Dans sa chronique hebdomadaire, Tom Andriamanoro secoue la léthargie sinon l’indifférence de ses concitoyens devant les malheurs que subissent les richesses naturelles et les sites historiques du pays. Les drames se suivent, constate-t-il, et quelle que soit leur nature, se déroulent dans l’indifférence générale.
Conjoncture – Nosy Komba, l’indifférence
Et si l’on secouait le cocotier de cette apathie du Malgache pour les choses de son propre pays, en faisant un tour dans la Baie d’Ampasindava Excepté Antananarivo et Analamanga, il n’y a pas de région à Madagascar, dont l’Histoire soit aussi riche que celle de Nosy Be et de ses iles. Quelques jalons : les plus anciennes traces de présence humaine y remontent en l’an 800 de notre ère. Vers 1200, la cité fortifiée de Mahilaka devient la plus grande ville de Madagascar avec pas moins de 4 000 habitants. Au XVIe siècle, les Portugais mettent fin au monopole arabe, avant de devoir composer, deux siècles plus tard, avec ces nouveaux arrivants que sont les Indiens bohras de Bombay et les Sakalava de Mahajanga. Ces derniers annexent pacifiquement les Antakarana pour faire front, à partir de 1824, contre les corps expéditionnaires merina. La France s’installe durablement dans la région en signant simultanément trois traités de protectorat : avec la reine Tsiomeko pour Nosy Be et Nosy Komba, avec Tsimiaro Ier pour les Mitsio, et avec Andriantsoly pour Mayotte. En 1904 et 1905, une gigantesque escadre russe de 45 navires, avec, à son bord,
15 000 hommes sous les ordres de l’Amiral Rojestvensky, reste trois mois dans la Baie d’Ambavatoby, appelée depuis Baie des Russes. Partis de Saint-Pétersbourg, ils comptent
rejoindre Port-Arthur, attaquée par les Japonais. Toute cette flotte sera capturée ou coulée devant l’ilot de Tsushima,
le 27 mai 1905.
Nosy Komba n’est peut-être pas la plus belle des iles-satellites de Nosy Be, mais si son cône n’existait pas, il aurait fallu le réinventer. Le village d’Ampangorinana où accostent les touristes propose un artisanat qui séduit par sa simplicité : petites pirogues en ébène et en palissandre, animaux en terre non cuite décorés de coquillages broyés, nappes et rideaux ajourés. Nosy Komba abrite un des trois groupes de tombes royales appelés « Mahabo », que compte Nosy Be : celui de Mitsinjoarivo où repose la reine Zafy Mozongo. Mais l’ile, avec sa nature tropicale sauvage, est aussi et surtout une réserve naturelle de lémuriens, les Lémur Macaco dont le mâle est noir et la femelle rousse. Ils s’annoncent par un bruissement de feuilles et des cris de ralliement, quand ils viennent en toute confiance manger dans la main même du visiteur. Et ne voilà-t-il pas que l’ennemi le plus craint par l’homme, le lémurien et toute la nature, s’est invité tout récemment pour détruire ce cadre idyllique qui ne dérangeait personne, bien au contraire : le feu

Il a fallu du temps pour éteindre l’incendie et la fumée épaisse qui a envahi la petite ile des Komba.
Un message ambigu
Juste après l’incendie du Rova d’Antananarivo, deux enseignants français d’Histoire commentaient la tragédie en ces termes : « Ce comportement suicidaire, malheureusement fréquent à Madagascar, peut être interprété comme un appel. Le feu révèle la mise en œuvre d’une stratégie. Faire brûler consiste à parler sans parler, à émettre un message ambigu dont le sens sera déchiffré par l’opinion. » Trente hectares de forêts auraient été touchés sur Nosy Komba, dont dix peuvent être considérés comme perdus. Simple inadvertance ou acte prémédité Certains intérêts occultes trouveraient, en effet, pour cet îlot une destinée autrement plus rentable que celle de simple sanctuaire de la nature. Exactement comme dans le domaine du Rova d’Ilafy, où de mystérieux piquets de délimitation ont fait leur apparition, peut-être pour l’implantation d’infrastructures (asiatiques, une fois de plus ) plus utiles pour le développement. Et peut-être bien aussi que l’incendie de celui d’Ambohidratrimo, toujours non élucidé à ce jour, relevait de la même logique. Nosy Komba ne vaut pas moins qu’un Rova, n’étant pas fait de main d’homme. Une réflexion parue en son temps dans le Monde Diplomatique disait à peu près ceci : « Nous brûlons nos palais, nous brûlons nos forêts, nous brûlons nos ancêtres. La prochaine fois, nous nous brûlerons nous-mêmes. » Combien y aura-t-il de prochaines fois
Les drames se suivent et, quelle que soit leur nature, se déroulent dans l’indifférence générale. Qu’avons-nous à faire, une fois encoconné « chez notre automobile », comme ironisait Claude Nougaro, de ce qui ne concerne pas notre microcosme quotidien À Nosy Komba comme à Ilafy, à Soamahamanina comme à Ankasina où vient d’être comptabilisé le vingt-sixième incendie de l’année dans la capitale, « les autres » n’ont jamais été que des spectateurs occasionnels. Et tant pis pour ce politicien « wanted » dont le crime est d’être un natif du mauvais bled au mauvais moment. Tant pis pour ceux qui suent pour quatre iles éparpillées et qui, apparemment, peinent à être suivis. Tant pis pour le Sud et ses enfants au ventre ballonné, laissés à leurs raiketa. Ou alors, c’est la ruée sur Facebook, au point qu’un confrère a parlé, à juste raison, de citoyenneté virtuelle, pour un simulacre d’engagement sans danger et qui a le mérite de donner bonne conscience. La culture de l’indifférence est injectée dans les esprits, apparemment avec un certain succès car accompagnée de sordides manœuvres d’intimidation, et de répression.
Les Malgaches ne devraient pas être plus loin de leurs propres réalités que les Argentins ne le sont de la tragédie d’Alep. 12 000 km, pas un de moins. Dans le métro de Buenos Aires a été aménagée la reconstitution d’une chambre syrienne avec, à l’entrée, l’inscription « Une minute en Syrie ». Le passant y entre, et vit en 3D le largage sur les civils des bombes au napalm ou au phosphore de Bachar Al-Assad, ainsi que du petit dernier de la technologie russe : la bombe anti-bunker. Elle pénètre dans le sol et transforme sur-le-champ n’importe quel bâtiment en un tas de gravier. Le passant ressort, totalement secoué. L’indifférence est vaincue, Alep n’est plus au bout du monde.
Un feu différent, mais tout aussi assassin que celui de Nosy Komba est en mode de veille dans les esprits, mais viendra le jour où lui aussi sera vaincu. La parole à Eugène Toulet : « Je flambe, je brûle, j’embrase, consumant tout sur mon passage, et d’une pincée de cendre, je signe mon œuvre de mort. Je suis l’anti-vie, j’en suis fier et je le proclame. Mais que dessus l’on me verse un seau d’eau et, en d’horribles hoquets de vapeur, j’étouffe et je meurs. Croyez-moi, l’eau est la plus forte. » Tout simplement.

Rien n’a changé si on se réfère aux problèmes des usagers de la RN4 du côté d’Ambondromamy.
Opinion – Carnet de route
Les voyageurs passent, leurs appréciations sur les pays visités restent. En tient-on compte suffisamment Les quelques avis qui suivent datent, par exemple, d’il y a plus de quinze ans, les relire permet de faire le point sur ce qui a changé, et dans quel sens, tout en procurant une petite cure de jouvence.
– Le pays est splendide, et les gens accueillants en général. Nous avons, néanmoins, eu quelques problèmes avec des loueurs de 4×4 et quelques chauffeurs. En y ajoutant le mauvais état des routes, il est difficile de voir tout ce qu’il y a à voir en un temps raisonnable.
– Vol Antananarivo-Nosy Be prévu à 9 heures maintes fois reporté, arrivée à l’Ile aux Parfums à 20 heures. Un jour de vacances gâché ! Touristes pris d’assaut à l’aéroport par des taximen qui en viennent parfois aux mains. Ile magnifique, mais déplorons le harcèlement des masseuses, des organisateurs de circuits, des vendeurs de souvenirs.
– Accueil chaleureux partout où nous sommes passés. Un litige, cependant, avec l’hôtel X où nous avons été escroqués. C’est un lourd préjudice pour une association non subventionnée comme la nôtre qui a préparé ce voyage depuis deux ans.
– Trois semaines à Madagascar et beaucoup trop de problèmes avec l’aérien. À part cela, nous avons été séduits par l’Isalo, Tolagnaro, Toliara, Tsarabanjina, mais pas par Nosy Be. Nous ne pourrons envoyer nos amis que quand les problèmes ci-dessus seront résolus.
– Nous avons particulièrement apprécié l’Isalo, la forêt pluviale de l’Est, et Sainte-Marie. Par contre, nous avons très peu vu de lémuriens !
– Antananarivo, beaucoup de pauvreté, de très nombreux mendiants. Tana-Morondava en voiture, gros problème entre Miandrivazo et Malaimbandy. Améliorer les voies de communication inter-villes.
– Nous avons trouvé beaucoup de similitudes avec notre pays, l’Australie (montagnes de granit, forêts d’eucalyptus, plantes grasses, latérite…). Des difficultés à avoir des informations en anglais. Le surf est excellent, de classe mondiale, ainsi que la plongée.
– Le touriste qui donne des pièces ou quelques T-shirts pervertit en entretenant le risque de mendicité et de dépendance.
– Un super-pays, des Malgaches souriants, une nature magnifique. Côté plus : Bemaraha, le Palmarium, l’Allée des Baobabs. Côté moins : tarifs peu clairs des guides de l’Isalo, trop d’esprit business à Sainte-Marie (fin de citation).
Les professionnels sont rentrés du TOP Resa 2016 de Paris, où certaines destinations ont eu l’occasion de présenter leur nouvelle image. La Réunion est ainsi redevenue « l’ile intense » qui lui sied à merveille, car rappelant, entre autres, à tous la richesse humaine de ce petit caillou, et les caprices rougeoyants du Piton de la Fournaise. Madagascar, quant à lui, est désormais « l’ile aux trésors », un clin d’œil mercatique possible à l’époque de la flibuste, et aux trésors des Olivier Levasseur dit La Buse et autres William Kidd, que des fous continuent de chercher dans nos eaux. Un slogan qui ne revendique aucune parenté avec le classement du pays en matière de pauvreté, honni soit qui mal y pense…

Miles Davis, celui qui a ressenti un grand complexe face à Jimi Hendrix.
Musique – Un tour du jazz en quelques notes
Octobre est là, ramenant avec lui cet engouement toujours croissant pour une musique que l’on disait trop compliquée, il n’y a pas si longtemps. Les sifflets ou, au contraire, les petits clap-clap polis qui étaient son lot quand il s’aventurait dans des milieux tananariviens de non-initiés sont de l’histoire ancienne. Aujourd’hui, de plus en plus de profanes essayent de le comprendre, et peuvent supporter stoïquement un concert de plusieurs heures. Un petit survol tout en dissonances.
Le jazz a ses monstres sacrés, dont j’essaierai de faire une sélection – très subjective -, selon leur spécialité ou instrument de prédilection. Au piano, mon choix va vers deux exceptions : Art Tatum et Thelonious Monk, surnommé « le moine fou ». De Tatum, né en Ohio en 1910, Philippe Entremont, chef d’orchestre français célèbre pour ses enregistrements d’œuvres de Ravel, de Satie, ou de Saint-Saëns disait : « Avec lui, nous atteignons la perfection. Nous avons là une technique merveilleuse, une imagination débordante, un swing extraordinaire, un pianisme vraiment très beau. » Le grand Oscar Peterson reconnaissait humblement : « Art Tatum était mon père sur le plan musical, il était le meilleur instrumentiste de jazz de tous les temps.» Thelonious Monk, le compositeur de ces chefs-d’œuvre éternels que sont Round midnight et Blue Monk, était un créateur génial, tellement personnel et imprévisible qu’il n’eut pas d’héritier musical. Véritable mythe, il le fut autant par son jazz que par sa façon de tituber autour de son piano pour, disait-il, « donner corps au silence ». Il aimait remodeler les créations des autres, comme le Memories of you de Blake et de l’Américano-malgache Andy Razaf.
Pour les cordes, j’opte pour un retour aux sources et aux doigts du « manouche » Django Reinhard, incontestablement le premier guitariste de jazz tant sur le plan chronologique qu’esthétique. C’est à lui qu’en 1934, le Hot Club de France demanda de former un quintette à cordes de jazz, avec au violon un certain Stéphane Grappelli qui fut longtemps son binôme. Ce dernier, un esthète au charme très britannique, aimait Debussy autant que le jazz. Un virtuose de cet instrument ingrat qu’est le violon, dont s’est réclamée la génération des Jean-Luc Ponty et Didier Lockwood.
Qui donc à la trompette Ce serait un crime de lèse-majesté que de ne pas penser à Miles Davis, sauf que je n’ai jamais compris le complexe qui le travaillait vis-à-vis de… Jimi Hendrix. Miles n’a jamais voulu rencontrer le divin gaucher, mais a tenu à être présent à son enterrement. Alors va pour Dizzy Gillespie, d’autant plus que j’ai eu le privilège de l’écouter dans les années 80, en resquillant dans un amphithéâtre archiplein ! Au début des années 40, il était l’initiateur du bop avec le saxophoniste alto Charlie Bird Parker. Le génial tandem d’un maudit et d’un dingue ! Son héritage est, sans aucun doute, le plus grand qui nous soit parvenu, après celui de Louis Armstrong.
Sa Majesté le saxo ténor ! Qu’on me permette d’hésiter entre Coleman Hawkins et Lester Young. Rhapsodiste à la sonorité rauque, Hawkins accumula les qualificatifs élogieux, depuis celui de Rubens du jazz à celui de « père du ténor ». Inoubliable interprète de Body and Soul considéré comme un des plus grands titres de l’histoire du jazz, son style influença tous les grands saxophonistes ténor. Tous, sauf… Lester Young qui fut le fondateur d’une esthétique rompant avec les critères du jazz classique. Celui qu’on surnommait « le Président », n’a, au début, pas été compris par le grand critique français Hugues Panassié, mais ce dernier finit par revenir sur son jugement.
Les lignes me manquent pour parler de ces extraterrestres que sont Count Basie ou Duke Ellington, des orchestrateurs-arrangeurs qui surent modeler et utiliser leur formation comme un seul instrument. Ou des organistes de légende comme Jimmy Smith ou Rhoda Scott. Simplement parce que je souhaiterais finir par le vocal où le choix peut s’avérer déroutant. Que Billie Holiday, Satchmo, Ella Fitzgerald, Nat King Cole me pardonnent, mais je vote Claude Nougaro que, dans les années 70, j’avais pu persuader de venir à Tana où le jazz était encore une musique de martiens. Les mains d’une femme dans la farine, Paris Mai, Le jazz et la java, Toulouse… Claude chanta devant une salle à moitié vide, mais ce soir-là, le jazz marié à la chanson française n’avait nul besoin des absents.
Rétro pêle-mêle
Barack Obama et Hillary Clinton s’affrontent aux primaires démocrates. Beaucoup s’accordent à penser qu’Obama est un homme neuf et consensuel, et qu’il incarne le rêve américain. Certains pensent même qu’il est le nouveau Kennedy, dont des membres de la famille du Président assassiné. On reconnaît aussi que c’est un professionnel des tréteaux et un tribun hors pair. Il n’empêche que la question fondamentale n’a pas encore reçu de réponse claire : l’Amérique est-elle prête pour avoir un Président noir Le match proposé aux démocrates est celui du changement contre l’expérience. Hillary se plaît, d’ailleurs, à dire qu’il a fallu un Clinton pour réparer les erreurs de Bush père, il faudra une Clinton pour nettoyer (sic) celles de Bush fils.
En cette année 2008, on parle d’une véritable légion de jeunes pousses malgaches dans les grands clubs français : Anthony Rabesandratana à Saint-Étienne, Stéphane Raveloarijaona à Monaco, Pierrick Rakotoarisoa au Havre, Lalaina Randriamanantena à Sochaux, Jonathan Ratsivoson à l’Olympique de Marseille, dont on dit qu’il est plus fort que Sami Nasri à son âge. Tous devraient aujourd’hui être pleinement opérationnels, à moins de n’avoir pas tenu la route et d’être retournés à leurs études. En tous cas, tant que les iles voisines et les divisions inférieures françaises demeurent le seul palier accessible à nos expatriés, il est inutile d’espérer se faire une place en Coupe d’Afrique.
L’Arabie Saoudite, pays de l’étêtage facile. La courbe est perpétuellement en hausse, avec
35 personnes décapitées en 2004 contre 83 en 2005, et plus de cent pour le seul premier semestre 2007. Homicide, viol, vol à main armée, trafic de drogue, sorcellerie, adultère, homosexualité, apostasie, en un mot presque tous les péchés du monde sont passibles de la peine capitale au royaume saoudien. Mohamed Al Bishi, un des plus célèbres bourreaux du pays, affirme qu’il lui arrive de procéder à plusieurs décapitations par jour, en plus des amputations prescrites par la Charia. « Ce n’est pas un métier que l’on fait pour de l’argent », explique-t-il, « mais pour la fierté de servir Dieu. »
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : L’Express de Madagascar – AFP – Fournies