Voici le dernier Bemiray de l’année 2017. Deux articles de Tom Andriamanoro ont une trame commune : la politique et les élucubrations de politiciens au pouvoir. Mais il y a aussi un ciment liant deux chroniques, à savoir l’avion comme moyen de déplacement. Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter les meilleurs vœux pour 2018.
Caprice de grands – Quand la presse réunionnaise faisait des gorges chaudes d’Air Force One
À revenir sur la température des relations malgacho-réunionnaises de ces dernières années, vues ou revues par la presse de l’île voisine, on se rend compte que celle-ci n’a que très rarement sauté sur l’occasion de se taire ! Ce fut le cas lors de « l’affaire » du premier avion présidentiel, quand la grande presse quotidienne réunionnaise semblait vouloir prouver qu’elle était attentive aux moindres soubresauts du régime post-2002. Ou qu’elle n’était pas plus tendre avec le nouveau qu’avec l’ancien.

Air Force One IIe contient 25 sièges tout confort.
C’est ainsi que l’acquisition par le nouvel homme fort d’un Boeing 737 acheté à la compagnie privée autrichienne Lauda Air a fait l’objet de larges commentaires ironiques. « La folie des grandeurs de M.R. », titrait par exemple le Journal de l’île de La Réunion (Jir) du 17 septembre 2002, en précisant que les Malgaches ont, non sans dérision, baptisé l’appareil de « Madagascar Air Force One » dans un rapprochement riche en ironie avec celui du président américain. Et le journal de poursuivre : « À l’heure où Madagascar lutte pour sortir du marasme où l’ont plongé des mois de crise politique, n’y avait-il pas d’autre priorité que celle d’acheter un Boeing 737-300 luxueusement aménagé en avion privé, négocié, au bas mot, à quinze millions de dollars ? » Le Jir rappelle toutefois les explications fournies à la presse malgache, notamment celles d’une acquisition « faite pour soulager Air Madagascar », mais il enfonce davantage le clou en précisant : « On croit rêver ! Il faudra des années pour amortir un tel investissement qui ne peut même pas être utilisé par Air Madagascar en raison de ses aménagements spécial VIP, et la situation paraît d’autant plus ubuesque que la compagnie nationale utilise un vieux Boeing 737 de trente ans d’âge, et qu’il aurait été plus judicieux de moderniser sa flotte ». Et d’oser une comparaison : « Même Ratsiraka qui pourtant a saigné à blanc son pays se contentait d’une première classe sur Air Madagascar ».
La face cachée
Pour sa part, le Quotidien n’est pas en reste puisqu’il remet le couvert le lendemain en titrant qu’on aurait pu « acheter des tracteurs ». Et de faire observer : « On s’en doute, le nouveau joujou high tech du Président, doté d’un équipage allemand de neuf personnes que l’on devine rémunéré bien au-dessus du salaire moyen malgache de trente euros par mois fait l’objet d’interminables discussions dans les bas quartiers de la capitale », en ajoutant « on ignore si c’est le contribuable malgache qui a payé l’avion, ou certains financements allemands ou américains, en attente de contrepartie ».
Le Quotidien n’omet pas de rapporter la thèse officielle, et accorde une large place à un « observateur averti de la vie politique malgache » qui affirme : « La face cachée de cette affaire, c’est qu’Air Madagascar est, en ce moment, sous la coupe de Lufthansa Consulting dont on peut se demander justement si les premiers résultats ne conseillent pas d’arrêter de creuser davantage l’ardoise dans les caisses d’Air Madagascar ». L’observateur « averti » de confier au journal : « On peut, dès lors, imaginer que les Allemands aient dit au Président : On va vous trouver un appareil que vous pourrez utiliser à votre guise ». Reste à savoir si l’achat d’un avion moins onéreux n’aurait pas suffi à soulager Air Madagascar. Et on aurait pu acheter un grand nombre de tracteurs avec tout cet argent, « car ce qui est rageant, c’est que l’achat par l’État d’un Boeing 737 va se révéler d’une rentabilité nulle ».
Le Quotidien termine son article, signé Pascal Neau, par la question des rapports du Président avec ses amis allemands, lesquels l’ont effectivement aidé à bâtir son empire agro-industriel, ou encore sa chaîne de télévision équipée d’un matériel numérique venu directement d’Outre-Rhin. Et d’imaginer que M.R. ne fait rien de moins que renvoyer l’ascenseur à un puissant lobby d’affaires protestant et calviniste.
Il laisse le mot de la fin à son observateur anonyme : « Ici tout est possible. On pourrait, par exemple, trouver un jour du yaourt dans les soutes, ce qui permettrait à M.R. de dire que c’est sa propre entreprise qui finance l’achat de l’appareil en le louant de temps à autre… » Et de revenir aux choses sérieuses avec cet avertissement : attention, cet avion risque de devenir un objet encombrant à l’approche des législatives anticipées…

La cohue au guichet d’enregistrement d’Air Madagascar (avant le relooking
du hall d’Ivato).
Billets d’avion – Payez comme tout le monde, ou restez !
Un ancien ministre, Olivier Rakotovazaha pour ne pas le nommer, avait voulu, en son temps, s’attaquer à l’octroi de billets gratuits, les fameux GP (gratis passenger ou gratuité partielle), sur les vols d’Air Madagascar. L’initiative avait été bien accueillie par une opinion publique pressée d’en finir avec les passe-droits, et confondant dans un même opprobre tout ce qui a trait aux gratuités et aux réductions tarifaires de tout ordre. Elle avait particulièrement une dent contre les « GP2 », ces dispositions prévoyant 90% de réduction au personnel et leur famille. Ce que les profanes ignorent ou ne veulent pas savoir, c’est que, bien appliqué, le GP ne pénalise en rien le trafic payant, son titulaire n’étant embarqué que dans la limite des places disponibles et pouvant même être débarqué en cours de route. Mais comme les lois sont faites pour être enfreintes… Et quoiqu’on puisse lui reprocher, le GP est le seul moyen à la portée de l’agent d’une compagnie aérienne pour connaître son produit, à moins que cela n’ait guère d’importance.
Les gratuités intégrales et réductions « hors personnel » sont de plusieurs ordres. Elles peuvent être statutaires et concerner par exemple les anciens ministres de tutelle. Il arrive aussi qu’une compagnie qui veut ménager sa trésorerie paie un fournisseur en billet de passage en prenant soin de fixer des limites d’utilisation pour ne pas entraver le trafic payant (billet inutilisable en haute saison, par exemple). Mais là où les bonnes intentions du ministre risquaient de pénaliser la Compagnie, c’est que, sur le plan commercial, le billet gratuit a valeur d’investissement et contribue à la fidélisation d’une clientèle à haute contribution. Serait-ce une hérésie que d’offrir un billet gratuit à un PDG qui, en plus de ses propres déplacements, canalise ceux de ses cadres sur une compagnie plutôt que sur une autre ?
Au chapitre de la promotion touristique, la gratuité occupe une place centrale autour de laquelle s’articulent les Voyages de presse et autres Tours éducatifs, tant il est vrai que la concurrence ne lésine pas sur les moyens. Et parlons télévision, qui aurait l’idée saugrenue de faire payer Julien Lepers de sa poche pour venir parrainer le festival des baleines ?

Ayant débuté sa carrière au sein de l’Arema, Norbert Lala Ratsirahonana a successivement « coaché » Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, pour jouir d’une retraite paisible en tant qu’ancien chef d’État.
Migrations politiques – Le politicien rend possible le mariage de la carpe et du lapin
Contrairement aux scenarii usuels des fables, ces deux animaux, tout aussi délectables l’un que l’autre, ne pourront jamais se rencontrer ailleurs que sur une table de cuisine ou de salle à manger. Nulle agence matrimoniale (fictive) ne serait assez inconsciente pour essayer de les apparier, encore moins de les marier. Dès lors, en l’inexistence d’une quelconque interface fiable, ils pourraient élire domicile chacun sur sa planète et s’ignorer jusqu’à la fin des temps. Mais aussi improbable que cela puisse paraître, il y a des dîners où l’un vient en matelote et l’autre en gibelotte, unis par le seul vin blanc contenu dans la recette de leur sauce. Et les voilà finissant dans l’estomac éclectique d’un amateur de bonne chère.
Migrations politiques dîtes-vous ? Il y a tous ceux qui, une main sur le cœur, veulent faire croire à la sincérité des nombreux transfuges dont ils font partie, et qui viennent comme des darnes de carpe dans une gibelotte. Ils ne souhaitent qu’une chose : se fondre dans un premier temps dans la masse pour faire oublier leur passé souvent peu reluisant, et en prêtant allégeance au régime en place. Ils rêvent, en quelque sorte, que le bon peuple prenne les vessies pour des lanternes et … patientons encore un peu, on les verra aux meetings électoraux non pour y porter la contradiction, mais pour écouler des promesses ronflantes sur fond de fanions, de tee-shirts et de casquettes. Parmi ces futurs députés, car élus, ils sont persuadés de ce destin national, certains ne cherchent même pas à trop s’apesantir sur un programme fumeux, préférant jouer sur l’alliance contre nature qu’ils ont contractée. Leur raisonnement est on ne peut plus simple : j’ai la confiance de qui vous savez, ergo je mérite largement que vous votiez pour ma personne.
« Au-dessus de la mêlée »
La soif d’honneur et de pouvoir en amène régulièrement plus d’un à cette variété de prostitution et à retourner casaque plus souvent qu’à

« Révélé » en mai 1991, Alain Ramaroson a abattu les régimes qu’il avait encensés auparavant, terminant (provisoirement ?) son parcours à la case prison.
leur tour. De cette manœuvre, un grand politicien de la Deuxième République a fait un art, « son » art, sauf qu’il avait le chic de présenter à tous les coups des candidats perdants. Il a tout essayé, louvoyer et virer de bord au moindre coup de vent tout en osant se dire « pur et dur », adopter toutes les idéologies pour obtenir ou garder un fauteuil au Conseil suprême de la Révolution (CSR), que les médisants préféraient traduire par « Ça Sert à Rien », intriguer pour placer ses proches à divers postes de haut niveau, se forger de nouvelles alliances en créant une structure mort-née, pour enfin se draper dans un lambeau de dignité et ne plus prendre part aux consultations
populaires car il caressait un autre rêve : celui d’être sénateur désigné sur le quota de l’amiral en déclarant à qui voulait l’entendre : « J’entends me placer au-dessus de la mêlée, en ma qualité de respectable vétéran de la politique ». Une « sagesse » qui n’est pas sans rappeler celle du renard de la fable : « Ils sont trop verts dit-il, et bons pour des goujats ».
Quand ce genre de changement d’orientation s’opère sous nos yeux, on est en droit de se demander à quel moment le cher homme, ou de plus en plus la chère femme, est sincère, et à quel autre moment il, ou elle, ne l’est pas ? Faut-il quand même accorder un crédit aux éléments subtils qu’il a introduits dans sa ligne de conduite ? Et au sujet de ceux qui savent manier à merveille l’éthique religieuse, il est permis de se demander si, une fois de plus, il ne s’agirait pas d’une ruse au second degré pour nous induire en erreur. Un peu comme si un pseudo-Pape se rendait pieds nus et en pagne blanc en pèlerinage à la Mecque. Mais qu’on se le dise : si ce genre de politicien migrateur décide de descendre en gladiateur-vedette dans l’arène, croyant « pousser » son candidat, il risque de ne plus trouver mieux pour signer la fin de la carrière politique du malheureux. Ce qu’à Dieu ne plaise…

James David Wolfensohn a été président de la Banque mondiale de 1995 à 2005.
Rétro pêle-mêle
Rapport 2004 sur le développement dans le monde : mettre les services à la portée des pauvres. Ce document de la Banque mondiale avertit que l’on ne peut escompter de grandes améliorations dans les conditions de vie des pauvres tant qu’ils ne bénéficient pas d’un plus grand accès, à des prix abordables, à de meilleurs services de santé, d’éducation, d’eau potable, d’hygiène et d’électricité. Sans de telles améliorations, les maladies et l’analphabétisme, deux maux à éradiquer, continueront à être le lot de nombreuses couches démunies.
La situation actuelle est de nature à rendre vains les efforts visant à atteindre les Objectifs de Développement pour le Millénaire, des Objectifs appelant à réduire de moitié le phénomène de la pauvreté dans le monde, et à apporter des améliorations substantielles au développement humain avant 2015. Le Rapport cite l’exemple de pays où les services fonctionnent bien, montrant comment pouvoir public et citoyens peuvent améliorer les choses. Ce qui distingue le succès de l’échec, c’est le degré d’implication des pauvres dans la détermination de la qualité et de la quantité des services qui leur sont fournis.
« Souvent, les services ne profitent pas aux pauvres. Même si ces échecs semblent moins catastrophiques que les crises financières, il n’en demeure pas moins que les effets sont profonds et durables », déclare James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, avant de poursuivre : « les services marchent quand ils profitent à tout le monde. Quand les filles sont encouragées à fréquenter les écoles, quand les enfants et leurs parents participent à l’effort d’éducation, quand la collectivité prend en charge son système d’hygiène ».
Lettres sans frontières
Joseph Ntap Ngoupou
In À l’aurore de la vie
La souffrance victorieuse de la graine
Le paysan, avec assurance et foi
Enfouit la graine dans le sol froid.
La graine, prisonnière de la terre,
La graine prisonnière de l’obscurité,
La graine dans sa prison et son manque
Se cherche, veille.
Dans sa recherche, elle fait appel à sa puissance cachée.
Dans sa recherche, elle tombe amoureuse de sa prison.
Dans sa recherche, elle absorbe l’eau environnant.
Dans sa quête, elle fait corps avec la terre envahissante.
La graine se met ainsi à aimer la Vérité dans son ennemi
Apparent.
Et dans le noir de sa prison elle grossit.
Les murs déjà s’écartent.
La toiture déjà se fissure.
Au cœur de la graine l’embryon se forme.
L’embryon ! Fruit de sa recherche patiente et solitaire.
La lumière, par les fissures, vient au secours de l’embryon
Les rayons complices stimulent le bourgeon.
La terre craque sous sa poussée puissante,
Et le bourgeon redonne la Vie à la Vie.
Toute prison n’est qu’apparente
Toute souffrance n’est qu’illusion.
Tout manque est une bénédiction déguisée.
Tenir la tête hors de l’eau en toute circonstance !
That’s the question,
Veillez et priez car vous ne savez ni le jour ni le moment.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : Archives de L’Express de Madagascar - AFP