C’était un bel après-midi d’octobre, et nous avions rendez-vous dans sa maison, sur la route de l’aéroport d’Ivato. Un havre de sérénité avec ses fenêtres ouvertes sur une cour parsemée d’arbres fruitiers, et surtout les cheveux blancs de ce beau couple à l’abri du temps qui passe. Je le connaissais de l’extérieur, à travers quelques unes de ses œuvres : Dinitra, Sedra, Voninkazo Adaladala, et surtout Zo que j’avais acheté pour ma fille avant même qu’elle ne sache lire. Pour plus tard. Mais ce jour-là, j’avais le privilège d’entrer dans son jardin privé et, pourquoi pas, de le lire autrement.
Ma conversation avec cet orfèvre de la rime ne pouvait avoir qu’un sujet : le malgache, aussi bien l’homme que la langue. Le Malgache qui n’a d’autre repère que le cœur : « nafana fo ny fokonolona », « niteraka risim-po ilay kabary », « namoy fo ny vahoaka », « nahafa-po ny zavatra hita »… Et le poète qui observe aussi bien l’homme que la langue compare son rôle à un galet que l’on jette à la surface de l’eau, et qui produit des cercles concentriques. Le galet est son vécu, et les ondes sa poésie.
Que serions-nous dans cinquante ans si la langue malgache n’était plus respectée Un corps sans âme, qui sent la mort. « Vatana tsy misy fanahy ka mamofona fahafatesana. » Pire, le développement ne peut que passer par le langage. Et lui de me relater cette réunion de travail fictive, tenue par un intellectuel avec de jeunes paysans : « Ni-inviter anareo tantsaha iray génération amiko aho, mba hiara mi-étudier ity projet de développement entiko eto ity. Mi-concerner ny région-tsika mantsy izy ity, ka tokony hi-sensibiliser-na antsika masse paysanne. Ny participation de tout un chacun no tena primordiale, ka tsy ny élite ihany no décideurs sy piliers amin’ny réalisation-ny, fa ny population active rehetra. Raha tsy izany tsy ho avotra mihitsy izao situation catastrophique izao. Mila stratégie bien au point anefa izany, fa tsy azo atao au pif fotsiny. Misokatra ary ny débat, tout le monde peut prendre la parole. » Silence total dans la salle. Les paysans se regardent, gênés, certains retiennent mal un éclat de rire. Colère de l’orateur : « Zao ihany no maha-déçus ny techniciens aminareo ! »
Un poète engagé Absolument. « Je n’ai pas le droit d’être indifférent. Si je n’extériorise pas, je tombe malade ! » Et quel souvenir aimerait-il laisser à la postérité ? « Je n’aurai pas le choix. Mais si certains se souviennent de ce que j’ai fait, cela me suffira. »
Je n’ai pas oublié cet après-midi d’octobre, Rado.