Mieux préparée, calme tout du long, Hillary Clinton a dominé lundi soir le premier débat présidentiel américain face à Donald Trump selon de nombreux commentateurs. Mais l’impact sur les sondages, extrêmement serrés à six semaines de l’élection, pourrait être limité.
Hier, les deux camps se disaient satisfaits de leur performance, après un débat très tendu. Les deux candidats à la Maison Blanche, aux parcours aux antipodes, se sont affrontés sur leur vision pour l’avenir, sur l’économie, la sécurité, la politique étrangère, et d’autres sujets qui leur collent à la peau comme la déclaration d’impôts de Trump -qu’il refuse de rendre publique- ou les emails effacés d’Hillary Clinton.
« Nous avons passé un très bon moment la nuit dernière », a commenté, hier, l’ex-Première dame dans son avion, en repartant en campagne en Caroline du Nord (sud-est). « Je pense que les gens ont vu des différences claires entre nous ».
Le milliardaire, qui a déclaré à l’AFP que cela s’était « très bien passé » pour lui, s’est vanté sur Twitter d’avoir gagné « tous les sondages » sur le débat, sauf « le petit » de CNN. La chaine d’informations en continu a interrogé 521 électeurs et donné la candidate démocrate gagnante, à 62% contre 27%. Un sondage en ligne de CNBC donnait à l’inverse Mme Clinton à 35%, son adversaire républicain à 65%.

La poignée de mains avant l’affrontement verbal.
Plus informée
« Clinton était de loin la débatteuse la plus informée et habile », a déclaré à l’AFP Steffen Schmidt, professeur de sciences politiques à l’université de l’Etat de l’Iowa. Mais
« Trump n’a pas explosé, et il s’est montré plus présidentiel qu’attendu sauf à la fin ».
La performance d’Hillary Clinton était excellente et elle est « restée concentrée sur son message », a aussi estimé Michael Heaney, de l’université du Michigan.
Selon lui, elle avait davantage de répartie que son adversaire, sur la défensive et moins bien préparé, qui s’est souvent limité à des généralités sur les dossiers et a multiplié les attaques personnelles.
A la fin du débat, M. Trump a notamment affirmé que Mme Clinton n’avait « pas l’énergie (…) Pour être président de ce pays, vous avez besoin d’une énergie phénoménale ».
« Quand il aura voyagé dans 112 pays et négocié un accord de paix, un cessez-le-feu, la libération de dissidents (…) ou même qu’il aura passé onze heures à témoigner devant une commission au Congrès, il pourra me parler d’énergie », a rétorqué calmement Hillary Clinton.
« Vous n’avez pas tant vu une performance parfaite d’Hillary Clinton qu’une performance aussi imparfaite que possible de son opposant », a aussi estimé John Hudak, de la Brookings Institution à Washington. « Clinton a dominé du début à la fin », a-t-il dit à l’AFP.
Ce premier débat présidentiel a été regardé par des dizaines de millions d’Américains, dans une élection extrêmement polarisée, où les deux candidats sont au coude à coude à six semaines de l’élection du 8 novembre.
Une majorité des électeurs américains n’aiment ni Hillary Clinton ni Donald Trump, et beaucoup restent encore indécis.
Minimisant les attentes sur l’impact de ce premier débat présidentiel, le vice-président potentiel de Mme Clinton, Tim Kaine, a estimé, hier, qu’il ferait « une petite différence. Mais nous devons convaincre tous les jours », a-t-il déclaré sur MSNBC.
« C’était un débat extrêmement important pour les deux candidats. Il aurait pu clairement changer la direction de la course, je ne pense pas qu’il le fera », a commenté Heaney.
« Je ne pense pas que nous verrons un grand changement vers l’un ou l’autre des candidats », a-t-il ajouté.
Mme Clinton est donnée gagnante de la présidentielle, mais les enquêtes d’opinion se sont récemment resserrés. Son avance dans les sondages nationaux, dans une course à quatre incluant deux petits candidats, a fondu de quelque 7 points en moyenne début août à
1,6 aujourd’hui. Et ils se sont aussi resserrés dans plusieurs États clés, où se décidera l’élection.
Deux autres débats présidentiels sont prévus les 9 et 19 octobre.
Diplomatie – « La parole » de l’Amérique
Forte de son expérience diplomatique, Hillary Clinton a profité du chapitre sur la politique étrangère pour se poser, lors de son premier débat face à Donald Trump, en garante de la parole – et des alliances – de l’Amérique.
Évoquant les « interrogations et inquiétudes » exprimées par des dirigeants à travers le monde sur les prises de position de l’homme d’affaires populiste, l’ancienne secrétaire d’État de Barack Obama, très à l’aise et consciente de son avantage, a adopté une posture résolument présidentielle.
« En mon nom, et je crois au nom d’une majorité d’Américains, je veux dire que notre parole est fiable », a-t-elle lancé sur un ton solennel, fixant la caméra.
Le candidat républicain à la Maison Blanche a notamment affirmé cet été que s’il devenait président, une intervention des États-Unis pour venir en aide à un pays de l’Otan en danger n’irait pas de soi, provoquant des réactions indignées.
L’un des principes de base de l’Otan stipule qu’une attaque contre l’un des membres est une attaque sur l’ensemble des alliés – un point que les États-Unis ont fait valoir après les attentats du 11 septembre 2001 et qui a justifié l’intervention de l’Otan en Afghanistan.
« Je veux rassurer nos alliés, au Japon, en Corée du Sud et ailleurs: nous avons des traités de défense et nous les honorerons », a encore lancé l’ancienne Première dame.
Souvent sur la défensive, perdant par moment le calme relatif dont il avait fait preuve depuis le début du débat, le septuagénaire novice en politique a martelé son message : les approches traditionnelles ont échoué, il est temps de passer à autre chose.
Prolifération nucléaire
« Hillary a de l’expérience, je suis d’accord, mais, c’est une mauvaise expérience », a-t-il asséné, dénonçant tous les accords conclus par l’administration Obama, au premier rang desquels celui sur le nucléaire iranien.
« Si vous regardez le Moyen-Orient, c’est le chaos total, dans une large mesure sous votre direction », a-t-il accusé, s’attardant longuement sur la montée en puissance du groupe extrémiste État islamique (EI).
« Vous parlez de l’EI, mais vous étiez secrétaire d’État alors que le groupe n’en était qu’à ses balbutiements. Maintenant il est présent dans plus de 30 pays. Et vous voulez les arrêter Je ne le pense pas », a-t-il asséné.
Mettant en avant son « bon sens » et son « attitude de gagnant », il a assuré que sa réussite dans le monde des affaires serait un atout réel sur la scène internationale.
Le candidat républicain a, par ailleurs, une nouvelle fois défendu une approche moins interventionniste de la politique étrangère américaine.
Les États-Unis ne peuvent être « les gendarmes du monde », a-t-il martelé. « Je veux bien aider tous nos alliés, mais nous perdons des milliards et des milliards de dollars »
C’est sur la question nucléaire que l’ancienne secrétaire d’État s’est montré la plus pugnace, évoquant l’ « attitude cavalière » de l’homme d’affaires sur un dossier aussi sensible.
« Une homme qui peut s’enflammer sur un tweet ne devrait jamais avoir les mains proches des codes nucléaires », a-t-elle lancé.

Le débat a été suivi par des millions de téléspectateurs américains.
Ambiance – Attaques et piques
Hillary Clinton et Donald Trump se sont d’abord salués avec une politesse glacée. La paix froide n’a duré qu’un instant avant que les deux prétendants à la Maison Blanche n’en viennent à un échange très vif, parfois jusqu’à l’insulte.
Le premier débat de la présidentielle a été une lutte d’endurance de 90 minutes, sans autre pause dans les escarmouches et les esquives que les questions d’un modérateur passablement dépassé par l’ampleur de la tâche.
Curieusement, Hillary Clinton était vêtue de rouge, la couleur du parti républicain alors que Trump affichait une cravate bleue, la couleur des démocrates.
Elle n’a jamais appelé son adversaire que Donald, alors que lui – qui dans les réunions électorales la surnomme « Hillary la crapule » – lui a donné ici du « Madame la Secrétaire (d’État) ».
La première femme candidate d’un grand parti à la fonction suprême s’est montrée calme, posée et ferme pour l’essentiel de l’affrontement. Toujours – ou presque – souriante, n’élevant que rarement la voix.
« Donald c’est bon d’être avec vous », a-t-elle lancé en guise d’ouverture. Elle n’a suscité qu’un demi-sourire de la part de son adversaire, mais une réaction amusée de la salle.
Tout au long de la soirée, elle a tendu quelques pièges au milliardaire pour essayer de le faire sortir de ses gonds.
D’entrée de jeu, elle fait allusion au sérieux coup de pouce de 14 millions de dollars que Donald Trump a reçu de son père pour bâtir son empire, bien plus qu’il ne l’admet en général.
Le républicain a mordillé à l’hameçon: « Mon père m’a prêté une toute petite somme et j’ai bâti une immense fortune ! »
« Mensonge raciste »
En général prompt à s’emporter ou à se lancer dans une dithyrambe, il a réussi à adopter un ton égal pour une bonne partie de la joute, tout en interrompant sans cesse son adversaire. Ce n’est qu’au bout d’une heure qu’il a montré son irritation, levant parfois les yeux au ciel.
Hillary Clinton a su mettre en valeur son expérience, montrer sa maîtrise des dossiers, se présentant comme la voix de la raison, comme l’ancienne secrétaire d’Etat qui comprend la marche des affaires du monde. Mais elle s’est aussi montré cassante: « Donald vous vivez dans un monde à part ! ». Plus tard, elle l’accuse de « mensonge raciste » sur la nationalité du président Obama.
L’après-Débat – La course repart
Hillary Clinton et Donald Trump sont repartis, hier, en campagne dans des États-clés de l’élection présidentielle de novembre, après un premier débat télévisé tendu qui a remis en selle la démocrate.
Les deux camps criaient victoire hier matin, mais avec plus de conviction chez Hillary Clinton, qui a montré après sa pneumonie et deux semaines de quasi-absence qu’elle était en forme et n’avait rien perdu de sa vigueur, le républicain n’ayant pas réussi à la déstabiliser.
« Ce débat a été une occasion superbe pour les électeurs de comparer les deux candidats et de juger lequel est prêt à devenir président des États-Unis », s’est félicité Robby Mook, directeur de campagne d’Hillary Clinton, sur CNN.
Les prétendants à la succession de Barack Obama capitaliseront chacun sur l’émission, regardée par des dizaines de millions d’électeurs, lors de meetings en Caroline du Nord pour Hillary Clinton et en Floride pour Donald Trump, deux grands États où ils sont au coude-à-coude.
L’objectif reste de convaincre les Américains qui restent indécis à 42 jours du scrutin. Les sondages montraient auparavant un resserrement de la course, Hillary Clinton recueillant 43% des intentions de vote contre 41,5% pour Donald Trump, selon la moyenne calculée par le site Real Clear Politics.
Le milliardaire populiste a fait passer son message durant les 90 minutes d’échanges, reléguant sa rivale au rang des professionnels de la politique, au bilan lamentable. « Hillary a de l’expérience, mais de la mauvaise expérience », a-t-il dit, reprenant la posture de « l’outsider ».
« Notre pays souffre à cause de mauvaises décisions prises par des gens comme Mme Clinton », a-t-il asséné.
Vieilles affaires
Sa directrice de campagne, Kellyanne Conway, s’est félicitée qu’il ait été « poli et un gentleman à son égard, notamment à la fin lorsqu’il a retenu le plus grand des coups possibles ».
Donald Trump a en effet annoncé sur scène qu’il avait finalement décidé de ne pas dire « quelque chose d’extrêmement dur contre Hillary et sa famille », une allusion aux frasques sexuelles de Bill Clinton.
Mais le milliardaire, ancien organisateur de Miss Univers, est tombé dans un piège tendu par la candidate. Durant le débat, elle a saisi une ouverture pour rappeler que Donald Trump avait critiqué la gagnante du concours 1996, parce qu’elle avait pris du poids. Il l’avait selon elle traitée de « Miss Piggy » (« Miss Peggy la cochonne »).
« Elle s’appelle Alicia Machado, elle est devenue citoyenne américaine et vous pouvez être sûr qu’elle votera en novembre », a dit Hillary Clinton. Parallèlement, son équipe publiait sur les réseaux sociaux un vidéo témoignage de Mme Machado.
Au lieu d’ignorer la polémique, Donald Trump est revenu à la charge. « Elle était impossible », a-t-il dit sur Fox News, hier. « Elle avait beaucoup grossi, c’était un vrai problème ».
La candidate de bientôt 69 ans était ainsi venue préparée, glissant des saillies visiblement répétées, puisant dans le passé de « Donald » et profitant d’une partie internationale pour démontrer sa connaissance des dossiers.
L’objectif de l’ancienne secrétaire d’État, jugée indigne de confiance par quelque 60% des Américains, était aussi d’adoucir son image; elle est donc restée impassible, droite, souriante. Celle qui s’est souvent vu reprocher de crier en meetings a refusé tout pugilat, laissant Donald Trump l’interrompre.
Le républicain est apparu relativement discipliné mais plus véhément qu’elle: agrippant son pupitre, soupirant, buvant de l’eau et agitant les mains. Il a contesté le modérateur, Lester Holt.
Focalisé sur la conquête des électeurs de la classe moyenne, le populiste a emprunté aux registres de la droite et de la gauche pour dénoncer les effets nocifs de la mondialisation.
« Nous devons empêcher ces pays de voler nos entreprises et nos emplois », a-t-il dit, ciblant le Mexique et la Chine.
Sa dénonciation du traité de libre-échange nord-américain, signé par Bill Clinton en 1993, a placé Hillary Clinton sur la défensive, ainsi que les attaques sur le scandale de sa messagerie.
Mais il s’est retrouvé dans l’embarras plusieurs fois, notamment sur son refus de publier sa feuille d’impôts. Encore provoqué par Hillary Clinton, il a lâché que les années où il n’a pas payé d’impôts prouvaient son intelligence. Il a oublié de rappeler aux téléspectateurs la phrase de la démocrate sur les supporteurs « pitoyables » du républicain.
Principales déclarations
De « Donald, vous vivez dans un monde à part », à « Je ne pense pas qu’Hillary a l’énergie », voici les principales déclarations du premier débat lundi opposant Hillary Cinton et Donald Trump.

Hillary Clinton a su utiliser sa maitrise des affaires internationales.
Un monde à part
Hillary Clinton: « Donald, je sais que vous vivez dans un monde à part, mais ces faits ne sont pas exacts ». (à propos de l’accord de libre-échange nord-américain Nafta)
Canular
Clinton: « Un pays va devenir le super-pouvoir des énergies propres du XXIè siècle. Donald pense que le changement climatique est un canular monté par les Chinois. Je pense que c’est très réel. (…) Il est important qu’on se saisisse de ce problème, tant chez nous qu’à l’étranger ».
E-mails contre impôts
Donald Trump: « Je vais montrer ma déclaration de revenus, contre l’avis de mes avocats, dès qu’elle rendra publics les 33 000 e-mails qu’elle a effacés ».
Hillary Clinton: « Je n’ai aucune raison de croire qu’il rendra jamais publiques ses déclarations de revenus, parce qu’il a quelque chose à cacher ».

Donald Trump s’est montré gentleman, mais se retenant difficilement pendant le débat.
Maintien de l’ordre
Trump: « On a besoin de maintien de l’ordre dans notre pays. (…) Dans nos villes des Noirs, des Hispaniques vivent en enfer parce que c’est dangereux. Vous marchez dans la rue, on vous tire dessus. (…) On a des gangs dans les rues, et dans beaucoup de cas ce sont des immigrés illégaux. Et ils ont des armes, ils tirent sur des gens. Nous devons être très forts, nous devons être vigilants. (…) À l’heure actuelle notre police, dans bien des cas, a peur de faire quoi que ce soit. On doit protéger nos centres-villes parce que les communautés noires sont décimées par le crime. »
Chaos total
Trump: « Si vous regardez le Moyen-Orient, c’est le chaos total, dans une large mesure sous votre direction. (…) Vous parlez de l’EI, mais vous étiez là et vous étiez secrétaire d’État alors que le groupe n’en était qu’à ses balbutiements. Maintenant il est présent dans plus de 30 pays, et vous allez les arrêter Je ne le pense pas ».
Énergie
Trump: « Elle n’a pas l’énergie. (…) Pour être président de ce pays, vous avez besoin d’une énergie phénoménale. (…) Il y a tellement de choses différentes que vous devez être capables de faire, et je ne pense pas qu’Hillary a l’énergie ».
Clinton: « Quand il aura voyagé dans 112 pays et négocié un accord de paix, un cessez-le-feu, la libération de dissidents (…) ou même qu’il aura passé 11 heures à témoigner devant une commission au Congrès, il pourra me parler d’énergie ».
Textes et photos : AFP