés de ceux des enfants. Quand on m’a demandé de rejoindre SOS Village d’enfants, c’était une évidence. » Elle était alors consultante pour le compte des Nations unies sur les questions touchant les droits de la femme. « L’association avait besoin des services d’un juriste. » Elle est donc devenue membre fondateur. Tenant compte du contexte malgache, il est fondamental de s’occuper des enfants, estime Me Maria. « Dans ma vie personnelle, mes enfants ont primé sur toute autre considération, c’est pourquoi j’estime que la protection de l’enfance est un domaine où tous les citoyens malgaches doivent s’engager. Il faut s’occuper de ceux qui n’ont pas la possibilité de bénéficier de ce soutien. » Dans sa volonté de changer le monde qui l’entoure, Me Maria préfère la douceur, la conciliation. « Je ne suis pas une féministe qui veut prendre le pouvoir sur les hommes. Je veux changer les comportements inégalitaires entre les femmes et les hommes. J’estime qu’il est normal qu’à diplômse équivalents, l’on doit bénéficier d’un salaire égal. L’égalité des chances est, pour moi, le plus important. » Textes : Rondro Ramamonjisoa Photos : Sergio Maryl, Tojo Razafindratsimba, Mamy Mael, Felana Rajaonarivelo (Fireflies)
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