Sans verser dans le chauvinisme, Tom Andriamanoro aborde la notion de patriote avec un sens critique personnel. En connaissance de cause, il entame une série d’articles sur notre compagnie nationale aérienne, que certains (des oiseaux de mauvais augure ? ) affirment battre de l’aile. Enfin, notre chroniqueur évoque le convoyage de troupeaux de zébus : arriveront-ils dans les abattoirs après le 3 février ?
Patriote ? Moi non plus
L’éthique, disait Reverdy, c’est l’esthétique du dedans. Lui obéir, par les temps qui courent, est devenu tellement compliqué que Gainsbourg lui-même aurait fini par s’empêtrer dans ses tiges de Gitanes. Le patriotisme, par exemple, est un concept en voie d’atomisation, chacun le grimant à sa manière, sans plus laisser de place à un quelconque souci…d’esthétique, fut-elle interne. Comment comprendre que l’on puisse en toute conscience patriotique envoyer la troupe contre ceux qui revendiquent, pas pour eux, mais pour la terre-mère, des parcelles éparses de son sol ? C’est à Madagascar aussi que l’amour de la patrie peut devenir un nom de parti ou un argument électoral, comme si les autres étaient incapables de ressentir une émotion en écoutant l’hymne national, en voyant le drapeau d’une championne chiffonné au pied de son podium, ou en vivant les tribulations d’un pays que les mauvaises langues disent s’en aller à vau-l’eau. D’autres, heureusement, n’affichent pas le leur, et préfèrent travailler loin des feux de la rampe et des scandales, les laissant à ceux dont le patriotisme se limite à leurs avoirs et à leur coterie de potes …
Honneur et patrie. Tout le monde n’a pas servi dans l’armée française qui a adopté cette devise qu’elle peine parfois à appliquer. Nos patriotes à nous peuvent être très chauvins : la patrie qu’ils honorent est moins le pays que la province, l’ethnie, le village, ou la colline qu’ils visitent de plus en plus rarement, à moins d’un providentiel enterrement. Le carburant est si cher par les temps qui courent, tsy ifanomezan-tsiny e ! Leurs compatriotes se réduisent, de ce fait, à ceux avec qui ils partagent la même lignée, ou la même micro-géographie. Touchez donc à l’un des leurs, ils crieront au racisme. Le problème, c’est que rien ne les distingue du commun des mortels. Ils se présentent en militants modèles d’une cause qui, en fait, n’est point la leur, en bons citoyens, en bons chrétiens, en bons pères de famille. Ni cornes, ni pieds fourchus !
Qu’il ait raison ou tort, c’est toujours mon pays, dit un proverbe américain. Vrai. Cela ne veut néanmoins pas dire approuver aveuglément ce qui se fait au nom dudit pays, ou ce que font ses élus, lesquels peuvent le conduire au précipice.
Vita gasy
Ce n’est pas uniquement parce qu’un produit est « vita gasy » que les Malgaches ont le devoir patriotique de s’y limiter. Entre toutes les offres déversées sur les marchés par la mondialisation, on n’en voudra à personne, si ses moyens le lui permettent, d’apprécier le vrai camembert français, le café colombien, la vodka finlandaise, ou le saumon écossais. Mais l’inverse peut aussi se concevoir : le foie gras de Behenjy ou d’Ambatolampy peut damer le pion à des célébrités mondiales auprès des connaisseurs, sans que leur patriotisme y soit pour quelque chose. Le fait est que chez nous, au lieu de la stresser dans des boxes, les gaveurs laissent leur volaille batifoler et picorer çà et là, en toute liberté. Le produit s’en trouve gratifié d’une saveur qui, ailleurs, s’est perdue.
Nombre de nos concitoyens, et dirigeants, choisissent d’ignorer que le vrai patriotisme et la critique doivent coexister. Il y a quelques années de cela, un chercheur s’est offusqué du mauvais accueil, pour ne pas parler de rejet, réservé à son remède miracle contre le sida, et ce en faisant, vibrer une fibre cocardière de circonstance. En se drapant derrière un patriotisme primaire, il aurait pu tromper des centaines de malades en leur donnant de faux espoirs qui ne se basaient, en fait, que sur de vagues indices. Après le discours-vérité de l’ambassadeur du Maroc, on a senti, dans les milieux auxquels il était avant tout destiné, un silence embarrassé pour ne pas dire coupable. S’il n’était pas en fin de séjour, le diplomate aurait-il été poussé vers la sortie comme un certain ambassadeur de France qui, lui aussi, avait osé dire un peu trop haut ce que ses pairs pensaient tout bas ?
Personnellement, je ne sais plus trop où j’en suis, puisqu’entre le Sahara trop sec, l’Amazonie trop humide, l’Alaska trop froid, et le Burkina Faso trop chaud, je continue, malgré tout, à préférer Madagascar avec ses politiciens vénaux, ses dahalo au col douteux, ses épidémies d’un autre âge. Peut-être parce que, pour reprendre les termes utilisés par le même ambassadeur dans un entretien accordé à nos confrères de La Vérité, « ce pays est béni des dieux. Il a des capacités énormes, un potentiel exceptionnel, une beauté que j’ai remarquée mais que les Malgaches ne remarquent pas (…) peut-être parce qu’ils ne voyagent pas beaucoup ». Rassurez-vous, Excellence, quelqu’un le fait déjà pour eux, et le fait même très bien à longueur d’année, apparemment sans compter.
Le moyen-Ouest-La route du zébu
Une grande première : la capitale pourrait être privée de viande de zébu à partir du 3 février prochain, suite à un ultimatum lancé depuis Tsiroanomandidy, haut-lieu du marché des bovidés, par les Zanak’Androy. Ils entendent protester contre l’inertie des autorités à la suite des exactions suivies de mort d’hommes perpétrées dans leur ethnie par les forces de l’opération « Fahalemana ». Par-delà ses effets sur des consommateurs déjà habitués à certaines privations, la mesure revêtira une symbolique très forte : dans sa douce servitude, l’image du bœuf à bosse est peut-être plus appropriée à Madagascar que celle du lémurien ivre de liberté, sautant d’une branche à l’autre, car plus proche des préoccupations quotidiennes de ses habitants.
J.M, photographe d’une agence parisienne, rêve, depuis longtemps, d’une aventure malgache sur les traces des troupeaux allant d’un marché de bétail à l’autre. Le Far-West avec les chevaux en moins. Première déception à son arrivée à Tsiroanomandidy, important « hub » des expéditions venant de l’Ouest et du Sud-Ouest : celle de ne plus y trouver des zébus que des traces verdâtres commençant à durcir sous le soleil. « Mais en partant maintenant, vous serez sûrement avant eux à Mahasolo ».
Pendant que son guide l’emmène vers cette localité, J.M. essaie de se mettre dans la peau des convoyeurs qui, au même moment, sont certainement quelque part derrière les collines, empruntant un raccourci. Aligner les kilomètres au petit trot, sous un soleil de plomb, qu’il pleuve ou qu’il vente, il faut vraiment le faire ! Et ces hommes le font, les pieds nus, ou protégés uniquement par des sandales découpées dans de vieux pneumatiques.
Mahasolo. Le chef du village emmène le photographe dans la petite vallée où les bêtes passeront la nuit. « Ils seront là vers 17 heures, mais ne vous attendez pas à un grand marché demain. En cette période, beaucoup d’affaires se concluent également à Analavory, Arivonimamo, ou Imerintsiatosika ». Et de lui proposer l’hospitalité pour la nuit, avec cette simplicité caractérisant les gens de nos campagnes. Une certaine odeur de cuir fraîchement travaillé émane d’une grosse pile d’objets artisanaux prêts à partir pour les marchés de la capitale : sacs, babouches, ceintures, porte-monnaies, chapeaux à larges bords de western spaghetti… Qu’il soit mort ou vif, toute la vie tourne ici autour du zébu, dont il n’est aucune parcelle qui ne soit d’une précieuse utilité : la peau pour la maroquinerie, les cornes pour la confection du « ranomena », un remède fétide aux mille applications, ou pour tapisser les tombes du Sud, les intestins pour les saucisses, la force tranquille pour les attelages et le labour, la bouse pour le fumier, le sacrifice pour les clins d’œil rituels aux ancêtres et la consolidation du « Fihavanana ».
Un matin radieux inonde déjà de sa lumière les immensités poussiéreuses du Moyen-Ouest. J.M. peut enfin apprêter sa batterie pour son safari-photo qui n’en finit pas de commencer.
Transport aérien – On m’appelait le Voron-tsara dia
Première partie : les années héroïques
Qu’on se le dise d’emblée : militer pour l’Open sky en 2016 équivaut un peu à réinventer le fil à couper le beurre ! À l’aube de l’Indépendance déjà, la question se posait entre, d’une part, l’ouverture du ciel malgache pratiquement sans restriction, avec la manne que cela ne manquerait pas d’apporter au tourisme, et d’autre part, la création et la protection d’une compagnie aérienne nationale. Philibert Tsiranana avait beau n’être « qu’un » instituteur doublé, il se plaisait à le rappeler, d’un ancien bouvier, il avait un bon sens qu’on cherchera en vain chez les grands esprits, ou ceux qui se croient comme tels. Son raisonnement était d’une simplicité désarmante : « Nous avons une nation à bâtir. Nos besoins ne sont pas ceux des petits cailloux au bout du monde. Je préfère former et avoir des ingénieurs, des techniciens, des commandants de bord malgaches, plutôt qu’une armée de femmes de chambre et de personnel subalterne aux ordres des étrangers ». C’est dans cet état d’esprit qu’Air Madagascar est né et a grandi. Et que bien plus tard, en 1986 pour être plus précis, la malgachisation a totalement été achevée, du directeur général jusqu’au planton, en passant par le personnel navigant et les cadres supérieurs.
Madagascar était prédestiné à avoir « SON » transporteur national, et un réseau tissé en conséquence. En 1948 déjà, du temps où des initiatives privées se partageaient certains tronçons, une plume anonyme écrivait : « Il existe un pays dans le monde, où les gens prennent l’avion avec autant de naturel que les Parisiens empruntent le train ou l’autocar de banlieue. Ce pays n’est pas l’Amérique, et ces voyageurs ne boivent pas de whisky à 3 000 mètres d’altitude. Nous sommes à Madagascar ».
C’est le premier janvier 1962 que Madair, première appellation de la Société nationale, prend en charge la desserte du réseau intérieur avec quatre Dragon DH 89, deux DC4, et sept DC3, dont les derniers exemplaires ne seront retirés du service qu’en 1971. Parallèlement, les liaisons avec l’Europe commencent en accord avec Air France, d’abord avec un DC6, puis avec un Boeing 707 de location. Le long-courrier est appelé à compenser le déficit de la difficile mais indispensable exploitation des lignes intérieures. En 1963, la compagnie opte définitivement pour l’appellation d’Air Madagascar, et fait l’acquisition d’un Boeing 707-B.
En 1967, la flotte arbore un profil nouveau avec le remplacement de ce quadriréacteur par un Boeing 707B Turbofan plus puissant, et par la mise en place d’un important contingent d’avions légers Piper. Le tout premier Boeing 737 fait son arrivée en 1969, suivi deux années plus tard par cinq Twin Otter qui marquent la fin de l’époque des increvables DC3, et le début d’une exploitation new look du réseau intérieur. En 1972 en pleine crise politique, le deuxième Boeing 737 permet à Air Madagascar d’affermir ses lignes vers les îles de l’océan Indien et la côte est-africaine.
Dès 1973, Air Madagascar est à même de prendre en charge l’entretien de ses 737 grâce à une bonne politique d’investissement industriel, et à la maîtrise progressive de la technologie par les nationaux. Le Centre de maintenance d’Ivato est agréé par de grandes marques comme Piper, Collins, Lycoming, ainsi que par le Bureau Veritas. L’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA) le désigne, pour sa part, comme Agence centrale des Boeing 737 pour l’Afrique de l’Est, et des Twin Otter pour toute l’Afrique.
(A suivre)
Rétro pêle-mêle
Qit-Fer et Titane Inc., filiales du conglomérat Rio Tinto leader mondial dans le domaine de la découverte, de l’exploitation, et de la valorisation des ressources minérales, sont présentes à Madagascar depuis mai 1986 à travers Qit Madagascar Minerals SA. Cette société est en coparticipation « joint venture » avec l’Office militaire pour les industries stratégiques de Madagascar (OMNIS). Les travaux d’exploration ont permis de découvrir un gisement de minerai (ilménite, rutile, zircon, monazite), présentant une valeur économique potentielle à Sainte-Luce, Petriky, et Mandena. Selon Serge Lachapelle, directeur général de QMM SA, le projet d’extraction tient non seulement à sauvegarder l’environnement, mais veut aller plus loin en englobant les potentialités touristiques à développer. Un choix pour des infrastructures portuaires dignes de ce nom se fera ainsi entre trois sites : Taolagnaro elle-même, Evatra, et la pointe d’Ehoala.
Ambatovy. 2004, Pan African Mining démarre ses opérations d’exploration minière, dont la recherche du diamant, dans le Sud-Est, avec en poche un permis valable dix ans et couvrant une superficie de 3 000 km2. Les échantillons prélevés sont, soit étudiés à Antananarivo, soit expédiés aux Mineralogic laboratories du Cap en Afrique du Sud. Ce travail de reconnaissance est dirigé par la géologue sud-africaine spécialiste du diamant Jessica Schoelman. Pour sa part, la société américaine Phelps Dodge Madagascar, gérée par le Sud-africain Roger David Scott, s’appelle désormais Ambatovy Minerals, à la suite d’une augmentation de son capital, porté à 16 millions d’euros. Le gisement situé à 15 km de Moramanga a une capacité estimée à 450 000 tonnes de nickel, et 45 000 tonnes de cobalt.
Web radio. Cette même année, Salma Hassanaly, cadre supérieur féminin très apprécié de DTS Wanadoo continue à tisser sa… toile, et lance pour la première fois à Madagascar la Web radio avec la RDJ de Tahiana Rasolojaona. La Web radio, aujourd’hui largement répandue, permet aux internautes, non seulement d’écouter leur station préférée sept jours sur sept via internet, mais aussi d’intervenir et de chatter avec les animateurs, lui donnant ainsi une audience nationale et internationale accrue. Le provider Data Telecom Service distribue depuis 2002 à Madagascar la marque Wanadoo, qui se présente comme la « génération positive de l’internet ». Sa spécificité réside dans les portails communautaires, avec comme principales valeurs partagées par les « wanadiens » l’optimisme, la coopération, et la proximité. Les projections réservent au marché malgache de l’internet une constante progression, malgré une taille encore réduite estimée à 16,6 ordinateurs pour 10 000 habitants.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos L’Express de Madagascar