Les débuts furent quelque peu laborieux. Entre le 12 septembre, date à laquelle l’Express de Madagascar avait annoncé en une des cas de morts suspectes de la peste pulmonaire, et le 4 octobre, jour où la peste est « entrée au conseil du gouvernement » également rapporté dans nos colonnes, il y a eu un flottement. Les autorités ont alors estimé que la situation a été « sous contrôle ». Puis les choses se sont enclenchées. Que ce soit au niveau de la sensibilisation et de la communication que celui du traitement, la lutte contre la peste est sur tous les fronts. Le plus difficile est de convaincre.
«C’est une guerre. » Le 12 octobre, relayant les propos du président de la République et ceux du Premier ministre, le ministre de la Santé publique, le Pr Mamy Lalatiana Andriamanarivo, a adopté un ton résolument belliciste en venant mobiliser ses troupes dans l’amphithéâtre du Centre hospitalier universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavalona ( CHU JRA) : deux cent cinquante membres du personnel de la santé, plus de deux cents paramédicaux et une cinquantaine de médecins envoyés au front. Ils ont été appelés pour renforcer les équipes déjà présentes sur le terrain pour lutter contre la peste.
Le docteur Manitra Rakotoarivony, directeur de la Promotion de la santé, a été chargé de briefer les missionnaires. Power point du résumé de la situation, avec les dernières statistiques à l’appui, le responsable a dispensé ses conseils. « Le sommeil est très important. Il ne faut pas le négliger. Le directeur régional de la santé de la région Sud-Est et son chauffeur ont été touchés par l’épidémie. Je suis convaincu de l’extrême compétence de notre collègue, mais la fatigue, par un simple et court moment d’inattention, nous fait vite baisser la garde. Ne perdez pas cela de vue. » Le verbe facile, la parole fluide et un charisme certain, l’homme s’exprime sans difficulté devant un auditoire qui lui est certes familier. Et il rassure. « Vous n’irez pas sur le terrain sans protections, promet-il. Elles vous seront fournies. Ce sont des protections pour le visage, les mains, la poitrine. » Puis il ajoute : « Si vous vous demandez pourquoi le dos n’est pas pris en compte, c’est parce qu’il faut toujours faire face à l’adversité. »
Cafouillage
Andry (le prénom a été changé à la demande de la personne), paramédical, fait partie de ceux qui ont été mobilisés. Il a été notifié il y a une semaine. Habituellement, à cette époque de l’année, il devrait déjà être en train d’administrer des vermifuges et des vitamines, ou encore des vaccins contre la polio, au centre de santé de base (CSB) où il travaille. « Tout a été stoppé. La peste est en ce moment la priorité. » Il s’occupe de tracer les cas suspects. « Oui, le travail est dur », admet-il. « En temps normal, j’arrive au travail à 9 heures et en sors à 16 heures. Aujourd’hui, en partant de chez moi à 6 heures du matin, je ne suis pas sûr de rentrer à 20 heures. » La partie la plus difficile est la « gestion des cafouillages », comme il dit. « Lorsque nous sommes obligés d’appeler une ambulance, même pour une simple vérification, la personne concernée n’est pas forcément à l’aise avec cela. Il y a le regard des autres. » Il raconte le cas d’un de ses collègues confronté à une famille à Avaradoha qui n’a pas voulu donner le corps de leur défunt. «Pourquoi n’avez-vous pas fait la même chose à la dépouille du président Albert Zafy? Parce que nous sommes de petites gens, vous vous permettez de nous harceler », lui ont-ils répondu. Lorsqu’il descend dans les quartiers, Andry est toujours accompagné d’un agent communautaire. « Sinon les gens ne vous font pas confiance», affirme-t-il. Sur le terrain, il se bat contre les rumeurs aussi. « Les gens disent que les corps enlevés ont été dépouillés de tous leurs organes. » Il prend des médicaments : quatorze plaquettes pendant sept jours. Il dit connaître un médecin-chef qui lui en fournit car « c’est interdit ». Et quand on lui fait remarquer que c’est pour éviter la résistance aux antibiotiques, il répond simplement : « Oui, je le sais. Les médecins le disent, mais prendre ces médicaments me permet de rejoindre sereinement mon travail. »
Auprès de ces agents du ministère, des organisations comme Médecins du monde apportent également leur aide et informent sur les réseaux sociaux le renforcement de ses effectifs à Madagascar pour lutter contre la maladie. Il en est de même pour la Croix Rouge malagasy qui « mobilise plus de sept cents volontaires. »
Dès l’enclenchement de la riposte, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé un don de 1,2 million de doses d’antibiotiques et a remis des équipements, des intrants, et du matériel au président de la République. L’Institut Pasteur de Madagascar a fourni, depuis le 27 septembre, plus de deux mille sept cents Test Diagnostique Rapide (TDR) à Antananarivo et à Toamasina. Sur son compte twitter, l’Institut assure qu’à ce jour, il n’y a pas de rupture de stocks.

L’enlèvement des corps, le difficile travail des agents du bureau municipal d’hygiène.
La double peine
La présence des forces de l’Emmoreg lors de l’enlèvement par le Bureau municipal d’hygiène d’une dépouille contaminée par la peste est désormais une norme. Des cas de heurts avec les forces de l’ordre, de vols de cadavres, de polémiques sur la profanation de tel ou tel site sacré sont régulièrement rapportés dans les médias. Les rapports que les Malgaches entretiennent avec la mort sot particuliers. La mort n’est pas considérée comme une fin. Elle est le passage permettant à l’être de passer du corporel au spirituel. Un changement d’état et de statut s’opère.
Ce rapport intrigue autant qu’il fascine. En témoigne, un reportage que la BBC a consacré au rite du famadihana, le retournement des morts, où « une femme danse avec la dépouille mortelle de son parent », décrit-on. Considéré comme étant un des facteurs de propagation de la peste, et bien qu’en perte de vitesse - contraintes économiques oblige- ce rite continue d’être pratiqué par la population principalement issue des Hautes-terres. À ce désir de respecter la tradition s’ajoute la peur d’être banni du tombeau familial, sanction suprême. D’où les heures de négociations consacrées par les agents de la BMH lors de l’enlèvement d’un corps à sa famille. Négociations qui souvent tournent à l’affrontement.
Fanomezantsoa Rakotobe, sociologue, ne s’étonne pas du phénomène. « Il y a une crise d’identité chez le Malgache. Dans le contexte d’extrême pauvreté où nous nous trouvons actuellement, la tradition reste le seul point de repère. Le respect de la coutume procure une sécurité psychique chez l’individu, et constitue souvent le seul moyen pour lui de garder son équilibre au sein de la société. La personne n’a plus la force de s’opposer à la maladie alors elle s’oppose à l’État. »
Dr Manitra – « Nous sommes dans une courbe descendante »
Le directeur de la promotion de la santé fait un bilan à mi-parcours de la riposte.
Pourquoi les cas de peste pulmonaires sont-ils plus nombreux cette année ?
Nous savons que la peste est une maladie des rongeurs. Ces animaux se transmettent la maladie par le biais de leurs puces. Ceux qui ne sont pas assez forts pour la combattre, meurent. Mais d’autres rongeurs sont plus résistants, voilà pourquoi la maladie est présente toute l’année. La peste pulmonaire, elle, n’a plus besoin de ces puces. Elle peut être transmise directement d’homme à homme. Si l’on se réfère aux statistiques, en nombre absolu, chaque année les cas constatés tournent autour de cinq cents. Il s’agit dans la grande majorité de peste bubonique, la forme la plus courante constatée à Madagascar. On le voit dans les manuels scolaires, ce sont essentiellement les symptômes de la peste bubonique qui sont décrits. Le cas de peste pulmonaire a été favorisé par la réticence de certains malades à se faire soigner. Un patient atteint de la peste bubonique n’est pas allé se soigner dans un centre de santé. La maladie a évolué et s’est transformée en peste septicémique (Ndlr : qui atteint le sang) puis en peste pulmonaire. Cette année, on parle aussi de peste urbaine. La maladie, dite de la pauvreté, touche une population qui ne correspond pas forcément au « profil type ».
Pourquoi d’ailleurs ? Pourquoi ceux qui dorment dans la rue et/ou qui vivent parmi les immondices ne sont finalement pas plus atteints que d’autres ?
La saleté n’explique pas tout. Il faut la présence de trois déterminants pour que la maladie puisse être transmise : la saleté, les puces et la bactérie. Les rongeurs, d’où viennent ces puces, ne sont pas non plus tous porteurs de la bactérie. Si l’un de ces éléments n’est pas présent, la peste bubonique ne peut pas être transmise. Même si, comme nous le savons, la peste pulmonaire se transmet d’homme à homme, si une personne n’est pas entrée en contact avec une personne infectée, elle ne peut pas attraper la maladie. La bactérie ne vise donc pas une population spécifique.
L’importance de l’épidémie a-t-elle été sous estimée ?
Pas du tout. On ne peut vraiment pas dire cela. Il est vrai que nous ne nous attendions pas à un tel taux élevé de cas de peste pulmonaire, mais dès que la lutte a été enclenchée, les chiffres ont raconté une autre histoire. Nous avons, chaque année, un plan de riposte contre la peste, dressé selon la situation épidémiologique à Madagascar. Pour mieux appréhender une situation, il faut d’abord se référer à celles déjà vécues, les changements de la stratégie se font bien évidemment en fonction de la situation qui se présente. Nous surveillons chaque année treize districts. Les derniers à avoir intégré la liste des régions mis sous surveillance sont Ambilobe et Ambanja. Généralement, le développement de cette maladie se fait dans des zones plutôt froides. Mais du fait de la mobilité de la population, la peste s’étend d’autres régions. Donc vous le voyez, il n’y a pas de science exacte en matière de santé publique.
Où en sommes-nous de la riposte ?
Je voudrais d’abord préciser une chose. Madagascar n’a pas hésité à déclarer la peste. C’est ainsi que nous pouvons bénéficier de l’aide de partenaires étrangers. Pour la crise que nous sommes en train de vivre, nous bénéficions d’appuis logistiques et techniques en matière de sensibilisation et de communication. Nous pouvons ainsi voir et écouter des spots sur les différents canaux audiovisuels, sur internet également. Pour ne pas contaminer d’autres personnes, le malade doit limiter ses déplacements, éviter les transports en commun. C’est pourquoi nous avons obtenu des ambulances pour les six arrondissements d’Antananarivo, et quatre à Toamasina. Des centres de tri ont été définis et mis en place. Les centres de santé de base sont, en premier, les lieux où les personnes présentant des signes évocateurs peuvent immédiatement se rendre. Si les symptômes sont confirmés, la personne est immédiatement transportée par ambulance dans les centres de traitement, soit les centres hospitaliers. Elle y reste pour suivre huit jours de traitement. On lui administrera des injectables toutes les trois heures. Ce qui, je vous le concède, est particulièrement pénible. Après trois à cinq jours, si le traitement a été correctement suivi et que l’on voit qu’il n’est plus susceptible de contaminer d’autres personnes, le malade est redirigé vers un autre centre hospitalier dit de désengorgement. Je peux donc affirmer que le plan de riposte est actuellement complet.
. Le 10 octobre, le compte twitter de la cellule de communication de la présidence de la République affirme que le taux de propagation de la maladie est en baisse. Le confirmez-vous?
Il fut un moment où nous avions eu une dizaine de décès par jour à Antananarivo. Aujourd’hui, ce nombre se situe autour de trois. Le pic épidémique a été atteint au cours des mois d’août et septembre. Nous sommes maintenant sur une courbe descendante. Mon souhait serait que ceux qui présentent des signes de la maladie rejoignent au plus vite les centres de santé. Si chacun de nous se conforme à cette directive, je peux vous affirmer que nous pouvons venir à bout de cette épidémie. Mais nous devons redoubler de vigilance, car nous avons affaire à la peste pulmonaire.
Cartographie deS 899 cas de peste notifiés au LCP du 01/08/2017 au 17/102/2017, selon le district de résidence
L’Institut Pasteur de Madagascar (IPM) précise que les résultats diffèrent de celle de la Direction de la Veille sanitaire et de la surveillance épidémiologique (DVSSE) du ministère de la Santé publique car la DVSSE inclut des cas « alerte » (suspicion clinique avant résultats biologiques). Il existe un délai entre la déclaration à la DVSSE et l’acheminement des prélèvements biologiques à l’IPM et donc le résultat des analyses.
L’erreur est de minimiser la communication
« La particularité de cette saison pesteuse, du point de vue communication, c’est la rapidité avec laquelle l’inquiétude s’est installée : plus de deux cents à trois cents publications et réactions sur les réseaux sociaux dès la première journée où les premiers cas sont sortis dans la presse. Madagascar est apparu à plusieurs reprises à la tête des Trending Topics au cours des week-ends du 29 septembre et du 2 octobre. » Tel est le constat fait par l’Institut Pasteur de Madagascar (IPM) lorsque l’Express de Madagascar a demandé à ses communicants la manière dont ils ont géré cette crise. « À l’Institut Pasteur de Madagascar, via sa Cellule Communication, une veille médiatique est toujours active tout au long de l’année, mais en période de crise comme celle-ci, nous redoublons de vigilance quant aux informations qui circulent dans les médias. » Pris à partie sur les réseaux sociaux, victimes des « fake news », ces fausses nouvelles dont le partage et la fabrication sont désormais courants sur le net, l’IPM, après avoir posté un démenti sur twitter, a décidé de publier une fiche d’information « pour fournir des informations détaillées sur la peste. Car finalement, bien que la peste soit un sujet régulièrement présent dans la presse, elle reste encore une maladie méconnue du public, d’où la facilité avec laquelle ces rumeurs se sont propagées. » Les internautes malgaches qui sont d’ailleurs, avides d’informations fiables sur le sujet, ont ainsi très vite rejoint le compte twitter de l’Institut. En quelques jours, le nombre de followers du compte est monté, approximativement, de cent cinquante à plus de trois cents. « Les leçons apprises des crises sanitaires antérieures dans d’autres pays peuvent être tirées pour éviter de refaire la même erreur en minimisant le rôle de la communication », estiment les communicants de l’IPM.
La prévention par le vaccin abandonnée
Dans un dossier consacré à la peste, l’Institut Pasteur indique que la prévention par la vaccination a été abandonnée car les premiers vaccins entraînaient des effets indésirables, parfois sévères. Par la suite, d’autres vaccins ont été développés, mais ils ne sont pas efficaces sur les formes pulmonaires. Actuellement, plusieurs vaccins sont à l’étude, mais doivent encore être validés chez l’homme. À l’Institut Pasteur, un candidat vaccin contre la peste bubonique et pulmonaire a été breveté en 2014. La prochaine étape consiste à la phase de tests précliniques. Pour l’instant, le traitement aux antibiotiques reste le seul remède efficace. Les chercheurs de l’établissement ajoutent que la chimioprophylaxie au moyen de ces mêmes antibiotiques, administrés précocement, est en général d’une très bonne efficacité pour l’entourage immédiat des sujets atteints de peste.
Textes : Rondro Ramamonjisoa
Photos : Claude Rakotobe