Incursion dans l’Antananarivo intemporelle. À la recherche d’une identité architecturale malgache, l’Express de Madagascar a posé des questions à des architectes, feuilleté des livres d’histoire, mais surtout, a effectué une petite visite à la villa Tanamasoandro. Au cours de ces pérégrinations, nous avons découvert une maison malgache qui se définit moins par sa forme que par le message philosophique qu’elle délivre.
Juchée sur la colline d’Andrainarivo, surgissant d’une clôture de briques qui l’enveloppe et la protège, une grande tour carrée couverte d’un toit rouge toise le passant non sans une certaine bienveillance. Ainsi s’offre au premier regard, sur sa partie sud, attenante à la rue, la « villa Tanamasoandro ». Elle n’est pas la seule belle résidence du quartier mais elle est connue de tous pour être celle des Ramakavelo.
Invité à décrire sa demeure qui se distingue des autres par ses murs en briques apparentes, le général de division Désiré Ramakavelo, politicien, membre actif de la société civile, mais surtout amoureux et défenseur de la culture malgache, s’exécute volontiers.
Il doit l’agencement de sa maison à l’architecte Michel Rabariharivelo, disparu en 2016, explique-t-il. « Lorsqu’il nous a présenté les plans, nous avons tout de suite dit oui et nous n’avons rien changé ».

La tour représente le « razana » qui veille sur tous.
La « villa Tanamasoandro » est une maison malgache. Moins par sa forme que par ce qu’elle représente. « Ma femme et moi avions demandé à Michel Rabariharivelo de nous dessiner une maison traditionnelle mais tournée vers l’avenir », raconte le général Ramakavelo.
Leurs vœux ont été exaucés. De manière presque didactique, il décrit les quatre points cardinaux représentés dans la maison, qui rythment la vie de tous les jours, tout en désignant la fonction de chacun.

Désiré Ramakavelo, propriétaire de la villa Tanamasoandro, devant le jardin intérieur .
C’est le foyer, dit-il, qui symbolise la vie.
Philosophie de vie
« Les ouvertures sont évidemment à l’ouest - miakandrefam-baravarana - pour se protéger des vents qui soufflent fort au sud dans la région d’Antananarivo. La maison des domestiques se trouve au sud. À l’arrière-plan, à l’étage, comme vous le voyez par ces fenêtres, se trouvent les chambres des enfants lorsque celles des parents sont au Nord. Cette fontaine, que vous voyez au cœur du jardin central d’où jaillissent les plantes qui représentent également l’élément eau, symbolise le foyer, le centre qui représente la vie ».
Les matériaux utilisés possèdent également leur charge symbolique : « les briques qui constituent le mur de trente cinq centimètres d’épaisseur retiennent la chaleur, mais surtout démontrent que c’est là la demeure des vivants puisque la pierre est destinée aux morts. Le palissandre que vous voyez à l’intérieur de la maison est là pour défier le temps. La maison malgache est faite de bois dur, noble. Elle ne souffre pas de l’utilisation de matériaux quelconques. »

La façade sud.
En bâtissant également la toiture à différents niveaux, le concepteur de la « villa Tanamasoandro » a parfaitement saisi la philosophie de vie du Malgache, fait remarquer notre hôte d’un jour. « Les différents niveaux du toit symbolise le hasina, le respect de la hiérarchie. Les petits détails, comme ces pics tournés vers le haut faisant également office de paratonnerres, témoignent de la présence intemporelle des ancêtres, tout comme la tour, la plus haute partie de la maison, qui est le razana, l’ancêtre qui veille sur tous ».
Ainsi, Michel Rabaharivelo, également connu pour ses travaux de restauration du Rova de Manjakamiadana, n’est, semble-t-il pas tombé dans le piège architectural qui voudrait que les habitations avec les arcs de la varangue, les grandes tours carrées héritées des demeures des grands du XIXè siècle soient celles qui soient construites « dans la tradition ». C’est encore Désiré Ramakavelo qui définit le mieux la maison malgache : « elle porte en elle une philosophie de vie ».

Sur le versant ouest de la colline de Faravohitra, les maisons traditionnelles côtoient celles à architecture plus moderne.
Trano gasy, plusieurs identités
Pour désigner la « Trano gasy », c’est encore les historiens qui en parlent le mieux. Dans le postface de l’ouvrage que l’historien Didier Nativel a consacré (et intitulé) aux « Maisons royales, demeures des grands à Madagascar », paru aux editions Karthala en 2005, Faranirina Rajaonah fait remarquer que « trano gasy » pouvait très bien désigner la cage indigène, tirée du lexique colonial, en terre battue et mal entretenue. Mais dans l’imaginaire des Tananariviens, c’est surtout une « maison à étage, avec des combles et des murs en briques apparentes sinon badigeonnées en rouge basque ou dans les tons de la terre de l’Imerina. Elle se caractérise aussi par un plan rectangulaire simple ou, dans un style plus recherché, par un plan en L (trano sokera), un toit de tuiles à double pente, une varangue soutenue par des piliers, quelquefois en pierre de taille. » Faranirina Rajaonah décrit là les maisons des missionnaires anglais arrivés au XIXè siècle, et dont se sont par la suite appropriés les nobles puis la bourgeoisie malgache, précise Didier Nativel dans son ouvrage, jusqu’à les essaimer sur les autres collines aux alentours. Le style a aussi connu une variante au début du vingtième siècle avec l’apparition des arcs de la varangue et les tours carrées.
« À la fin du XVIIIè siècle, le traitant Mayeur ne repère à Tananarive que des façades de joncs et de terre. Un peu plus tard, La Salle indique que seul le roi (Andrianampoinimerina) possède une demeure de planches ». Le fameux tranokotona donc, fait de « madriers plantés debout et juxtaposés » ainsi que le décrit le Père Malzac en 1887.
Mamy Andriamanalina – « Le Malgache possède un sens inné de l’architecture »
Le président de l’Ordre des architectes de Madagascar nous livre ici son regard sur un métier qu’il considère avec regret comme marginalisé dans la Grande île, du fait de la non application de la loi. Le talent du Malgache pour l’architecture est pourtant sûr, constate-t-il.
Comme pour toutes les professions libérales, il existe donc un Ordre des architectes malgaches…
L’Ordre des architectes malgaches est une institution placée sous la tutelle du ministère de l’Aménagement du territoire. Il dispose de son propre règlement intérieur et possède un organe exécutif qui est le Conseil national de l’Ordre, composé de onze membres. Les architectes malgaches reconnus par l’Ordre sont, actuellement, au nombre de soixante-dix. Cette institution veille à la bonne pratique du métier.
Qui peut se prévaloir d’être architecte à Madagascar ?
Il faut détenir un diplôme délivré par une école agréée par l’Union internationale des architectes et l’Unesco. Pour l’heure, il n’existe malheureusement pas encore d’école de ce genre à Madagascar. Nous sommes l’un des rares pays en Afrique qui ne disposons pas d’école d’architecture. Il faut également intégrer l’Ordre. Pour ce faire, l’architecte doit en faire la demande et c’est seulement une fois toutes ces démarches remplies qu’il peut exercer légalement son métier.
Qu’en est-il des étudiants sortants d’écoles supérieures des Travaux publics malgaches qui désirent exercer ou exercent déjà le métier d’architectes ?
Légalement, ils ne peuvent pas le faire. C’est un problème né de la désorganisation des métiers du bâtiment en général. Dans le secteur, il existe plusieurs intervenants : les architectes élaborent le projet, les ingénieurs avec leurs différentes spécialités, mais également les techniciens, exécutent le projet. À Madagascar, il existe une loi régissant le métier d’architecte, mais malheureusement comme la plupart des lois elle n’est pas appliquée. Au sein de l’ordre, nous disons : à chacun son métier.
Existe-t-il donc une architecture spécifique malgache ?
Personnellement, lorsque l’on parle d’architecture malgache, la première chose qui me vient à l’esprit ce sont ces habitations des Hauts-plateaux caractérisées par des toits à deux versants avec une allure brisée, très pentus, ainsi que la présence de colonnes effilées, des vérandas avec des motifs très travaillés au niveau des garde corps, mais surtout des proportions inhabituelles avec une hauteur très importante au niveau du rez-de-chaussée et un peu moins à l’étage et dans les combles. Mais on peut trouver un autre style, dans les zones côtières, où les maisons sont construites sur pilotis, en bois, avec un toit en végétaux mais toujours ce style à deux versants très pentus.
Nous observons, ces derniers temps dans le paysage urbain des Hauts-plateaux, ces maisons à véranda et avec des piliers que vous venez de décrire. S’agit-il d’une tendance ?
La demande pour ce style d’architecture émane surtout des étrangers. Les Malgaches sont très peu nombreux à s’y intéresser et ils appartiennent souvent à une catégorie sociale aisée. Mais Il faut savoir une chose : Antananarivo est soumise à une règlementation sur la zone de protection des patrimoines architecturaux (ZPPA) qui impose l’application des structures traditionnelles dans la construction des maisons, que ce soit au niveau des matériaux (utilisation de tuiles, de briques) de la structure du bâtiment (toits très pentus et brisés), que de la couleur. Les quartiers tels qu’Andohalo, Ambatonakanga, Analakely, Soarano, Ankadifotsy, entre autres, sont concernés par cette règlementation.
Pourtant des blocs de béton abritant souvent des centres commerciaux et vendant des produits chinois fleurissent dans les quartiers que vous venez de citer…
Cette règlementation a été sortie il y a seulement six ans. Mais actuellement, lors de la demande de permis de construire, la mairie d’Antananarivo peut parfaitement refuser les projets qui ne sont pas conformes à ces critères.
« Antananarivo est soumise à une règlementation sur la zone de protection des patrimoines architecturaux »
Très peu de demandes, dites-vous, pour cette « manière de construire à la malgache ». S’agit-il donc d’une forme d’architecture réservée à une élite ?
Avant tout, je ne parlerais pas de « manière de construire » mais plutôt d’un style. Il s’agirait plus d’une tendance et non d’un procédé puisque les modes de construction se basent, dans le fond, sur des méthodes somme toute classiques et universelles. Ensuite, je dirais que tout dépend des goûts et de la culture de tout un chacun. La jeune génération malgache ne veut absolument pas entendre parler d’architecture traditionnelle. Elle est plutôt friande de lignes contemporaines qui se dessinent sur les maisons actuelles, visibles sur internet.

À l’exemple de la maison des maires à Anjohy,les nouvelles constructions sont soumises à des règlementations d’ordre architectural et patrimonial.
Quelle serait alors la maison idéale du Malgache contemporain?
C’est une maison qui présente de grandes surfaces de verre, avec des formes je dirais inhabituelles, une ligne que je qualifierais de pure avec des formes géométriques strictes.
Est-ce également sur cette tendance que s’alignent les architectes malgaches ?
Je voudrais d’abord attirer votre attention sur une chose. Il y avait auparavant une tendance à se focaliser sur la décoration et les détails. Parce qu’ils pensent d’abord à traiter les façades, les gens se retrouvent souvent avec de grands blocs dont ils ne savent que faire. C’est là qu’ils font appel à l’architecte. Or, l’architecte - Malgache ou étranger - ne fait pas de la décoration. Son rôle consiste d’abord à aménager l’espace. Lorsque l’architecte conçoit un bâtiment, il veille surtout à l’aspect fonctionnel. Son rôle est de créer un espace de vie. Il est également celui auquel on fait appel lorsqu’il s’agit d’aménager un espace urbain.
Il y a tout de même une façon de faire malgache dans le domaine de la construction, non ?
Absolument. J’ose affirmer ici que les Malgaches possèdent un talent inné pour l’architecture et un savoir-faire qui n’est plus à démontrer. Prenez la zone traversée par l’axe sud de la RN7. La région d’Antsirabe est réputée pour l’habileté de ses constructeurs. Leur maitrise de la technique, leur souci de l’harmonie et du détail, et leur sens de la proportion me fascinent littéralement. Leur maitrise du matériau également du côté d’Antsirabe, Ambositra, Fianarantsoa, Fandriana, Ambalavao, … Si l’on veut aller à la source, c’est dans ces régions qu’il faut aller. Je pense qu’il existe là une source d’inspiration qui n’est pas assez exploitée. Souvent, nous sommes noyés dans cette fausse modernité.
L’architecture malgache a-t-elle sa place dans l’avenir ?
J’ai pour habitude d’affirmer qu’elle aurait dû avoir sa place, longtemps déjà. Les pays occidentaux ont toujours su exploiter les apports des architectes pour le quotidien. Ce n’est pas le cas à Madagascar où l’architecture fait figure de parent pauvre. Il fut une époque, avant les années 70, où l’on a pu assister à la réalisation des grands bâtiments administratifs, par exemple. Les architectes ont été alors mis à contribution. Aujourd’hui, la profession aurait plutôt tendance à être marginalisée. Ce qui est dommage car l’architecture est au quotidien ce que la nourriture est au corps : elle s’avère indispensable. Vous ne le savez sans doute pas mais par exemple, lorsque la surface de votre maison fait plus de 150 mètre carrés, vous devez faire appel à un architecte. C’est la loi.
Textes : Rondro Ramamonjisoa
Photos : Tojo Razafindratsimba-fournies- archives