Les artisans locaux peinent à trouver leurs marques. Le marché est victime de la situation économique morose qui limite les investissements.
Une haute saison touristique décevante. Les artisans malgaches n’arrivent même plus à écouler leurs produits sur le marché. Monique Razafiarisoa, commerçante au marché Pochard en donne les raisons. « Elles sont multiples, à commencer par la dépréciation de l’ariary. Il s’ensuit l’augmentation progressive des prix de matières premières et donc la réduction de nos bénéfices. »
Auparavant, le coût de la planche de palissandre au producteur, d’un demi-mètre de longueur, était d’environ 50 000 ariary, et les artisans arrivaient à créer un article qui se vendait à 75 000 ariary. À l’heure actuelle, la même planche revient à 60 000 ariary sur le marché, mais les artisans n’en tirent que 70 000 ariary en produit fini. Une marge réduite de 5 000 ariary. « Il ne nous est pas possible d’aller au-delà de ce prix parce que le pouvoir d’achat des Malgaches est très limité alors que les touristes se font rares », précise-t-elle.
Certains artisans comme Elie Jean Rakotondrainibe, spécialisé dans le travail de la peau de crocodile, partage le même point de vue concernant la morosité du marché. Et d’insister : « Nous fabriquons différents produits, et si certains sont écoulés immédiatement, nous n’arrivons à vendre certaines de nos créations qu’au bout d’un an. » Les Malgaches apprécient les fruits de l’artisanat local, mais ils sont bloqués par la faiblesse de leur pouvoir d’achat. De leur côté, les artisans ne peuvent se permettre de vendre à perte.
Investissement
De même, la situation économique actuelle ne leur permet pas d’investir davantage. « Nous dégageons un très mince profit. Ainsi, il nous est difficile d’investir dans le matériel de production. » C’est dire que les outils utilisés restent rudimentaires et ainsi la fabrication de certains articles nécessitent beaucoup de temps, ce qui en augmente le prix.
Elie Jean Rakotondrainibe indique toutefois qu’à défaut, il essaie de trouver d’autres méthodes pour améliorer la qualité de ses produits. « Nous sommes une entreprise familiale, et si nous faisons sous-traiter certaines tâches, ou si nous investissons sur des instruments modernes, cela augmentera le coût de production. » Ils s’en tiennent donc aux outils rudimentaires qui nécessitent non seulement du temps, mais aussi des efforts physiques. Le résultat n’est pas toujours probant et les acheteurs ne sont pas toujours satisfaits.
Notre interlocuteur commente : « Nous améliorons la qualité des articles par le choix des matières premières. La peau verte de crocodile s’achète de 1 600 à 10 000 ariary le centimètre. » Il se fournit auprès de chasseurs de Port-Bergé et de Maintirano et vend les articles entre 5 000 et 400 000 ariary.
En général, les artisans exportent rarement. « La commande existe, mais elle est rare. L’année dernière, nous avons envoyé juste quatre-vingt articles vers les Comores ou Mayotte », poursuit un artisan-commerçant. Personnellement, Elie Jean Rakotondrainibe n’a pas encore de débouchés à l’extérieur, mais il est prêt à collaborer avec des opérateurs susceptibles de l’aider.
« La difficulté réside dans la corruption au niveau institutionnel. Les commerçants corrompus trouvent toujours des débouchés extérieurs alors que nous, qui sommes honnêtes, nous n’arrivons plus à écouler nos produits. Nous payons beaucoup de taxes à l’État alors que l’amélioration du secteur à Madagascar laisse à désirer », conclut Elie Jean Rakotondrainibe.
Douze filières
Malgré la contribution de 15% du PIB, l’artisanat est considéré comme un complément d’activité et de revenu à Madagascar. Et pourtant, on recense douze filières artisanales et deux millions de personnes qui vivent directement ou indirectement de l’artisanat. Le textile et l’habillement constituent 40% de la production et les fibres végétales représentent 12%. La taille de l’entreprise artisanale est, en général, très petite, employant six personnes. Dans la plupart des cas, elles sont d’ailleurs familiales. L’artisanat malgache fait partie du patrimoine national parce qu’il véhicule la culture nationale. C’est pourquoi, les artisans veulent avoir accès sans difficulté au financement et aux matières premières qui restent un obstacle pour créer des produits de qualité. Les artisans réclament aussi la réduction des impôts pour pouvoir intégrer le secteur formel.
Le marché américain s’ouvre à l’artisanat malgache
L’exportation sur le marché américain ne se limite pas aux produits textiles. L’African Growth and Opportunity Act, AGOA, donne l’opportunité aux artisans d’accéder au marché américain. Lors du Salon de Magic Show à Las Vegas en août, quatre opérateurs qui œuvrent dans le domaine de la mode et de l’artisanat, déclarent à l’unanimité que la demande sur le marché américain est énorme. Les commandes sont estimées à des millions d’articles. Selon les opérateurs, les artisans malgaches peuvent satisfaire la qualité exigée par les Américains. Ce Salon leur a permis de réaliser une visite commerciale et surtout, ils ont pu s’entendre avec de grandes marques internationales. Bref, ils sont revenus satisfaits de leur séjour américain puisque 90% de leurs articles ont été vendus et ils ont décroché des commandes. Ils invitent ainsi leurs homologues à suivre leur chemin.
La CITES autorise l’exploitation du croco
C’est une convention concernant la protection des espèces de faune et flore sauvages menacées d’extinction. Le commerce de ces espèces doit être soumis à une réglementation stricte. Madagascar a ratifié la convention en 1975. Le crocodile fait partie des espèces protégées : la CITES interdit l’exploitation des crocodiles dont la longueur est inférieure à 29 cm et l’exploitation de leur peau est régie par une réglementation stricte. Les artisans qui opèrent dans la transformation et la commercialisation des produits dérivés doivent avoir une licence donnée par l’administration compétente avant la délivrance de l’agrément de l’administration forestière. L’agrément donne le droit au détenteur de vendre quatre articles différents à base de crocodile à chaque personne qui compte voyager à l’extérieur. Si l’artisan écoule ses produits sur le marché local, il doit payer une redevance de 2 000 ariary par article et 500 ariary par étiquette posée sur le produit.
Tendry Rakotondranaivo