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Jean Pierre Domenichini –« La communauté d’Ambohimalaza a su se faire une place dans l’Imerina »

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Cet anthropologue et historien émérite est réputé pour ses recherches en anthropologie et histoire culturelles, ainsi que sociales. Face aux récentes actualités, il évoque l’histoire d’Ambohimalaza.

Racontez-nous l’histoire de cette colline d’Ambohimalaza…
L’histoire de ce lieu se rattache grandement à celle du roi Andriantompoko­indrindra qui y a vécu très longtemps. Il a su y instaurer plusieurs traditions qui, au fil des siècles, ont forgé la renommée même de cette colline d’Ambohimalaza. Il a su faire, en sorte, sous son règne qu’Ambohimalaza s’affirme comme étant un haut-lieu des Andriana d’Imerina, en la consacrant en tant que leur fief. Devenant ainsi cette colline réputée aussi bien pour ses valeurs que le fameux prestige de ses habitants, Ambohimalaza est depuis Andriantompoko­indrindra un théâtre des faits historiques de l’Imerina. Avant sa mort, le roi se fit préparer ce tombeau surmonté d’une petite maisonnette semblable aux cases habitées, laquelle sera la première « tranomasina » ou « tranomanara » des Hauts-plateaux, devenant le symbole même d’Ambohimalaza, par la suite. Au fil des ans, les traditions y afférentes s’y sont perpétuées grâce aux descendants du roi, qui, dans leur majorité, ont su imposer leur prestance du côté d’Ambohi­malazabe. Ces descendants se sont tous affirmés comme étant de véritables Andriana.

L’origine des « Tranomanara » est donc Ambohimalaza  ?
Ces cases sacrées sont surtout rattachées à nos origines austronésiennes. C’est pourquoi l’on retrouve ces mêmes cases sacrées un peu partout dans la Grande île, notamment chez les peuples Antandroy et Mahafaly, jusqu’à aujourd’hui. À l’instar de ces tombeaux ornés de Aloalo dans le Sud de Madagascar, les « Tranomanara » des Hauts-plateaux, dont celle d’Ambohimalaza construite par Andriantompokoindrindra fut la première, sont telles des palais posthumes visant principalement à honorer la mémoire d’un roi défunt. Elles doivent être constamment bien entretenues et toujours conservées sous leur aspect originel. Les « Tranomanara » constituent une fidèle représentation des anciennes cases malgaches, de conception très simple et de dimensions modestes. À côté de cette tombe se trouvent celles de la mère, des épouses et des fils du roi « masina ». Pour Ambohimalaza en particulier, l’édification d’une « Tranomanara » sur le tombeau est depuis cette époque réservée aux descendants d’Andriantompokoindrindra et de son frère Andrianjaka.

Les Andriana ont-ils un rôle particulier à Ambohimalaza  ?
À vrai dire, les traditions locales se réfèrent toutes aux rôles des Andriana et des « Raiamandreny » d’Ambohimalaza. Ces anciens, ou « Raiamandreny », ont pour rôle principal de veiller sur les Andriana. Ces derniers qui sont les héritiers d’Andriantompokoindrindra ont, quant à eux, su se faire une place d’honneur dans la cour du roi, entre autres, en tant que conseillers et autres. Étrangement, par la suite, cet aspect de la hiérarchie et des descendants andriana d’Ambohimalaza perdure jusqu’à aujourd’hui. De mémoire, je prendrais comme exemple l’ancienne ministre Brigitte Rasamoelina qui illustra, sans doute, ce prestige attribué aux valeurs des anciens d’Ambohimalaza.

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Pourquoi les descendants d’Ambohimalaza sont-ils justement réputés comme particuliers ?
C’est sans doute, comme je vous l’ai dit, en rapport à ces normes de respect et de tradition imposées par les anciens dans cette localité. Notamment les fameux « Lova tsy mifindra », par rapport au fait que les héritages et les richesses locaux restent chez leurs descendants uniquement et nul autre en dehors de la communauté d’Ambohimalaza. Ou encore le fait qu’ils ne se marient qu’entre eux également. Eh bien, disons que ce sont là des faits plus ou moins erronés. Quand Andriantompokoindrindra « a tourné le dos », ses fils se sont partagé son royaume, et les descendants de son aîné ont pu acquérir plus de terres. Ces descendants d’Andriantompokoindrindra se sont dispersés, par la suite, dans les périphéries d’Ambohimalaza, voire au-delà. Certains se sont établis à Ambohidrakotra, à Ambohijozoro, à Ankadivory ou encore à Ambohitrimanjaka et Andramasina. Tout cela pour dire que la communauté d’Ambohimalaza a su se faire une place partout ailleurs au sein de l’Imerina. Les habitants de ces localités sont ainsi tous des descendants d’Ambohimalaza, enrichissant la descendance du roi Andriantompokoindrindra.

« Pour la préservation des lieux, l’hypothèse de leur resacralisation est, d’ores et déjà, envisagée »

Quid de cette tradition du « Lova tsy mifindra »  ?
C’est ce qui surprend particulièrement vis-à-vis de ces traditions qui régissent la communauté d’Ambohimalaza. Car jusqu’à aujourd’hui, il existe encore ceux qui tiennent à cette tradition du « Lova tsy mifindra ». Pour dire que cette culture selon laquelle les héritiers d’Andriantompokoindrindra ne doivent pas se mélanger aux autres. On affirmait, par exemple, à l’époque qu’ils ne devaient pas se marier avec ceux du Sud, parce que ces derniers étaient ignares ou encore que ceux du Nord étaient fragiles de santé, donc à éviter. Depuis, les descendants d’Ambohimalaza, à l’instar de ceux d’Andrianampoinimerina, ne devaient épouser que des Andriana de la même lignée qu’eux. Pour dire donc que selon cette tradition, nos filles coûtent cher. En fait, les mentalités ont plus ou moins changées depuis, car les originaires d’Ambohimalaza se sont éparpillés dans les Hauts-plateaux et ont ainsi su se mélanger aux autres. Même si quelques coutumes persistent vigoureusement au sein de cette communauté, comme par exemple le fait que les gendres ne sont pas enterrés dans les tombeaux familiaux.

Que signifient ces actes de profanation de ces lieux sacrés, selon vous  ?
Franchement, je ne le sais pas. Ce que je peux vous dire c’est que nombreux sont ceux qui sont contre ces traditions et ces rites qui animent souvent les lieux comme les « Tranomanara » d’Ambohimalazabe. Pas uniquement sur les Hauts-plateaux, mais même au-delà, notamment à cause de cette expansion de l’évangélisation à Madagascar. Pour la préservation de ces lieux, l’hypothèse de leur resacralisation est, d’ores et déjà, envisagée, c’est le moins que les anciens peuvent initier, face à des autorités impuissantes par rapport à ce genre d’incident. Pour ma part, ce sont juste des actes de profanation comme vous l’affirmiez.

Photos : Andry Patrick Rakotondrazaka et fournie


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