Le mariage est une alternative de survie pour des familles vulnérables dans la région Androy. Les adolescentes en sont les malheureuses victimes.
Marier leurs filles mineures. C’est l’alternative qu’ont trouvée Bezara Velojaona et sa femme, Kazy, un couple paysan en situation de précarité, pour alléger leurs charges. Ils habitent dans une commune rurale du district de Bekily, dans la région Androy. La famille a huit enfants, six filles et deux garçons. Seule la toute dernière n’est pas mariée, ses grandes sœurs ayant déjà convolé en « justes » noces. Il s’agit d’une adolescente de 16 ans, au moment où nous les avons rencontrés, en décembre 2016.
C’était au cours d’un voyage de presse organisé conjointement par le Bureau national de la gestion des risques et catastrophes et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) et axé sur l’ampleur de l’insécurité alimentaire dans le Sud, dans les régions Androy, Anosy et Atsimo-Andrefana. « La vie est vraiment difficile, ici. Nous dépendons de l’agriculture, mais faute de précipitations, il n’y a pas de récolte. Nous n’avons rien à manger », se plaint le chef de famille.
La benjamine de la famille, que nous appellerons « Sidonie », a été retirée de l’école, contre sa volonté, alors qu’elle est en classe de sixième. « Nous l’avons déscolarisée car nous n’avons pas les moyens de lui acheter des stylos, des cahiers, bref des fournitures scolaires. Elle doit se marier. C’est triste à dire, mais si elle trouve un mari, nos charges seront allégées. Pourtant, elle ne veut ni se marier ni abandonner l’école et moi-même, je ne le souhaite pas pour elle, mais notre situation actuelle nous y oblige», se justifie Kazy.
Trouver un mari pour leur fille n’est pas chose difficile pour Kazy et Bezara Velojaona. Il suffit qu’un homme soit prêt à la prendre pour épouse. « Si un homme vient se présenter chez nous pour demander sa main, nous lui demanderons d’abord s’il peut subvenir à ses besoins. S’il en a les moyens, nous lui accorderons sa main», ajoute la mère de famille.

Lydia aurait pu devenir sage-femme, si on l’avait poussée dans ses études.
Un mariage raté
Le père, Bezara Velojaona, reconnait toutefois qu’à plusieurs reprises, ils se sont trompés de calcul. « C’est difficile. Certains de mes gendres n’arrivent même pas à subvenir aux besoins de leur famille. Ils reviennent chez nous avec leurs enfants et deviennent un fardeau qui alourdit nos charges », confie-t-il.
Lydia, la fille aînée, a été la première à être mariée. Ses parents l’ont forcée à accepter un homme de 40 ans, alors qu’elle n’avait que 15 ans. « J’ai tellement pleuré à l’époque. Je ne voulais pas me marier. Ce que je voulais, c’est finir mes études et exercer le métier de sage-femme. On m’avait frappée, on m’avait dit qu’on allait me renvoyer de la maison si je refusais l’homme qui voudrait me prendre pour femme », se souvient-elle avec amertume. Elle a fini par épouser le quadragénaire. Elle a actuellement 30 ans et son mari, la soixantaine. Mais leur vie ne s’est pas améliorée. Pire, ils ont sombré dans une pauvreté profonde. « Nous nous sommes installés à Maevatanàna, dans la région Betsiboka. Là-bas, nous n’avions rien à manger. Quelques années plus tard, mon mari m’a dit de rentrer à Bekily, chez mes parents, avec nos enfants. En revanche, lui n’est jamais revenu et depuis, je dépends de mes parents», raconte-t-elle.
Les enfants de Lydia sont les victimes malheureuses de cette union forcée et ratée dans la région Androy. « Ils ne vont pas à l’école et j’ai du mal à leur trouver à manger », déplore Lydia. Ironie du sort, déjà victime d’une telle pratique, Lydia envisage elle aussi de faire endurer à ses filles le même calvaire. « Je les marierai quand elles seront un peu plus âgées », projette-t-elle.

La précarité pousse des familles à marier leurs enfants.
Abandon scolaire
Selon le chef de la circonscription scolaire (Cisco) de Bekily, Christian Mahatsara, le mariage précoce est une tradition dans l’Androy. « La précarité de la situation des parents les oblige à marier leurs filles dès qu’elles atteignent l’âge pubère », dit-il.
Cette tradition favorise l’abandon scolaire dans la région Androy. « Les adolescentes quittent les bancs de l’école dès que leurs seins apparaissent. Elles sont destinées à des hommes plus âgés qu’elles. On les voit souvent partir quand elles arrivent en classe de septième », explique la directrice de l’école primaire publique (EPP) de Bekily.
Toutefois, ce phénomène irait aujourd’hui dans un sens décroissant. « Il y a de moins en moins de filles mineures à quitter l’école pour se marier. Depuis le début de l’année scolaire, notre effectif est encore complet alors qu’auparavant, au moins trois adolescentes abandonnent l’école au bras d’hommes qui ont le double, voire le triple de leur âge », indique-t-elle.
Ainsi, le taux de scolarisation a tendance à augmenter. Il frôle actuellement les 90%, surtout dans les écoles primaires, selon le chef de la Cisco de Bekily. « Le problème réside au niveau des classes secondaires. Il n’y a que huit collèges d’enseignement général pour les vingt communes, et ces établissements sont très éloignés pour de nombreux collégiens. Ils sont contraints d’abandonner les cours. »
L’abandon scolaire est aussi élevé dans les villages où il n’y a pas de cantine scolaire. Et une fois que les adolescentes ne vont pas à l’école, elles sont fortement exposées aux mariages précoces. Dans le district de Bekily, sur les 293 EPP, plusieurs dizaines ne sont pas dotées de cantine. Le Programme alimentaire mondial en entretient 190, dont 10 dans le programme Alimentation scolaire basé sur les achats locaux (Asbal).

Kazy, la mère de Sidonie et de Lydia, cherche un mari pour sa dernière née.
Des droits bafoués
Le mariage des mineures est interdit par la loi malgache. L’âge marital légal est fixé à 18 ans, selon la loi votée en 2007. Cependant, cela n’empêche pas des familles de marier leurs filles. « Elles n’ont pas recours à nos services. C’est au cours d’une cérémonie traditionnelle que l’union est célébrée», précise Henri Remandefitra, maire de la commune rurale de Bekito dans le district de Bekily.
Mariage légal ou union légitime, les droits des enfants sont bafoués. Les filles mariées trop tôt n’ont plus le droit d’aller à l’école. À leur jeune âge, elles assument déjà le rôle d’une mère et n’ont plus le droit de jouer et d’avoir des loisirs. Et personne ne respecte leurs opinions. Elles sont aussi exposées à des complications au moment de l’accouchement car leur corps n’est pas encore prêt à enfanter.
Selon quelques autorités locales, il est difficile d’intervenir car cela va à l’encontre des traditions. Elles informent par ailleurs que le réseau de protection de l’enfant n’est pas installé à Bekily.
Paubert Tsimanova, anthropologue – « La tradition est la clé de la sagesse, le développement a besoin de ses codes moraux »
Le mariage traditionnel a-t-il toujours sa place dans la société actuelle
En effet, oui. La société Ntandroy étant conservatrice des bonnes mœurs, très traditionnaliste, c’est un honneur pour les parents de marier leur fille, même à un homme pauvre, plutôt que d’avoir une vieille fille chez eux. Marier leur fille leur permet de consolider leurs relations avec le voisinage et d’étendre leur notoriété. Ainsi, par exemple, le fait qu’une fille soit accordée à un « dahalo », épargnerait sa famille.
N’est-il pas en fait un autre facteur de précarité chez la population ?
En général, le mariage précoce est source d’ennuis car les filles n’ont pas encore la pleine maturité pour gérer leurs relations. Comme la société Ntandroy est souvent patriarcale, par le mariage, les jeunes filles doivent se plier à des règles plutôt normatives qu’instructives. Allant d’une dispute conjugale à une répudiation définitive, elles se retrouvent « filles-mères » chez leurs parents et alourdissent gravement les charges familiales. Actuellement, seuls 35% des mariages précoces réussissent.
Pour vous, comment concilier tradition et développement ?
Il est vrai que la « tradition » ne rime pas assez souvent avec le « développement ». Sans vouloir exagérer, la réalité dans l’Androy reflète une économie fragile, précaire. Mais la tendance montre qu’à l’ère moderne, à l’ère du numérique, on assiste à une société de plus en plus vulnérable et les jeunes filles deviennent des proies faciles. Alors que la tradition est la clé de la sagesse, le développement a besoin de ses codes et valeurs moraux pour être initié. En Chine par exemple, les mariages traditionnels sont encore sollicités pour les jeunes mariés super diplômés et qui vont œuvrer plus tard pour le développement de leur pays.

Son mari a quitté cette adolescente de 17 ans et leurs deux enfants.
Trois sortes d’union coutumière
Le mariage précoce chez les Ntandroy fait partie de la tradition. L’anthropologue Paubert Tsimanova déclare que, dans l’Androy, l’union coutumière est issue d’un consensus entre deux ou plusieurs familles (s’il s’agit d’une polygamie). Selon l’anthropologue, il y a au moins trois cas distincts.
Il y a d’abord le « valifofo » quand la fille n’atteint même pas l’âge de la puberté. Celui qui s’engage pour la prendre comme épouse est souvent, par intérêt clanique, son futur beau-père et ce, pour préserver sa lignée et ses statuts sociaux. La fille n’a d’autre choix que d’accepter la dot. Elle restera chez ses parents qui la préparent et l’éduquent pour qu’elle puisse assumer le rôle d’une femme au foyer. Son père l’initie aux traditions et sa mère à l’éducation « au féminin » (hygiène, intimité,…)
Il y a ensuite le mariage arrangé quand l’adolescente est âgée de 14 à 16 ans, souvent scolarisée, mais elle est contrainte de quitter l’école pour éviter de mettre sa famille dans une situation honteuse par une grossesse juvénile. Dans ce cas, elle a au moins fréquenté un garçon, mais au final, elle connaîtra des hommes beaucoup plus âgés qu’elle. Ses parents sont prêts à l’offrir au premier venu car si jamais elle tombe enceinte, elle aura moins de chance de trouver un mari. Ce choix n’est pas qualitatif, mais « honneur oblige ».
Enfin, le troisième cas n’est pas du tout enviable. Faute de pouvoir subvenir aux besoins de la famille, les parents obligent leur(s) fille(s) à s’occuper des tâches ménagères sans se soucier de la (les) scolariser. Elles pensent vite qu’il est préférable de se marier très tôt afin d’alléger les charges familiales. C’est souvent le cas dans une famille nombreuse.

Le mariage précoce est propre aux familles rurales.

Les enfants de Lydia seront, elles aussi, mariées dès leur adolescence.
Textes : Miangaly Ralitera – Photos – Miangaly Ralitera – Fournies