Après avoir encensé les œuvres des artisans-artistes de la soie malgache, Tom Andriamanoro s’arrête, le temps d’un article, sur la Conférence de Yalta où Roosevelt et Staline s’imposent déjà comme les supergrands que deviendront leurs pays. Il revient à Madagascar pour parler des villes aux mille clochers, pour terminer sur une note de théâtre en parlant de Landy Vola Fotsy.
Mode – Douce ou rugueuse, la beauté est en soie …
Parlons beau, parlons soie, un artisanat aux confins de l’art qui a trouvé sa Terre Promise à Madagascar et fait la renommée des artisans malgaches d’un Salon international à un autre.
La sériciculture était déjà très pratiquée sous le règne de Radama Ier. Un anglais du nom de Speyer introduisit en 1824, une nouvelle variété de ver à soie de Chine, et donna son nom au produit obtenu. En 1901, l’administration coloniale vulgarisa de nouvelles méthodes de culture de mûriers et d’élevage de vers à soie. Les muraies devinrent propriétés des communautés villageoises afin de mieux motiver ces dernières. En 1903, eut lieu la toute première exposition réservée aux femmes artisanes, et les archives ont retenu qu’il n’a pas été facile de les départager car, au-delà de la diversité des objets présentés, le talent était sensiblement égal chez les participantes. C’est à cette époque que l’on commença des essais de croisement de vers. Un siècle plus tard, une certaine fierté nationale se focalisait sur la soie sauvage malgache aux antipodes des idées qu’on se faisait de cette matière et qu’on croyait immuables. Une participation malgache très remarquée en 2003 à la Foire de Lyon, la ville considérée depuis toujours, comme la capitale du tissage de la soie, tourna au choc des cultures : à ma droite la soie européenne traditionnelle, douce et brillante, à ma gauche la soie écrue malgache à la beauté brute et agressive. Le bilan de l’opération fut on ne peut plus simple : les Malgaches ont tout vendu…
Une descente sur terrain s’impose avant de visiter quelques grands noms de la confection et du commerce de la soie malgache. Dans la région de Manandriana en pays betsileo, l’organisation non gouvernementale « Ny Tanintsika » assiste les paysans producteurs qui se heurtent à un problème de débouchés autres que celui des linceuls où la concurrence du « Tergal » n’est pas facile à supporter. Le village de tisserands le plus visité y est Soatanàna, à une heure de piste d’Ambositra. « Ny Tanintsika » intervient dans l’intégralité de la filière, de la plantation à la commercialisation en passant par l’élevage. Elle a, par exemple, pris l’initiative d’introduire les machines traditionnelles de confection de fils, les paysans se contentant jusqu’alors de récupérer les chrysalides et de les vendre. Agissant en tant qu’interface, elle les a également mis en relation avec les magasins de mode de la capitale, et a fait connaître leur travail dans les milieux diplomatiques afin de multiplier leurs contacts internationaux.

À côté des métiers semi-industriels, les tisserandes continuentà perpétuer la tradition.
I985 est une date importante, quand le couple Andriamanantena décida de créer sa propre entreprise de confection à laquelle ils donnèrent le nom de Mirado. Un choix qui leur a apparemment porté chance, puisqu’en 1992 le Salon international du prêt-à-porter de Versailles leur permit de se positionner par rapport au marché international. Leur label « Hay Landy » lança la texture alliant soie de culture et soie sauvage, malgré la réticence de certains milieux traditionnalistes qui voulaient sauvegarder la sacralité de cette matière. La mutation des raisonnements s’avéra heureusement irréversible, et la mise sur le marché tant international que local d’articles de soie à forte valeur ajoutée, fut couronnée par le succès rencontré en 1998 à Paris, par les fibres naturelles malgaches. Ce voyage de séduction contribua de façon décisive à libérer la filière de toutes les entraves. Désormais, le tissage serré traditionnel se mit à côtoyer le tissage lâche, véritable nouveau champ à exploiter pour un tout nouveau style. Une commande de trois cents pièces parvint à Mirado venant d’Yves Saint Laurent : ce fut une véritable consécration pour la soie malgache, et de nouveaux horizons pour les familles de planteurs et de fileurs dont la majorité était originaire de Mahatsinjo Antanifotsy sur la route d’Antsirabe.
Natacha Ré qui, depuis, s’est délocalisée sous d’autres cieux, est une ancienne de l’Institut national de tourisme et d’hôtellerie d’Antananarivo. Elle tint un rôle important dans la promotion de la soie, d’une part en tant qu’opérateur touristique dont la maison d’hôte faisait cohabiter en un même lieu une magnanerie, une filature et un atelier de tissage. Sur le plan intellectuel, Natacha Ré collabora avec le Centre d’information technique ( CITE) pour faire paraître le premier manuel sur le tissage traditionnel, l’objectif étant que le savoir-faire ancestral ne relève plus seulement de la tradition orale.
L’énumération serait longue, alors choisissons de terminer avec un autre grand nom qui a également choisi l’expatriation sans pour autant rompre avec la soie malgache : il s’agit de Noelisoa Ravelonanahary, Nanou de son nom d’artiste, qui tenait la boutique haut de gamme « Maîtrise de soie ». Même si elle travaille indifféremment sur les deux types de soie, celle d’élevage et la soie sauvage, Nanou n’a jamais caché sa préférence pour cette dernière. Elle se souviendra également à jamais du tournant qui l’a définitivement mise sur la « route de la soie ». C’était au début des années 80 quand, pour aller au bureau, elle avait mis une robe qu’elle avait confectionnée elle-même dans de la soie écrue, synonyme de linceul, donc de mort. Tous les collègues s’écartaient : « Ne nous touche surtout pas !» Le directeur, un étranger, était fort heureusement d’une autre culture, et il trouva la robe très jolie. Les dés étaient jetés…

La cathédrale Immaculée Conception d’Antananarivo.
Foi – Record mondial du nombre de… clochers
Faut-il l’attribuer à Antanàna Ambony, les vieux quartiers de Fianarantsoa ou, à une échelle plus vaste, carrément à Antananarivo ? Dans les deux cas, le record restera propriété de la chrétienté malgache au terme d’une belle histoire qui a commencé au XIXe siècle, quelque part au Sud du Pays de Galles, quand le directeur d’un institut de formation de prédicateurs demanda à ses élèves s’il y avait parmi eux des volontaires pour Madagascar. David Jones se leva, immédiatement imité par Thomas Bevan. Leur culte d’adieu fut suivi par plus de cinq mille personnes et on y prononça pas moins de sept sermons.
L’extraordinaire histoire de l’évangélisation de Madagascar connut ses heures les plus sombres sous la très nationaliste reine Ranavalona Ire, laquelle sentait se profiler des velléités de colonisation de la part des grandes puissances. La persécution laissa à l’histoire du christianisme malgache plusieurs noms, dont ceux de Rafaravavy Marie, sauvée du culte des idoles par la lecture d’Esaïe 44 et contrainte à la clandestinité, Paul le devin qui finit décapité, Rainiasivola, précipité du haut des falaises d’Ampamarinana, ou la plus connue, Rasalama, exécutée à coups de lance à Ambohipo. Il y eut aussi Ranivo, une splendide jeune fille de 16 ans, rayonnant tellement de beauté que le bourreau n’eut pas le courage de la mettre à mort. Il se contenta de la gifler après l’avoir vainement enjointe de renoncer à la « religion des vazaha » et la remit à sa famille sur ces mots: « Emmenez-moi cette folle, et que je ne la revoie plus ! »
Quatre Memorial Churches en pierres de taille furent construits à la mémoire des martyrs : Ambatonakanga (1867), Ambohipotsy (1868), Faravohitra (1870), Ampamarinana (1874). La ville de deux millions d’habitants est aujourd’hui constellée d’édifices avec leurs clochers semblant indiquer la seule voie du salut, mais qui apparemment ne suffisent plus : plusieurs jours dans la semaine, des établissements normalement dévolus à d’autres utilisations et même des terrains vagues se transforment en autant de lieux de culte des « Églises cadettes » où la chaleur de l’adoration prend le dessus sur la rigueur des rites. Alléluia
Histoire – Yalta : Et les Grands redessinèrent le Monde
La Conférence de Yalta, une petite ville de Crimée, est une des plus importantes dates de la Seconde Guerre Mondiale. Un véritable paradis pour les poux, c’est là la description idyllique faite des lieux par Sir Winston Churchill qui n’est pas britannique pour rien. Quant à la Conférence elle-même, elle n’a pas meilleure allure avec l’absence du moindre ordre du jour. Les rangées de la délégation américaine offrent un visage tragique : Roosevelt est presque mourant avec ses mains tremblantes, ses cernes, et son cou ressemblant à celui d’une momie égyptienne. Près de lui, Harry Hopkin est si malade qu’il faut littéralement le porter à la table de conférence pour le recoucher immédiatement après son intervention. Malgré son état physique, Roosevelt trouve encore les ressources pour faire la morale à Churchill qu’il soupçonne d’être encore plus impérialiste que Staline : « Winston, vous avez dans les veines quatre cents ans de conquête. Mais une nouvelle période de l’histoire du monde est ouverte, et vous devez vous y adapter. Je ne puis admettre que nous combattions l’esclavagisme fasciste, et qu’en même temps nous refusions d’affranchir tous les peuples vivant sous un système colonial. La paix ne devra tolérer le maintien d’aucun despote. » Le despote, c’est l’Anglais, prisonnier de son passé. Le Russe, malgré les réserves qu’il peut susciter, est un homme de l’avenir, un émancipateur. Concernant l’idée d’une Organisation des Nations Unies, Staline accepte d’y adhérer si on octroie une voix à chacune des seize Républiques soviétiques. Un caprice refusé, mais compensé par des concessions sur d’autres terrains.

(De g. à dr.) Le Premier ministre britannique, Winston Churchill, le président américain Franklin Delano Roosevelt et le secrétaire général du Parti communiste soviétique, Joseph Staline, durant la Conférence des Alliés à Yalta, du 4 au 11 février 1945.
Les séances se suivent et se ressemblent. Jamais une conférence internationale ne s’est déroulée dans une pareille incohérence. Roosevelt et Staline s’imposent déjà comme les Supergrands que deviendront leurs pays. À la fin, Churchill ne lutte plus que pour la forme. Il sait que le monde sortira de la guerre plus divisé que jamais. Le vieux lion ose quand même un coup d’éclat face à l’Américain et au Russe : « De nous trois, je suis le seul qui puisse à tout moment être renversé par les représentants de mon pays, et j’en suis fier. ».
Dans ce jeu d’échecs sans merci, des alliances se renforcent, telle celle de la France et de la Grande-Bretagne, cette dernière qui a déjà promis en 1940 en pleine tourmente : « We shall restore France in her dignity and greatness.» Ceux qui regardent l’Europe en ce mois de février 1945 voient des ruines matérielles. Les plus perspicaces en voient d’autres plus graves encore : les ruines politiques qui, après le silence des canons, submergeront le monde.
Le cas de la Pologne accapare l’attention des pays participants. À Churchill pour qui, l’intégrité territoriale polonaise, sa liberté politique, sa restauration intégrale sont une question d’honneur, Staline rétorque que pour l’URSS, la Pologne est une question de vie ou de mort. Tout le monde a compris qu’il voulait, ni plus ni moins, en faire un satellite, un pays bouclier inféodé au totalitarisme soviétique. Ce qui est vrai pour la Pologne l’est aussi pour tous les autres pays d’Europe de l’Est, balkaniques et danubiens. Staline est d’un réalisme à toute épreuve : Pour lui les armées portent avec elles l’idéologie des nations auxquelles elles appartiennent. Tout ce qui aura été libéré par le drapeau rouge sera rouge. Le reste, provisoirement, ne l’intéresse pas…
Rétro pêle-mêle
Le théâtre humanitaire à travers Landy Vola Fotsy. Un nom est indissociable du théâtre malgache des années 90 et de la première décennie 2000 : celui de Landy Vola Fotsy, managé par Doly Rakotovao, un ancien de Bordeaux où il a fait ses études de philosophie au lendemain de Mai 68. Il en a gardé une aversion viscérale pour l’embrigadement politique, et une ouverture sur toutes les cultures sans pour autant renier la sienne. À preuve, il a osé programmer « Le Roi et l’oiseau » de Prévert à… Ambovombe (région Androy) en mode ciné-théâtre : il s’agit, en quelque sorte, de couper la bande son d’un film et de confier tout ce qui est bruitage, musique, et dialogue à des comédiens évoluant en live.

Un acteur de Landy Vola Fotsy descendant dans la salle pour jouer au milieu des spectateurs.
À partir de 1995, Landy Vola Fotsy ajoute le théâtre « humanitaire » à son… arc, véhiculant à un public rural souvent analphabète des messages sur l’hygiène, la fréquentation des Centres de santé, la scolarisation… Mine de rien, il faut des trésors d’imagination pour espérer atteindre ses cibles. En retour, les comédiens sont logés chez l’habitant, et « payés » en partageant la table, pardon, l’humble natte des paysans.
Cultivant ses relations extérieures, il entretient des échanges notamment avec le Centre dramatique de La Réunion, la Compagnie Vincent Colin de Paris, ou le Collectif 12 de Mante-la-Jolie. Correspondant de France 3 pour l’émission « Faut pas rêver », Doly a personnellement participé à de nombreux reportages sur des sujets aussi divers que Bemaraha, les pêcheurs Vezo, le taxi-brousse, ou les filles de joie qui « dansent sur un volcan sans le savoir ». Cet infatigable travailleur se définit comme « un fainéant qui adore aller à la pêche et déteste les urgences ».
Lettres sans frontières
L’Encyclopédie (1751)
In Tome 1
L’autorité politique
Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle. Mais la puissance paternelle a ses bornes et, dans l’état de nature, elle finit aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature.
La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c’est la loi du plus fort.
Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature. C’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis. Mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler. Et celui qui se l’était arrogé, devenant alors prince, cesse d’être tyran.
La puissance, qui vient du consentement des peuples, suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites. Car l’homme ne peut ni ne doit se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient en entier : c’est Dieu dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet, pour le bien commun et le maintien de la société, que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux. Mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du créateur. Toute autre soumission est un véritable crime d’idolâtrie.
Photos (sauf spécifiée) : Archives personnelles de Pela Ravalitera – AFP.