Au nom de la realpolitik et de la stabilité, la communauté internationale en général, et les grandes puissances en particulier, tolèrent certains dictateurs. Quant aux lépreux, ils n’ont pas leur place au sein de la société, à Madagascar comme au temps de Jésus. Finalement, Bemiray traite, aujourd’hui, des sujets certes plus révoltants mais toujours passionnants et intéressants.

L’attribution du Prix Nobel de la Paix 2015 au Quartet tunisien du dialogue national cache mal l’hypocrisie des grandes puissances avec leur « démocratie » sélective.
Monde – Bienvenue en démocrature !
New York, la statue de la Liberté. « Ceux qui abandonnent la liberté pour acheter une sécurité temporaire ne méritent ni la liberté, ni la sécurité ». Cette phrase de Benjamin Franklin, qui sonne comme une profession de foi, mais aussi comme un message intemporel aux peuples du monde, est inscrite sur une plaque insérée dans le socle de l’emblématique monument. Qu’en est-il resté, quand le nouveau credo des relations internationales se résume à deux mots dénués de toute éthique et de tout idéal : Realpolitik et stabilité La Baule n’a été qu’une parenthèse dans l’image donnée d’elles-mêmes par les grandes puissances, elles sont revenues, dans leur réalisme vis-à-vis des petits pays, à cette phrase de Franklin D. Roosevelt quand il parlait du dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza : « C’est peut-être un salopard, mais c’est notre salopard ». Manfred Weber, président du groupe du Parti populaire européen (centre droit) au Parlement européen ne dit pas autre chose : « Nous devons reconnaître que le plus important pour nous, c’est la stabilité ». C’est dans ce puits à l’ombre des bananiers que les dictatures tropicales s’abreuvent dans leur quête de longévité, persuadées de pouvoir bénéficier auprès de la Communauté internationale d’une « omerta » complice et sécurisante, sous couvert de démocratie. Car la morale passe, mais les mots restent.
Nous sommes au pays de la Reine de Saba, à la civilisation plusieurs fois millénaire. Ici, le gouvernement éthiopien réprime dans le sang et sans état d’âme les réactions survenant fréquemment dans les régions Oromo dans le Centre et l’Ouest, ou Amhara dans le Nord. Les motifs les plus fantaisistes, arrangeant les gouvernants, sont avancés alors que le problème est autrement plus profond : le pays est sous la férule d’une minorité tigréenne qui ne représente pas plus de 6% de la population éthiopienne, un schéma que l’on retrouve à l’identique dans tout régime politique minoritaire, mais qui a su se forger un appareil d’État implacable et sans partage. L’Éthiopie connait sur le papier une croissance économique loin, très loin de bénéficier à tous. Les terres arables des Oromo majoritaires, par exemple, sont systématiquement bradées pour attirer les investisseurs étrangers, souvent saoudiens et chinois. La répression menée d’une main de fer ne suscite guère de réaction dans les capitales occidentales lesquelles ont besoin de la dictature tigréenne pour « stabiliser » la région. L’Union africaine ne pipe pas mot non plus, alors que les massacres se perpètrent pratiquement sous les fenêtres de son siège d’Addis-Abeba, en plein pays Oromo.

Le Président du Tchad, Idriss Deby Itno (2è à g.), « l’intouchable ami
de la France », a participé au Sommet de la Francophonie d’Antananarivo, les 26 et 27 novembre derniers.
Intouchable
Un autre pays de vieille civilisation, mais en plein renouveau du processus liberticide sous l’œil bienveillant de la Communauté internationale et de sa realpolitik, l’Égypte. Mohamed Morsi, des Frères Musulmans, y a été l’unique dirigeant démocratiquement élu en 5 000 ans d’histoire égyptienne. Il a été condamné à mort par un tribunal fantoche, et 40 000 prisonniers politiques croupissent toujours derrière les barreaux. Et pourtant, en août 2013, le Secrétaire d’État John Kerry affirme sans rire que « le maréchal Abdelfattah Al-Sissi est en train de rétablir la démocratie ». L’année suivante, il légitime encore plus l’autocrate égyptien dont il salue « le rôle essentiel dans la région ». En avril 2015, le Président Obama lève le gel des livraisons d’armes lourdes à l’Egypte, suspendues depuis 2013. La realpolitik, encore et toujours. On ne s’étonnera pas de l’ironie du Chef d’Al Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, dénonçant la naïveté des Frères Musulmans qui ont cru à la démocratie occidentale en participant aux élections…
Les exemples pourraient se multiplier presque à l’infini. Que dire de la Turquie rebaptisée Erdoganistan par un caricaturiste inspiré Bachar El-Assad, d’abord voué aux gémonies, n’est-t-il pas désormais admis comme pouvant, ou même devant faire partie de la solution syrienne En Afrique, Idriss Deby Itno, au pouvoir depuis 1990, exclut toute idée d’alternance, et refuse qu’on lui demande des nouvelles d’opposants disparus. Cet ancien collaborateur d’Hissène Habré aux pires heures de la tyrannie est « un intouchable ami de la France ». Et il n’est pas le seul, au nom de la stabilité et de la realpolitik.
Allant plus loin que Franklin Roosevelt couvant « son » Somoza, l’impression est que les dirigeants occidentaux sont retombés dans le piège de la Guerre Froide en étant désormais prêts à soutenir n’importe quel autocrate, confirmé ou en herbe, au nom de la sécurité et de l’ordre. Le Wall Street Journal a récemment eu cette réflexion : « Les hommes politiques occidentaux axent leur politique étrangère davantage sur les intérêts stratégiques que sur la démocratie et les Droits de l’homme ». Cela risque de s’avérer une option à courte vue, une vraie stabilité digne de ce nom ne pouvant venir de la dictature, ou s’y appuyer. La Tunisie a su rester fidèle aux idéaux de son printemps, contrairement à d’autres. Son « Quartet du dialogue national », issu de la société civile, a été récompensé en 2015 par le Prix Nobel de la Paix. Il est composé de l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT), du Patronat tunisien (UTICA), de l’Ordre des avocats, et de la Ligue tunisienne des Droits de l’homme. Un « toko… efatra mahamasa-mahandro » en quelque sorte, qui a su démontrer l’efficacité et la force d’une société civile combative et créative. Ces ingrédients existent dans d’autres pays actuellement étouffés, tout espoir n’est pas perdu.

Les personnes âgées sont de moins en moins respectées au sein de la société malgache.
Démographie – Près de dix milliards d’habitants sur terre en 2050
Trente-quatre ans ça passe vite, c’est trois fois rien, c’est moins de temps qu’il n’en faut à un bail conclu avec des obsédés du carat aux yeux bridés pour arriver à échéance. Eh bien, d’après un rapport du Population Reference Bureau américain, le monde comptera 9,9 milliards d’habitants en 2050, contre 7,6 milliards aujourd’hui. L’évolution est encore plus rapide, et plus inquiétante, que les prévisions les plus alarmistes des experts. L’Afrique est plus particulièrement concernée, car pour ne prendre que l’exemple du Nigeria qui est déjà le pays le plus peuplé du continent, ce géant verra sa population passer plus que du simple au double. Comment parviendra-t-elle à nourrir ses 398 millions d’habitants (contre 187 actuellement), déjà qu’avec son pétrole dont les Nigérians ont depuis longtemps désespéré de sentir l’impact sur leur marmite, c’est le pays où il y a le plus de queues devant les stations d’essence
Des bouleversements auront lieu dans la hiérarchie du (sur)peuplement : bien qu’ayant adouci sa politique de l’enfant unique, la Chine cèdera la première place à l’Inde, sur le score de 1,708 milliard contre 1,344 milliard. Les États-Unis resteront stables à la troisième place, à égalité avec le Nigeria. Une véritable révolution interne aura par contre lieu dans la composante de la population américaine: en 1967, elle comptait 84% de Blancs, 11% de Noirs, 4% d’Hispaniques, et 1% d’Asiatiques. En nette régression, la communauté blanche est passée à 67% dans la première décennie de 2000, pour se retrouver probablement à 52% dès les années 2040. Les Hispaniques seront alors 22%, les Noirs 14%, et les Asiatiques 7%. De quoi donner des nuits blanches à Donald Trump dont l’ambition est de rendre à l’Amérique sa blancheur, pardon, sa grandeur. Blanc bonnet et bonnet grand…
Avec 226 millions d’habitants, le Brésil rétrogradera à la septième place, laissant le cinquième rang au plus grand pays musulman du monde, une Indonésie forte de ses futurs 360 millions d’habitants. Les Brésiliens trouveront devant eux le Pakistan (344 millions), lequel devra faire une croix définitive sur ses prétentions territoriales sur le Cachemire.
En attendant, et pour rester bien de notre temps, il y a des pays qui vieillissent dramatiquement bien. C’est le cas du Japon qui a atteint cette année le chiffre incroyable de 32 000 nouveaux centenaires, portant leur total à… 65 000 ! Est-ce une bénédiction ou au contraire une anomalie, quand on pense que Jeanne Calment qui fut pendant longtemps la doyenne des Français, ou les Malgaches fiers de leurs « petits enfants des genoux, de la plante du pied, ou des orteils » ne sont finalement que de respectables exceptions Le Japon compte aujourd’hui 10,5 millions d’octogénaires, soit plus que la population totale d’un pays comme la Suède. 25% de la population sont à la retraite, ce qui explique pourquoi l’économie japonaise ralentit depuis des décennies. Mais peu importe, le 19 septembre, jour du respect envers les personnes âgées, y est scrupuleusement observé. C’est l’occasion d’offrir une traditionnelle coupelle en argent aux centenaires, une délicate attention coûtant 1,88 millions d’euros au trésor public. Au Japon aussi, « quand on aime on compte pas ».

Deux lépreux sénégalais guéris reclus dans le village de Mballing (Sénégal).
Société – Anciens lépreux : quelle vie après l’enfer ?
Manankavaly. Il fut un temps où on frissonnait à la seule évocation de ce nom, celui d’un petit hameau à l’écart de la RN2, à une poignée de kilomètres de la capitale. Là se trouve une léproserie à qui certaines églises se faisaient un devoir de rendre une visite de réconfort, au moins une fois l’an avec quelques menus cadeaux. On craignait l’endroit plus encore qu’Anjanamasina réservée aux aliénés mentaux, car le spectacle courant de malades mutilés des membres ou défigurés, quémandant l’aumône dans les rues, en véhiculait une image de damnés. Une maladie atroce, la plus déshumanisante qui soit, qui commence pourtant par de simples petites taches bénignes sur la peau, qu’on finit par oublier jusqu’à ce qu’il soit trop tard…
Quel rapport avec ce voyage de professionnels du tourisme organisé il y a quelques années de cela dans la Sava, par l’Association Go To Madagascar conduite par sa présidente Sonja Gottlebe Une des plus belles régions de Madagascar, avec ses routes goudronnées, son poids économique au parfum de vanille, sa biodiversité, mais où on débarque un peu comme sur une île lointaine faute de liaisons terrestres correctes avec le reste du pays. Merci quand même à l’avion malgré son prix… Les Tour Opérateurs réceptifs sillonnèrent toute la région au fil d’un mémorable périple touristico-gastronomique, sans oublier un endroit sortant de l’ordinaire du tourisme, sous la conduite de Mme Marie-Hélène Kam Hyo, une personnalité respectée d’Antalaha : « Ma Montagne », un grand terrain en pente replanté par des anciens lépreux habitant le village de « Belfort » avec toute une gamme d’arbres fruitiers allant des papayers aux caramboles en passant par les orangers et les pamplemoussiers. L’incontournable vanille, les ananas, le cacao ont aussi leurs quartiers, sans oublier les essences précieuses bien chez elles dans la Sava. Leurs récoltes et la vente de plants fournissent aux anciens malades des revenus leur permettant d’être pratiquement autonomes. Avant de les quitter, les « Go To » plantèrent symboliquement des bébés bois de rose qu’ils reviendront admirer dans 200 ans : il faut en effet 50 ans pour obtenir un tronc de 20cm de diamètre…
Calvaire après guérison
Quel rapport avec Mballing, tout là-bas au Sénégal, au sud de Dakar La maladie, toujours la même, que les habitants de cette ancienne léproserie devenu un petit village ont fini par surmonter, malgré des stigmates à jamais indélébiles. Seulement, ici ils se sentent à l’écart dans leur « village de reclassement social » devenu un petit monde taillé pour eux et leurs familles. Et pourtant la vie y parait des plus normales, avec des mères préparant le petit déjeuner, et des maçons en train de construire une salle de classe. L’actuel chef de village se souvient de ses premiers jours à Mballing en 1955 : « les malades étaient agités quand on les traitait. Mon père les maitrisait quand on leur faisait des injections. Il est devenu le chef du village et se chargeait de la nourriture des malades ». Et de revenir au temps présent : « Avec l’évolution de la médecine, la lèpre a connu un recul dans ce village, beaucoup sont guéris. Nous sommes des pêcheurs, des agriculteurs, nous faisons de l’exploitation forestière et du petit commerce avec la transformation des produits halieutiques. Nous n’allons pas attendre que tout nous tombe du ciel. Nous faisons des activités génératrices d’argent ». Comme là-bas, sur Ma Montagne…
Pour cet autre villageois, son calvaire a paradoxalement débuté avec sa guérison : « Je me suis rendu à Dakar pour mendier, car c’était le seul moyen que j’avais trouvé pour nourrir ma famille. Chaque jour les policiers nous traquaient ». Finalement ils ont été chassés de la ville, et lui est retourné à Mballing. Ce qui révolte tous les anciens, c’est en fait cette appellation de village de reclassement social. « On nous l’a collée dessus, dans la forme et dans le fond nous n’en voulons plus. Nous voulons notre indépendance, nous sommes un village comme tous les autres. Du social, il y en a partout. Qu’on nous débarrasse de cette étiquette ».
Rétro pêle-mêle
Le Révérend Jeremiah Wright, un ancien « marine » devenu pasteur en 1972, était à la tête d’une minuscule communauté protestante de la banlieue de Chicago. Trente ans lui suffirent pour en faire la congrégation noire la plus puissante des États-Unis. Ses sermons étaient généralement structurés autour de la « théologie de la libération », revendiquant une inspiration négro-africaine du christianisme. Il lui arrivait lors de prêches incendiaires d’accuser le gouvernement américain de terrorisme d’État, de préjugés racistes, de responsabilité dans la propagation du Sida, et de bien d’autres plaies encore selon son inspiration du moment. Parmi ses ouailles, un jeune homme au physique longiligne, porté par sa foi, ne se privait pas pendant la louange de lever les bras au ciel, de taper dans ses mains, de prier à haute voix, comme n’importe quel converti de nos « Fiangonana zandriny ». À la veille de donner à sa carrière une tournure résolument politique au plus haut niveau, il dut néanmoins, non pas renier ses convictions, mais s’éloigner pour de bon de ce pasteur Wright qu’on cataloguait comme étant son mentor, et mettre fin à une proximité devenue encombrante. Mais toute l’église se souvient encore du frère Barack…

Les péroraisons du Rev.
Jeremiah Wright ont failli coûter cher à Barack Obama.
Chiffres de 2006 fournis par Interpol à l’appui, la principale tare de la société sud-africaine avec le Sida reste le niveau hors norme de la criminalité qui la gangrène : pour 100 000 habitants, il se commet en Afrique du Sud six fois plus de meurtres qu’aux États-Unis, et quarante fois plus qu’en France. Une baisse de 2% a, quand même été enregistrée par rapport Afrique à 2005, mais les braquages restent à la hausse, tout comme les attaques de convoyeurs de fonds qui ont augmenté de 74%. Le phénomène est essentiellement urbain, les villes les plus touchées étant celles de Johannesburg, du Cap, et de Durban. Les cours particuliers de comportement en cas d’attaque à la maison ou en voiture (35 braquages d’automobilistes par jour aux carrefours !) ont de ce fait un grand succès. Fuir, résister, ou laisser faire Il est en premier lieu conseillé de garder son calme, et ne jamais regarder son agresseur dans les yeux. A Jobourg comme à Tana, c’est une imprudence qui peut coûter la vie, car laissant penser au malfaiteur qu’il pourra être identifié plus tard. En tête des causes les plus citées de cette criminalité galopante figurent les inégalités sociales flagrantes, la déstructuration des familles due aux années d’apartheid, et aussi les « orphelins du Sida » pour qui la peur de la mort n’existe plus.
Textes : Tom Andriamanoro
Photos : L’Express de Madagascar – AFP