Entre le traitement de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer et les relations entre l’État et l’Église catholique, Tom Andriamanoro propose dans sa chronique hebdomadaire d’autres sujets comme les villes touristiques de l’année, le penseur qui dérange et un extrait de « Le livre errant » de Jean-Marie Kerwich.
Santé – Quand la guérison est dans la tête…
Le paysage thérapeutique malgache est certainement un des plus fournis au monde, car il ne se limite pas à la simple dichotomie entre la médecine moderne et le savoir-faire héréditaire des tradipraticiens, lesquels sont servis par la riche biodiversité de l’île dont l’inventaire est encore loin d’être bouclé. À côté des utilisateurs de plantes médicinales, les « mpanotra » ou masseurs continuent eux aussi à « guérir toutes les maladies » (manasitrana ny aretina rehetra). L’un d’eux s’est même permis un jour de remettre à sa place un médecin qui l’accusait de charlatanisme : « C’est votre avis, docteur, mais pouvez-vous me dire pourquoi il y a des morgues dans les hôpitaux ? » Autre école et autres pratiques, des publicités vantent ouvertement les pouvoirs de ceux qui se qualifient de « maîtres », certains se prévalant de pouvoir faire intervenir des êtres de légende comme les « zazavavindrano » (ndlr : nymphes des eaux). Vrai, faux ? La vraie étroitesse d’esprit serait de croire que tous leurs clients se font berner, car les cas de guérison sont bien réels. Des thérapies venues d’ailleurs, surtout d’Asie, ont aussi leur segment de marché, elles sont généralement chères et se situent à mi-chemin entre la science et l’ésotérisme. Le recours à la puissance divine est enfin très présent par le biais des délivrances et autres impositions de mains, notamment pour les cas très compliqués devant lesquels la médecine moderne est impuissante.
Une kinésithérapeute malgache, diplômée d’État, a pour sa part lancé il y a quelques années ce qu’elle appelle la stimulithérapie cérébrale. Pour reprendre des passages de sa brochure explicative, cette expression se rapporte au traitement des maladies en agissant au niveau de la tête. L’objectif est de faire connecter les neurones à travers le circuit de transmission nerveux appelé « médiateur chimique ». Cette méthode de traitement montre la supériorité de la tête par rapport aux autres parties du corps, car elle contient le cerveau, siège du système nerveux qui est le principal agent d’harmonisation du corps. Il est de ce fait possible de traiter toutes les maladies qui ont une interaction structurelle avec la tête. La méthode, pour laquelle la kiné utilise uniquement ses dix doigts, donne au malade une sensation sourde s’accompagnant parfois d’un mouvement involontaire. Le résultat, qui peut être vérifié médicalement, est qualifié « d’autoréparation ».
Était-elle en avance sur son temps, elle qui a dû essuyer les sarcasmes de certains éreinteurs bien au chaud dans leurs doctes certitudes ? Apparemment puisque, pour reprendre les termes du chercheur en neurosciences Michel Le Van Quyen, « une révolution est actuellement en marche et est sur le point de toucher tout le monde ». Il s’agit de la stimulation du cerveau par un courant électrique, pour soigner de nombreuses maladies via des casques à électrodes et des bandeaux connectés. Une dizaine d’hôpitaux français pratiquent déjà la stimulation cérébrale profonde sur des personnes atteintes de la maladie de Parkinson et, dans le monde, plus de cent mille patients ont ainsi été appareillés. Il s’agit, pour schématiser, d’implanter dans le cerveau deux électrodes reliées à un simulateur. Du courant de très faible intensité est alors directement diffusé au niveau d’une zone appelée noyau subthalamique. On ne sait pas encore avec précision comment agit cette stimulation, mais les résultats sont spectaculaires. Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) voient aussi s’ouvrir de nouveaux horizons puisque, confirmé par le chercheur Luc Mallet de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, « dans le cas de TOC sévères résistant à tous les traitements, on observe 70% de réponses positives ».
Concernant Alzheimer, les recherches n’en sont qu’à leur début. Il s’agirait en quelque sorte d’agir sur le moteur cérébral de la mémoire, le fornix, en le stimulant électriquement. Dans le cas des addictions à la drogue, le chemin est encore long car on en est encore à l’expérimentation sur des souris. Des indices positifs ont néanmoins été enregistrés, la stimulation permettant déjà de réduire le « craving », cette irrésistible pulsion poussant à prendre de la drogue. L’anorexie, une redoutable maladie psychiatrique bien connue des mannequins de mode réduits à ne plus avoir que la peau et les os, fonde aussi de grands espoirs sur la stimulation cérébrale profonde. Des chercheurs de l’université de Toronto ont planté leurs désormais célèbres électrodes sur vingt deux patientes gravement touchées, en ciblant la zone du cerveau liée à la dépression. Les résultats, encourageants, restent à confirmer.
Toutes ces interventions sont techniquement très encadrées, ce qui place la stimulation cérébrale actuelle, telle qu’elle est pratiquée dans les grands hôpitaux et centres de recherche, très loin des traitements manuels effectués par notre kinésithérapeute. Cela n’enlève en rien son mérite d’avoir été parmi les premiers à s’être focalisé sur cette zone privilégiée du corps humain, et ne remet pas en cause les résultats obtenus, ses patients pouvant en être témoins. Le cerveau est, en fait, une machine complexe, dont un seul millimètre cube de matière abrite entre 10 000 et 50 000 neurones, et un demi-milliard de terminaisons nerveuses. C’est tout un univers intérieur qui s’offre à une auto-découverte qui ne peut se faire que grâce aux ressources du cerveau lui-même …

Fethullah Gülen, le grand opposant au régime d’Erdogan, dans sa résidence en Pennsylvanie, aux États-Unis.
Monde – Fethullah Gülen, un penseur qui dérange
L’homme que le président turc présente comme étant un des plus puissants appuis du terrorisme mondial, ne vit pas reclus dans les montagnes entre le Pakistan et l’Afghanistan comme autrefois un certain Ben Laden. Il n’est pas non plus en Syrie ou quelque part au Nord Cameroun. Au contraire, il réside dans le dernier pays où un terroriste chercherait refuge : Fethullah Gülen, la bête noire d’Erdogan, est aux États-Unis. Et ni le président de ce pays dont on connait pourtant les idées fixes, ni les services secrets n’ont jamais pensé le cueillir comme un fruit mûr- facile !- encore moins l’extrader. Conclusion, le plus terroriste des deux compatriotes d’Ataturk n’est pas celui sur qui « l’autre » s’acharne, pour de pures raisons de politique intérieure.
Après les attentats de Londres et de Manchester, Fethullah Gülen est au contraire un des rares à avoir pointé un doigt accusateur sur l’inertie du monde musulman face à cette véritable perversion de leur religion qu’est Daesh. Car cela ne suffit pas de se donner bonne conscience en répétant à longueur de journée qu’Islam et islamisme, cela fait deux. Au contraire, comment l’Islam a-t-il pu enfanter pareil monstre ? La guerre à mener contre Daesh n’est pas seulement militaire. Si Mossoul tombe, et elle tombera, cela signifie-t-il qu’il n’y aura plus de jeunes radicalisés chez les zonards de Londres, de Paris, ou de Bruxelles ? « Nous devons vaincre les extrémistes meurtriers sur le champ de bataille des idées, et cela passe par une relecture de nos sources. » Cet autre volet de la bataille ne peut être mené par les Russes, les Américains, ou les Européens : elle est l’affaire des musulmans eux-mêmes, sans blindés ni raids aériens.
Fethullah Güllen parle de la nécessité pour les musulmans de renforcer ce qu’il appelle leur « système immunitaire contre l’extrémisme violent ». Cela passe par des actions concrètes à mener auprès des jeunes musulmans à qui il faut réapprendre le vrai esprit de leur Livre Saint, ainsi que leur place dans la société, fût-elle non islamique. Ce faisant, « nous leur donnerons les outils pour renforcer leur autonomie et sentir qu’ils font partie d’un projet qui donne du sens. Nous avons aussi le devoir de les aider à dialoguer avec les membres d’autres religions afin de favoriser la compréhension et le respect mutuel. Nous ne sommes pas seulement membres d’une communauté religieuse, mais également de la famille humaine ».
En assistant une fois incidemment à une sortie des classes au Collège Lumière International de Talatamaty, je me suis souvenu que le mouvement social « Hizmet » a fondé des centaines de centres de tutorat, d’établissements de santé, d’écoles laïques comme celle-là, un peu partout dans le monde. Où donc est le terrorisme dans tout cela, monsieur le Président ?
Tourisme – Les villes hots pots de l’année
C’est l’été et le temps des grandes migrations dans les marchés émetteurs de touristes lesquels, dans leur majorité, se trouvent concentrés dans l’hémisphère Nord. « On a été à … !» Une phrase rituelle qui se prononcera au retour avec, de préférence, la satisfaction d’avoir fait le meilleur choix. Il y a certes les destinations classiques dont l’attrait parait avoir atteint l’immuable. Mais à côté, d’autres pousses, pas nécessairement nouvelles mais qui se sont longtemps complues dans le ventre du peloton, bousculent les conventions, bien décidées à s’installer durablement dans la cour des Grands. Parfois même leurs noms sonnent étranges, car qui connait par exemple Debrecen, nonobstant son aloi de deuxième ville de Hongrie ? Debrecen n’en est qu’à ses débuts, mais les spécialistes des tendances la placent déjà parmi les « must » de l’année. On est ici en Bohême, et l’Histoire se décline de la grande église sur la place Kossuth au théâtre Csokonai sur fond de festivals de rue.

Une vue aérienne, du phare de Slyne Head au large de Galway en Irlande.
On n’en voudra à personne de ne pas connaître Galway, sur la côte ouest irlandaise. Par contre, il est, semble-t-il, impardonnable de n’en faire qu’une simple solution de rechange. Ville estudiantine, elle vit … à l’irlandaise au rythme de ses pubs où, dit-on, on tire la Guinness depuis plus de deux cents ans. Une commodité non négligeable, le continental peut s’y rendre pratiquement « en voiture », ou disons avec sa voiture, grâce aux navettes des Irish Ferries.
Pour rester toujours en Europe, deux villes créent une petite surprise : Hambourg, ancienne cité hanséatique qui a longtemps symbolisé la légendaire sévérité allemande. Elle a inauguré en janvier dernier sa nouvelle Philharmonie, une structure de verre et d’acier au prix, prétendent les mauvaises langues, de dérives budgétaires « Kolossal » ! Hambourg, ses clochers et les grues de son port qui, dans l’après-guerre, aurait été le plus rapide du monde. Et puis un autre port, cette fois français, Le Havre dont la présence au Top ten des hot spots touristiques 2017, transposé au PMU, aurait rapporté une fortune au turfiste. Son méga-évènement intitulé « Un été au Havre » a débuté le 27 mai pour ne se terminer que le 5 novembre. Au programme, « les Grandes Voiles » du 31 août au 3 septembre avec les plus beaux voiliers du monde. Il est vrai que la ville fête cette année son 500e anniversaire.

Le Philharmonic Hall (Elbphilharmonie) d’Hambourg en Allemagne,illuminé par des lumières bleues.
En Amérique, on racontera tout ce qu’on voudra de Mexico au chapitre de l’insécurité, de la drogue, et de la pollution, la mégapole de 22 millions d’habitants reste une destination touristique majeure. Une des villes les plus branchées d’Outre-Atlantique avec sa faune de créateurs de tous bords, d’artistes, de designers, et surtout de grands cuisiniers, à l’image de Elena Reygadas, élue meilleure Chef d’Amérique latine en 2014. Quant à Dallas, finie la légende du cowboy dégrossi, la ville a viré sa cuti culturelle et ressemble plus à Chicago ou à New-York. Ici les milliardaires se passionnent plus pour l’architecture urbaine et les œuvres d’art que pour la lointaine époque héroïque du cheval…
Passons plus rapidement sur Chandigarh, la capitale du Pendjab inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, Pistoia en Toscane sacrée capitale italienne de la culture en 2017, ou encore Kanazawa, une cité millénaire de plus en plus visitée en bordure de la mer du Japon, et scrutons l’Afrique. Aucune ville malgache n’a la moindre chance, puisqu’elles ne sont que des points d’éclatement vers leur arrière-pays. Sinon, un seul nom émerge dans le classement de « Lonely Planet » : la ville sud-africaine du Cap, dont les restaurants seraient les plus créatifs du continent. Une des plus belles plages du monde, celle de Clifton, au-delà de Table Mountain que l’on peut escalader à pied ou dans le confort d’un câble-car. Les vignobles à deux pas et, en septembre, l’ouverture du Zeitz Museum of Contemporary Art of Africa, aménagé dans un ancien silo à grains et qui sera le plus grand musée d’art contemporain africain au monde. Mais ce que les guides touristiques s’évertuent à cacher aux visiteurs, ce sont les campements lépreux parquant les déshérités et les laissés-pour-compte. Une plaie honteuse pour la belle ville du Cap qui, au lieu de construire des logements sociaux, opte pour un agrandissement exponentiel de leur superficie. Et c’est bien là le dramatique revers du tourisme : celui de favoriser la perpétuation de deux mondes, à la fois parallèles et aux antipodes l’une de l’autre.
Rétro pêle-mêle
Les relations entre l’État malgache et l’Église catholique n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille, après la disparition du cardinal Gaëtan Razafindratandra. Le premier accroc a été une perquisition musclée menée dans un monastère fianarois par des hommes encagoulés à la recherche de Pety Rakotoniaina. La tête de l’ancien compagnon de lutte du vainqueur de 2002 était mise à prix pour un demi-milliard FMG. Autre péripétie, au début de l’année 2007 après les élections présidentielles, le Premier ministre catholique Jacques Sylla était évincé, ce qui mettait une parenthèse au traditionnel dosage des confessions à la tête des institutions. La hiérarchie catholique avait critiqué le referendum constitutionnel, le jugeant prématuré et affirmant que le faible taux de participation lui avait donné raison.

Le Conseil épiscopal au cours d’une réunion à Antanimena.
Mais la goutte d’eau de trop a été l’expulsion, le 12 mai 2007, du prêtre jésuite Sylvain Urfer, longtemps curé de la paroisse d’Anosibe, et qui n’était pas en bons termes avec la commune urbaine de la capitale. Il avait par exemple été écarté des réunions du comité préparatoire travaillant sur la réhabilitation de la route traversant ce quartier populeux. Après son expulsion, les autorités catholiques demandèrent en vain des explications, mais durent se contenter d’un rappel comme quoi l’ingérence des étrangers, qu’ils soient diplomates ou missionnaires, dans les affaires intérieures du pays, était inacceptable. La réponse du berger à la bergère était tout aussi ferme : les missionnaires ont le devoir d’agir en faveur de la justice et de l’équité. S’ils trouvent que ces valeurs sont en danger, qu’ils soient nationaux ou étrangers, ils doivent parler.
Le président du Sénat, Rajemison Rakotomaharo, déploya ses efforts pour recoller les bris, assistant par exemple à l’investiture de Mgr Jean-Claude Randrianarisoa, évêque de Miarinarivo. Mais le clergé catholique campa fermement sur ses positions. Dans une lettre pastorale, le Conseil des évêques reconnaissait que la coopération avec l’État n’avait pas apporté les fruits escomptés, et qu’il fallait trouver d’autres formes de relations.
Lettres sans frontières – Jean-Marie Kerwich – In Le livre errant
La Terre n’est qu’un caillou
Je suis le livre errant, le livre sans auteur. J’écris avec l’aide du vent qui tourne mes pages, avec l’aide du sang pourpre des feuilles des arbres. Je suis l’errance, l’errance qui sait tout. En fait je n’écris pas, je me promène, mes deux cœurs en chaque main, comme des valises spirituelles. Les pays sont devenus si proches qu’il est plus difficile d’enjamber une flaque d’eau que de voyager jusqu’aux Indes. Mes pensées sont des Juifs qui se cachent. Le son de leurs violons est si pur qu’il fait peur aux modernes nuisances sonores.
Que vais-je écrire sur cette page blanche ? On ne sait pas quand l’âme vous force à prendre la plume. C’est une sorte d’esclavagisme spirituel. D’ailleurs pour qui écrire puisque l’écriture a déjà tout écrit ? L’admirateur et l’admiré sont morts. Il ne reste plus que quelques branches qui jonchent la chaussée et regardent la vie marcher pieds nus. Je ne suis pas écrivain, juste le secrétaire de Dieu qui dicte sa pensée. Il sait que je n’ai pas la foi, c’est pour cela que je lui conviens. Que lui importe que je sois inconnu. Il sait qu’une bouche récitera mes poèmes après ma mort.
J’ai trop vu ce vieux soleil ridé. Chaque poème est un long désert à traverser, chaque phrase une dune à franchir. J’écris à l’intérieur de ma chair. Ma révolte est dans mon chant. Il y a trois arbres angoissés en face de moi. Ils ondulent et je sens leur cœur malade battre dans la paix de la nuit. Ils ont enlevé les pavés de la rue pour refaire la canalisation. La terre respire comme un pauvre taulard à qui l’on donne quinze minutes de ciel à contempler. En ce monde tout souffre, même le bourreau. Le terrassier qui remet les pavés sur la terre lui aussi souffre. N’oublie jamais que la Terre n’est qu’un caillou mais qu’elle est revêtue de chair humaine.
Assis au bord d’un trottoir, comme un mendiant démuni tendant sa main, ma vie s’arrête ici. À quoi bon écrire pour devenir, dans le meilleur des cas, le nom d’une rue menant elle-même à la mort ? D’ailleurs, je n’ai plus besoin d’écrire car je suis devenu l’enfant de la Création. J’aime mieux vivre seulement, sans rien espérer. J’aime sans aimer. Je n’ai plus qu’à m’asseoir au pied d’un arbre et le livre s’achèvera tout seul. Puis, avec l’aide de la brise, je serai publié aux quatre vents. Je vois le livre errant emporté sur l’eau de la rigole du trottoir. Pas un nom, pas un titre sur la couverture. Il me jette un dernier regard. Puis un éboueur le happe du bout de sa pelle et le jette dans la benne à ordures. C’est fini.
Textes: Tom Andriamanoro
Photos: L’Express de Madagascar – AFP