Une investigation, réalisée dans la région Alaotra-Mangoro, à Toamasina, Fianarantsoa, Antsirabe et dans la capitale, a essayé de donner des débuts d’explications sur les vols d’ossements perpétrés dans la Grande île. L’implication de présumés réseaux mafieux y est évoquée. Nous publions ici de larges extraits de cette enquête menée au cours de l’année 2017.
À Andohasana, dans la Haute-Matsiatra, les villageois préfèrent construire leur maison au-dessus du tombeau. « Nous avons peur que les bandits viennent piller nos sépultures et il faut maintenant prendre garde », s’est plaint un notable du village.
C’est une façon de lutter contre le pillage ou d’avorter toute tentative de profanation de tombeau concoctée par des individus malintentionnés. Certains Malgaches bâtissent maintenant leur tombeau tout près de la maison pour raison de sécurité. D’autres citadins commencent également à incinérer leurs morts, affirme Bonaventure, employé au crématorium des Français d’origine indienne, au Fasan’ny Karana. « L’incinération d’un corps coûte pourtant très cher, soit cinq millions d’ariary », a-t-il révélé.

Le Pr Ahmad Ahmad, spécialiste en imagerie et radiologie.
Le trafic de « saphir blanc », ou ossements humains, ne semble pas prêt de s’arrêter à Madagascar. Depuis les années 80 où la magouille est apparue pour la première fois dans le Nord de la Grande île, le vol d’ossements humains ne cesse de progresser et de perdurer. « Un fémur se vend à partir de quatre cent mille ariary », a indiqué le commandant Herilalatiana Andrianarisaona, chef de service de communication et des relations publiques (SCRP) de la gendarmerie nationale.
Des milliers de fémurs ont été volés, selon les statistiques de la gendarmerie nationale, du 21 janvier jusqu’au 5 novembre 2017. La dernière saisie spectaculaire qui ait jamais eu lieu s’est passée à Mahanoro, au Sud-Est de l’île, au mois d’octobre dernier, où la gendarmerie a découvert une tonne et demie d’os !
L’os humain, du diamant brut Certains articles et forums disponibles sur le net (futura-sciences.com, ou maplante.com) affirment que les os servent à fabriquer du diamant artificiel. Bruno Richard Razanamparany, titulaire d’un doctorat d’État en physique, option chimie à la Faculté des Sciences de l’Université d’Antananarivo, a effectué une recherche bibliographique sur la composition chimique des ossements, puis une recherche bibliographique sur la composition chimique du diamant artificiel, et a effectué une analyse rudimentaire d’un échantillon d’os. Il a pu faire ressortir dans ses recherches que le fer (à faible quantité) et le cartilage, matière organique, sont présents à la fois dans le diamant artificiel et l’os. Il a pu ainsi affirmer qu’il est possible de fabriquer du diamant artificiel à partir d’un os humain. Le fémur, composé de cartilage, est particulièrement concerné.

Des sacs remplis de fémurs saisis à Mahanoro.
Or, tous les vols d’ossements sont des vols de fémur… Pour preuve, la dernière saisie spectaculaire de « saphir blanc » évoquée plus haut. Mille deux cent trente-quatre (1 234) étaient des fémurs et le reste était des humérus, des cubitus, des tibias, des radius, des péronés et des clavicules.
Selon les informations fournies au compte-gouttes par un fin limier de l’Interpol (organisation internationale de police criminelle, ou OIPC), rencontré dans les locaux de la Brigade criminelle à Anosy, en septembre dernier, sous le voile de l’anonymat, « une société suisse appelée ALGORDANZA est suspectée dans ce trafic d’ossements humains et de leur transformation en diamants ».
Soatiana Razafindrakoto, bijoutière à Analakely, nous a montré des bijoux ornés de diamants artificiels. « Ces diamants synthétiques ont été importés mais, les bagues, les colliers et les bracelets ont été fondus par nous-mêmes », décrit-elle.

Le commandant Herilalatiana Andrianarisaona, chef de service de la communication et des relations publiques de la gendarmerie nationale.
Une entreprise familiale, également incriminée pour la collecte des spécimens ostéologiques, avait déjà fait l’objet d’une enquête au fond, selon toujours le même interlocuteur. « Elle s’appelle SKULLS UNLIMITED, basée à Oklahoma City. Outre l’article 182 (b) du code criminel américain L.R.C. (1985), ch. C-46 portant sur l’outrage envers un cadavre, aucune disposition concernant la vente ou l’achat d’os humains ne s’appliquerait ici », a souligné un criminaliste canadien, Rénald Beaudry dans son interview avec un bloggeur de « nuage1962 », le 1er décembre 2011 à Québec.
Un sac de cinquante kilos rempli des fémurs saisis a été gardé à la morgue de l’hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona (HJRA) pendant trois mois avant d’être inhumés au cimetière d’Anjanahary en août 2017. « Ni le Service central des affaires criminelles (SCAC) malgache ni le Parquet n’ont, jusqu’à présent, l’idée de creuser l’enquête sur ce saphir blanc. Aucune commission rogatoire n’a non plus été déléguée pour la faire », a souligné un officier de police judiciaire, lors de notre entrevue, à la Brigade criminelle, à Anosy au début d’octobre.

Le Pr Bruno Richard Razanamparany explique les compositions chimiques d’un fémur.
Banques d’os
Plusieurs interlocuteurs ont été surpris en entendant que les ossements humains déterrés à Madagascar servent à approvisionner les banques d’os des grands hôpitaux à l’étranger. Tout comme les banques de sang des hôpitaux publics dans la Grande île, celles pour les os sont une nouveauté pour les Malgaches. Le dernier hôpital qui s’est doté d’une telle banque d’os était celui du Chirec à Bruxelles, en 2016. Nous avons interrogé, en octobre 2017, un professeur spécialiste en anatomie qui a préféré garder l’anonymat. Et il a indiqué que les pillages de tombeaux survenus dans le pays correspondent à l’existence de ces banques d’os en question. « Ces instituts ont notamment besoin de fémurs pour les allogreffes ou substitutions osseuses. Cela pourrait être effectué par de donneurs d’os et à l’aide d’un prélèvement d’organes multiples (POM) », a-t-il révélé. « Un groupe des médecins généralistes et des trafiquants d’os humains, soupçonné de POM, s’est fait déjà pister et arrêter par la police, en 2010, à Antsirabe », a-t-il ajouté.
À titre de rappel, huit individus dont les dénommés Boniface et Davidson, tous deux d’anciens prêtres ont comparu devant la barre du tribunal d’Antsirabe, le 29 avril 2013, pour meurtre, trafic d’organes et désossement humain. Boniface et ses six complices écopent de vingt ans de prison avec travaux forcés, tandis que Davidson a été libéré au bénéfice du doute.

Le Pr Nantenaina Randrianjafisamindrakotroka, spécialiste en anatomo-cytopathologie à l’HJRA.
Le Pr Nantenaina Randrianjafisamindrakotroka, spécialiste en anatomo-cytopathologie à l’HJRA a tenu à confirmer, pendant notre entrevue que, « l’os, en tant que tissu conjonctif vit longtemps, même après la mort. Un fémur fracturé peut être remplacé par un autre fémur. C’est praticable ».
Comment se fait-il pourtant que les os volés puissent sortir de l’aéroport ou être embarqués au port de Toamasina ? La réponse est simple, selon une source au sein du ministère de la Défense nationale. « Les 5 000 km de littoral malgache ne sont pas contrôlés. Les ports et l’aéroport international d’Ivato ne sont que des passoires dans l’exportation illicite des ossements humains, et il en est de même pour les trafics de bois de rose, de pierres précieuses et tant d’autres », se désole-t-il.
Comme disait un grand journaliste investigateur, « le journaliste n’est pas un juge ni un policier mais, on fait souvent ce qu’ils ne font pas ». C’est à la police judiciaire ainsi qu’au ministère de la Justice de pister et de démasquer ceux qui se livrent à ce genre de business. « En tant que Malgache, je me sens notamment concerné. Il vaut mieux interpeller l’autorité responsable…Si on passe un os humain au scanner on peut le détecer», a précisé le professeur Ahmad Ahmad, spécialiste en radiologie et imagerie, à l’HJRA.
Une enquête réalisée dans le cadre du projet de formation de CFI, Dialogues Citoyens Madagascar.
Textes : Hajatiana Léonard Razafindrasetra, et Faniry Ranaivoson, journalistes de l’Express de Madagascar ; Tokiniaina Ratovonirina, membre de l’Association des jeunes intellectuels promoteurs et acteurs du développement (AJIPAD).
Photos : fournies