Tom Andriamanoro décide dans sa livraison d’aujourd’hui de se poser des questions sur « l’itinéraire mouvementé du Raiamandreny Monja Jaona». Il compare aussi la Pénélope de l’Odyssée à celle qui fait la une de la presse française.
Grands Hommes – Iray minitran’ i Monja
L’invite ne souffre aucune dérobade. « Rabearimanana, valio izay ! » C’est sur ce ton péremptoire que le leader charismatique du Monima Ka Mivimbio envoyait au charbon son fidèle lieutenant, dès lors que les questions de l’auditoire se faisaient délicates. Ses meetings politiques au stade couvert de Mahamasina étaient des évènements que n’aurait raté en aucun cas le bon peuple très politisé de la capitale, certains y venant pour les comparer en termes d’affluence avec ceux du Pasteur Andriamanjato. Monja Jaona restait généralement dans les vérités incendiaires qui faisaient trépigner d’aise les foules, et laissait les développements idéologiques à ses cadres. Certains se souviennent encore de ses « Fanjakana Arema lo, lo, lo ! » (Le pouvoir Arema Pourri, pourri, pourri !) .
S’il est un politicien malgache dont la carrière s’est en partie déroulée dans le mystère d’un clair-obscur, n’ayant rien d’artistique, c’est bien celui qui reste dans les mémoires sous l’appellation respectueuse de « ny Raiamandreny Monja Jaona ». Non point que son patriotisme, au-dessus de tout soupçon, prête à discussion, mais plutôt parce que ses options et réactions parfois imprévisibles ont plus d’une fois dérouté la logique des observateurs. Les archives de 1947 sont en principe consultables depuis 1997, mais fort curieusement personne ne semble s’y précipiter. Tout est finalement bien mieux ainsi, puisqu’il ne servirait strictement plus à rien de raviver les antagonismes, non seulement entre MDRM et PADESM, mais aussi entre le grand mouvement nationaliste et les sociétés secrètes dans lesquelles militait Monja Jaona. On sait que les têtes pensantes du MDRM et, en particulier, Jacques Rabemananjara, ont toujours accusé ces activistes, partisans de la méthode forte, d’être manipulés à leur insu par l’autorité coloniale, pour décapiter l’élan émancipateur.
Une autre zone à éclaircir sur l’itinéraire mouvementé du Raiamandreny Monja Jaona concerne certains aspects des évènements d’avril 1971 dans le Sud. Des analystes pensent en effet qu’ils ont fait l’objet d’une tentative de récupération politique aussi bien par le Monima qui voulait en revendiquer la paternité, que par les barons du PSD qui y voyaient l’occasion ou jamais d’éliminer un adversaire dangereux. Monja Jaona n’a-t-il pas été exhibé, enchaîné, humilié, sur une camionnette pendant qu’on hurlait à la foule « voilà le chef des dahalo » Pour un ancien détenu parlant de cette jacquerie des pauvres qui aurait de toutes les façons eu lieu avec ou sans Monja et le Monima, « nous n’avions pas l’intention de renverser un quelconque pouvoir. Nous avions tout simplement faim, et nous l’avons crié ». La répression fit 7 000 morts selon la presse française, 500 selon les autorités de l’époque. Quant à Monja Jaona, il fit preuve d’une probité exemplaire en retournant tout seul dans sa cellule après l’enterrement de son fils.
Toujours à ce chapitre des énigmes du parcours de Monja, se trouvent les relations triangulaires entre lui, Didier Ratsiraka et le peuple d’Antananarivo. À deux reprises le nationaliste fut l’adversaire de l’amiral aux présidentielles : en 1982 où il réalisa une véritable performance en récoltant un peu moins de 800 000 voix et en 1989 où il chuta durement à 140 000. Ces résultats sont à lire en grande partie à l’aune fluctuante de sa popularité dans une capitale qui avait fait de lui son député et se souvenait de sa silhouette filiforme rejoignant à pied son domicile d’Antsahabe. Et puis… et puis vint ce triste jour du 10 août 1991 où Monja Jaona fit venir de son Sud profond, des experts en lancer de pierres pour mater la grande Marche de la Liberté, après s’être rallié à celui qui fut pourtant, à un certain moment, son bourreau, et que Jacques Rabemananjara apostropha dans un recueil poétique d’une rare violence : « À ceux que l’on arrête, à ceux que l’on torture, au captif solitaire du camp maudit d’Ankilivondraka (Ndlr : Monja Jaona), à ceux que l’on flagelle avec des fouets à bouts de clous, à tous les prisonniers chargés de chaines et d’insultes, à tous les innocents anonymes croupissant sans espoir sur le grabat de l’injustice, aux victimes de l’arbitraire et des abus sans freins ni lois, ma voix sera leur voix haute et sonore. » Une minute dans le cheminement du plus populaire homme politique que le pays ait connu, est parfois aussi insondable qu’un siècle…

Pénélope Fillon, femme au foyer, s’est retrouvée dans un imbroglio politico-financier.
Femme au foyer – Pénélope…
Pénélopie
La France est jolie
Je t’attendrai près du bateau gris
C’était le tube d’un « baby band » d’une dizaine de gamins, parmi lesquels un Malgache, catapultés, le temps d’un été, au sommet du hit parade. Aujourd’hui, les Poppies sont tous des quadras ou des quinquas qui ont fini par oublier celle qui n’est jamais venue.
Pénélope est, avec son mari Ulysse, le personnage central de l’Odyssée, cette épopée antique attribuée à Homère et considérée, avec l’Iliade, comme l’œuvre-mère de la littérature européenne. Pendant qu’Ulysse se plaisait à guerroyer en mer, sa femme devait repousser les avances de prétendants voulant lui faire croire qu’il ne rentrera plus. Pénélope leur demandait juste un peu de temps, celui de terminer un travail de tissage qu’elle défaisait malicieusement chaque nuit, pour tout reprendre à zéro le lendemain. Et surtout, elle se consacrait à l’éducation de son fils Télémaque.
Quelle ressemblance avec une autre Pénélope, cette fois-ci des temps modernes, épouse devant l’État-civil du sieur François Fillon Bien peu de choses en fait, mais les cheveux sont faits pour être coupés en quatre. Née Kathryn Clarke, cette « Anglo-galloise », comme elle aime le préciser, a connu son futur mari sur les bancs de l’université, et est restée dans son ombre pendant trente cinq ans. Un peu comme « l’autre ». Loin d’être inculte, elle est avocate de formation, mais, curieusement, n’a jamais exercé ce métier, préférant jouer à la femme au foyer pour s’occuper de ses enfants. Un peu comme « l’autre». C’est peut-être ce que voulait en fait son mari qui, pendant qu’il naviguait sur les vagues de la politique hexagonale, aurait trouvé, dit-on, l’astuce de la rétribuer à ne rien faire : un peu moins de 900 000 euros au total, en tant qu’attachée parlementaire virtuelle, et 100 000 euros venant de «La Revue des deux Mondes » où elle aurait en tout et pour tout rédigé deux ou trois notes de lecture. Un ennui somme toute plus confortable que celui de « l’autre ». Mais ce que M. François-Ulysse ignorait, c’est que les noms traînent parfois quelque chose comme une malédiction. Pénélope, celle de la mythologie immortalisée par Homère, aurait été jetée à la mer par ses parents, et sauvée des eaux par des canards sauvages. Pénélope, la désormais plus célèbre épouse de France, a été avec son mari prise en tenaille dans ce « Fillongate » par un… canard comme on appelle péjorativement les journaux, et pas n’importe lequel, le Canard enchainé. Étonnant, non ?
Toujours est-il qu’un boulevard vers le deuxième tour semble ouvert à Marine Le Pen et à Emmanuel Macron qui n’en demandaient pas tant. Le bateau gris des Poppies est devenu une galère, si près du port.

Le navigateur Roland Vilella sur son voilier, quelque part dans l’Atlantique-Sud.
Lu pour vous – La sentinelle de fer
Ce livre se lit comme un roman, mais n’en est pas un. On pourrait parler d’un recueil de témoignages né de la rencontre entre un marin-voyageur comme Roland Vilella aime se définir, et l’île de Nosy Lava où il choisira de rester de 2004 à 2010. Avec, cependant, de fréquents allers-retours vers le monde des hommes libres, mais toujours, comme pour mieux y retourner. Et quand un navigateur accoste sur l’île à la nuit tombée, ce qui est souvent le cas à cause du vent, il retrouve cette carcasse rouillée du phare qui surplombe le bagne. Redoutable, fantasmagorique, une véritable sentinelle de fer…
Nosy Lava est belle. Mais comme on regarde souvent les géographies en fonction de ce que l’on sait de l’histoire des lieux, il s’agit d’une beauté froide, abimée par les horreurs que le bagne a hébergées jusqu’au départ des derniers pensionnaires. Et puis, Vilella s’intéresse plus à l’élément humain qu’aux paysages. Ce livre est son troisième, car « j’en ai commis d’autres » plaisante-t-il, mais toujours avec, en toile de fond, cet humanisme peut-être né de ses éternités de solitude par-dessus les océans. Le premier, Henri le cultivateur, parle d’une mission d’acheminement de médicaments mise sur pied avec l’Hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona. Le second, Prédateur et complice, dénonce cette affaire de pédophilie aux Mitsio mettant en cause un citoyen suisse. « Une incroyable bataille menée avec le président du Fokontany, un bonhomme extraordinaire, dans laquelle nous avons donné et reçu beaucoup de coups. »
La sentinelle de fer est certes l’histoire du bagne de Nosy Lava, mais c’est aussi celle d’une impensable amitié née entre un marin ivre de liberté et d’espace, et un criminel incarcéré depuis vingt cinq ans. Personnage central du livre, Albert, aujourd’hui décédé, « était un véritable disque dur d’ordinateur, une mémoire prodigieuse ! On aurait dit qu’il a survécu uniquement pour porter son témoignage et non pas pour se plaindre : il savait ce qu’il a fait et pourquoi il était là-bas à perpétuité ». Vilella a dû trier les cas rapportés dans son livre en raison de leur nombre : celui de ce tortionnaire qui, un jour, se découvre une conscience; celui de ce tueur fou qui a sévi pendant des années ; celui de ces bagnards qui ont attaqué le voilier Magic carpet et tué tous ses occupants, une affaire qui a longtemps fait la une de la presse…

La couverture du livre avec un de ses personnages, Albert le bagnard.
Mais l’auteur a aussi lié des relations avec des gardiens, pour ne pas tomber dans une trop facile dichotomie avec, d’un côté, des pauvres détenus et, de l’autre, des méchants gardiens aussi assassins que leurs prisonniers. La vérité est plus compliquée que cela. Dans tous les pays du monde, on aboutit aux mêmes résultats : mettez un exorbitant pouvoir de vie et de mort, avec l’assentiment de l’État, entre certaines mains et vous comprendrez mieux les horreurs qui se sont passées au bagne de Nosy Lava…
Un des personnages les plus étonnants rapportés par le livre, et auquel Roland Vilella a tenu à rendre hommage, est le président du tribunal d’Analalava, aujourd’hui à la retraite, la seule personne qui ait osé s’élever contre les méthodes appliquées à Nosy Lava, sous couvert d’un silence complice. Lors d’une visite, le juge n’a pas eu de réponse à sa question : « M. le Directeur, montrez-moi les textes de loi qui vous autorisent à assassiner les prisonniers » Par contre, un de ceux-ci y a puisé le courage de se faire le porte-parole de tous les autres : « Même si je dois être le seul à parler, moi, Martin Rakotonirina, je le dis : cet homme est un tueur ! » Une scène frisant le surréalisme. « Dans ses vêtements en lambeaux, habité par une parole irrépressible qui le désigne aux bourreaux, Martin, au milieu des siens, dit les souffrances de tous. Le discours haché, sans cohésion, brutal, lève un frisson dans la foule des prisonniers. Tous se reconnaissent en ces paroles et les plus fiers relèvent déjà la tête. Car cette voix ravagée qui clame leurs malheurs n’est pas la parole d’un fou, mais celle, souterraine, contenue, mutilée, de centaines d’hommes qui s’expriment enfin : la voix du bagne de Nosy Lava. »
Roland Vilella, marié à une Malgache et fier de sa fille déjà grande, reprendra bientôt son élément premier, la mer. Mais il me livre une dernière confidence : « Vous savez, il m’est déjà arrivé de quitter Madagascar avec la décision de ne plus revenir. Mais je suis revenu, et j’y ai retrouvé ma peau ».
Rétro pêle-mêle
En cette année 2007, focus sur trois peintres malgaches de France. Le Dr Lucile Randriamavo saute le pas en 1996, et abandonne la médecine pour la peinture. Ce n’est pas un coup de tête, peindre étant profondément en elle depuis l’enfance. Formée à l’École des Beaux-Arts de Bretagne, celle qui a choisi « Hazavana » pour nom d’artiste a exposé aux quatre coins de France ainsi qu’au Japon, en Chine, et dans divers pays européens. Elle se sent bien chez elle en Bretagne, où elle continue à composer des images de… Madagascar.
Jean Andrianaivo Ravelona, créateur du style « Ay Fanahy, » a bourlingué de Madagascar en Allemagne en passant par le Kenya et l’Indonésie, avant de s’installer à Paris en 1998, et reprendre aussitôt ses pérégrinations d’une expo à l’autre jusqu’aux Antilles. D’après le critique d’art Mathilde Claret, « l’essence même du travail de Ravelona est spirituelle et délivre un message de paix. J’en suis convaincue, il veut tout simplement transmettre le bonheur universel : mon cœur est l’Univers et l’Univers est mon cœur ».
À 72 ans, Jean-Michel Razanatefy est le doyen de nos expas. Résolument classique, il se situe dans la tradition des Ratovo et Rakotovao, peintres de la fin du XIXe siècle, ou encore de Ramanankirahana. La maîtrise technique est parfaite, soulignant à la fois la poésie des couleurs et l’équilibre de la composition. Ce spécialiste également des fresques murales avoue vouloir continuer à peindre, tant que Dieu lui prête vie.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : AFP – Fournies -Intenet