Qui a dit que le polystyrène ne pouvait que détruire l’environnement C’est sans compter sur le génie d’une Mexicaine, étudiante à l’Université de Berlin, qui a décidé de transformer en vernis biodégradable les déchets de styromousse, ce matériau peu coûteux mais aussi très polluant avec lequel nous protégeons nos appareils électroniques, et dont nous nous servons pour fabriquer des ustensiles jetables. Le recyclage étant un moyen de protéger l’environnement, le secteur est en pleine expansion. Un prêtre libanais a décidé d’en faire profiter, non seulement la nature, mais aussi les hommes, notamment les plus démunis. Deux histoires de recycleurs pas comme les autres.
Le Père Jean-Marie Chami n’est pas un prêtre libanais comme les autres. Derrière son visage rond et sa bonhomie, se cache un homme de religion « écolo » qui a su mettre la protection de l’environnement au service de l’aide à l’insertion.
Jean-Marie Chami, 53 ans, n’a pas toujours été un homme de religion. Avant d’être curé de l’église Notre-Dame de l’Annonciation, à Zokak el-Blatt, un quartier dans l’Ouest de Beyrouth, il a suivi une formation d’architecte. Et avant cela, entre 15 et 21 ans, il était même athée jusqu’à ce qu’il « retrouve la foi de manière inattendue, lors d’un séjour en France ».
L’un des dadas du Père Chami est le recyclage, qu’il a commencé à pratiquer à titre individuel chez lui et dans son bureau à l’église. Puis il a côtoyé un groupe de malentendants et est devenu leur aumônier. « Un jour, j’ai reçu l’appel de personnes malentendantes qui voulaient organiser un concert. Cet appel a été prophétique », explique-t-il.
Mais le prélat ne s’arrête pas à cette initiative. En 1999 naît L’Écoute, une association à but non lucratif visant à subvenir aux besoins des personnes malentendantes en difficulté. À travers L’Écoute, le Père Chami tente une expérience : allier écologie et travail social.
« Recycler, oui. Mais pour l’humain d’abord, pas seulement pour l’environnement et la nature, affirme-t-il. Sinon on passe à côté de l’essentiel ».
Une philosophie inscrite dans le slogan de l’association, « Ensemble pour le recyclage de l’énergie humaine », dont la mission se résume ainsi : « Entendre tout le monde, mais écouter les plus démunis ».
Aujourd’hui, les deux piliers de l’association sont rassemblés dans un hangar de Hadeth, dans la banlieue-est de Beyrouth. L’atelier emploie dix-sept volontaires de différentes nationalités. Il n’est pas strictement réservé aux malentendants : des personnes souffrant d’autres formes de handicaps physiques ou psychiques, ou des personnes tout simplement en difficulté sociale, s’y activent également.
Avec minutie
Dans ce local, inauguré en décembre dernier, les volontaires trient le matériel non-organique récupéré par leurs soins auprès des 1 200 clients (entreprises et particuliers) de L’Écoute, qui dispose de 200 points de collecte à travers le Liban. « Chaque jour, nous revendons des produits triés, en général, aux usines qui recyclent papier, plastique et métal », explique le Père Chami.
Le business tourne rond, mais le fruit des collectes, bouteilles en plastique, sacs de la même matière, ou encore ferraille, continue de s’empiler du sol au plafond de l’atelier. En avril, le Père Chami affirmait attendre dans les prochaines semaines une machine pour compresser les bouteilles en plastique afin d’améliorer le travail.
Dans un coin de l’atelier, trois volontaires sont, par ailleurs, chargés de désassembler du matériel électronique. Au-delà de son activité de recyclage traditionnel, L’Écoute s’est lancée dans le recyclage des produits électroniques, la « spécialité de la maison ».
« On nous a dit que nous étions pionniers en la matière. Je ne peux en être sûr, mais si c’est le cas, nous nous en réjouissons », souligne le prêtre, qui s’excuse de gesticuler en parlant, « une habitude à force d’employer le langage des signes avec les volontaires malentendants ».
Imprimantes, ordinateurs, appareils électroménagers, téléviseurs… tout est démantelé avec minutie par les volontaires. Le travail n’est pas sans risques, car des substances toxiques peuvent se dégager lors du démontage. Les fils de cuivre, les bobines et les vis métalliques sont revendus. Mais certaines pièces doivent être nettoyées pour avoir de la valeur, explique le prêtre.
Aujourd’hui, L’Écoute a réussi à créer un cercle vertueux. Sur le plan financier, l’activité de recyclage, qui rapporte entre 9 000 et 11 000 dollars par mois, permet de financer le travail social. Et sur le plan humain, le sourire des volontaires résume tout.
« Cela fait six mois que je travaille ici. Avant, je restais à la maison », explique Anthony, un jeune de 19 ans qui souffre d’infirmité motrice cérébrale. « Aujourd’hui, je suis très heureux de travailler en équipe », affirme-t-il avec l’aide du prêtre qui fait office d’interprète.
Aller de l’avant
Ahmed, qui souffre de problèmes psychiques, travaille, quant à lui, sur les radios, les imprimantes, les téléviseurs… « Ce qui me plaît ici Le fait de me sentir responsable », dit-il.
Autres bénéficiaires du programme, les réfugiés, comme Kwal, un gaillard soudanais de 48 ans frôlant les deux mètres. « J’ai beaucoup voyagé depuis que j’ai été séparé de mes parents, raconte-t-il. Je suis passé par la Libye, l’Irak, la Jordanie… Au Liban, j’ai obtenu le statut de réfugié auprès de l’ONU. J’étais parmi les premières personnes à travailler avec l’équipe de L’Écoute ».
Avec l’association, tout le monde sort gagnant : l’environnement, mais aussi les personnes en difficulté qui retrouvent à nouveau un but et une place dans la société. Si la réussite est au rendez-vous, les obstacles demeurent. Aujourd’hui, les bénéfices vont presque totalement aux volontaires, « afin que ceux-ci puissent vivre dans la dignité », souligne le Père Chami. Le reste est affecté aux frais de fonctionnement de l’atelier. Rien ou presque n’est réinvesti, surtout en ces moments de disette, poursuit-il, sans toutefois perdre espoir, des dons étant attendus.
Autre problème, certains clients voudraient être payés pour le matériel recyclable collecté par les volontaires de L’Écoute. « Partout ailleurs, les gens payent pour se débarrasser de leurs déchets ! », s’insurge le prêtre.
Ces obstacles ne suffisent pas, toutefois, à le décourager :
« Il y a quelques années, tout ce projet aurait été impossible. Mais les choses changent et il faut toujours aller de l’avant. Tout ce travail, c’est ce qui me fait sentir vivant. C’est le fait d’être la voix des sans voix, les yeux des non-voyants ».
Matthieu Karam (L’Orient-Le Jour, Liban)